LES OEVVRES POETIQUES de Iacques Peletier du Mans
Moins, & meilleur.
A PARIS.
De l'imprimerie de Michel de Vaſcoſan, en la RUE ſainct Iacques a la Fontaine. 1547.
AVEC PRIVILEGE.
LE CONTENV.
- LES deux premiers liures de l'Odyſſee d'Homere,A A) Notez bien, que aucuns des textes sources des traductions se trouve dans l'édition imprimée. Les textes sources ne sont pas les mêmes que ceux qui Peletier usait.
- Le premier liure des Georgiques de Virgile,
- Trois Odes d'Horace, Vn Epigramme de Martial,
- Douze sonnets de Petrarque,
- Vers Lyriques de l'inuention de l'autheur,
- Congratulation ſus le nouueau regne de Henri deuzieme de ce nom,
- Epigrammes,
- L'Antitheſe du Courtiſan, & de l'homme de repos.
A TRESILLVSTRE Princeſſe Madame Marguerite, Seur unique du Roy.
Sonnet.
CE QVE ma muſɇ en uers a peu chanter,B B) Margareta av Frankrike, 1523–1574, hertiginna av Savojen och erhöll av sin bror Henrik II av Frankrike titeln hertiginna av Berry.
Ce qu'en François des autheurs a traduit,
Et ce quell'a d'elle meſme produit,
Elle uous uient maintenant preſenter.
Et s'elle peut uoſtrɇ eſprit contenter,
Ainſi qu'eſpoir & diſir la conduit,
De ſon grand heur, de ſa gloirɇ & bon bruit
A tout iamais ſe pourra bien uenter:
Car ceux qui ſont couſtumiers de médire
Vostre grandeur n'oſeront pas dédire:
Quant au futur, elle ne craint rien tel,
Pour ce qu'ell' eſt certainɇ & aſſuree
Que uoſtre nom demeurant immortel,
Le ſien ſera de pareille duree.
AV TRESCHRESTIEN ROY François premier de ce nom.
SI LA faueur que porte ta natureC C) Frans I, 1494-1547, kung av Frankrike 1515–1547.
Aux gens lettrez, & leur literature
N'eſtoit aſſez notoirɇ enuers chacū,
Roy qui n'as roy audeßus de toy qu'un,
Ie ne pourroyɇ a peine m'exenter
D'auoir meſpris, en uenant preſenter
A ta hauteur mes Poeticques carmes,
En ce temps cy que Mars par ſes allarmes
Vient faire guerrɇ aux gracieuſes Muſes:
Et de deſpit qu'a elles tu t'amuſes,
A tout effort ueut tenir en ſouffrance
Et en deſroy ta tresloyalle France,
Et toy qui es des lettres le uray pere:
Et par cela il s'attend & eſpere
Que les lettrez n'ayans plus de ſecours,
Außi n'auront les lettres plus de cours.
Mais c'eſt a luy trop auant entrepris,
Vouloir gaigner par deſſus toy le prix,
Sus toy qui es du plus haut Ciel parti
Pour ſoutenir des lettres le parti,
Et que les Dieux par accord reſolu
En ces bas lieux eſtablir ont uoulu
Le gouuerneur & chef de ceſt affaire.
Dieu de fureur, doncques que ueux lu faire?
Veux tu tenir ton couragɇ odieux
Seul alenconirɇ, et malgré tous les Dieux?
Veux tu deffairɇ une puiſſance telle?
Veux tu destruirɇ une choſɇ immortelle?
Car tu ſaiz bien que de Ciel ſupernel
Il ne uient rien qui ne ſoit eternel:
Auec cela, les Muſes ſont celestes:
C'est doncq'en uain qu'ainſi tu les moleſtes.
Il eſt bien uray que crainte tu leur donnes,
Car eſt il rien, o Mars, que tu n'eſtonnes?
Mais a la fin, quoy que les armes portes,
Elles ſeront contre toy les plus fortes,
Non au moyen de hache ny armet,
Car leur douſſeur cela ne leur permet;
Mais commɇ un feu qu'un temps le tiſon couure
Plus grand' clairtê par le tiſon recouure,
Ainſi ſera ta force conſumee,
Et leur uigueur de ton feu allumee:
Dont plus ſera leur honneur approuué,
Apres auoir un ennemy trouué
Qui les uoulant deſconfirɇ & abbatre,
Soit mis a bas par elles ſans combattre:
Ou s'elles ſont pour tes fieres atteintes
De ſe defendrɇ a port d'armes contreintes,
Leur Roy ſera pour elles plus uaillant
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Que ne ſeras contrɇ elles bataillant:
Et tant plus fortɇ il uerra la rencontre,
Plus ſera prompt de tenir alencontre:
Lors tu uerras ſa force ſuffiſante
Pour ſouſtenir ta malice nuiſante,
Pour repouſſer tes furieux aßauz,
Et pour donter tes ſoudars & uaſſauz,
El quand & quand nonobſtant ta rigueur,
Pour maintenir les Muſes en uigueur,
Et en honneur éleuer leurs ſuppoſtz.
O Roy François, ie romps a Mars propos,
Ma Muſe s'eſt a ce deſtour induitte,
Tranſport d'eſprit iuſqu'icy l'a conduitte,
Et en tranſport ta grandeur a louee,
En eſperant de toy eſtrɇ auouee,
Et meſmement qu'auecques ceſi aueu
Exauſſeras ſon fauorable ueu:
Et ſe promet par un heureux preſage
Ceſte faueur qu'on lit en ton uiſage:
Dont ellɇ ayant un coup l'eſprouue faitte
De ſes labeurs ſe tiendra ſatiſfaitte,
Et parainſi, affin qu'elle ſe ſente
De ce grand heur, a toy elle preſente
Vn ſien eſcript qui d'Homere eſt ißu,
Et dont le mot, ſans plus, ell' a tiſſu,
Ainſi que ſont Traducteurs couſtumiers:
Sont, en effet, les deux liures premiers
De l'Odyßeɇ en maternel langage,
Qu'elle te priɇ accepter pour le gage
Du demeurant, que fairɇ el' a deſir
S'elle congnoit que lu pregnes plaiſir
Auoir ſa ueine & ſon ſtylɇ eſcouter,
Tu as uoulu pour Homere gouſter,
Fairɇ en François l'Iliade traduire,
Dedens laquellɇ un Achillɇ on uoit luire
De hardieſſe & d'armes le uray trait:
En l'Odyſſee un Vlyſſe eſt protrait
De ſapience et ruſe l'exemplaire:
Achillɇ eſi tel que rien ne luy peut plaire
S'il ne l'obtient par armes & puiſſance,
A toutes lois il niɇ obeißance,
Il eſt ſi fort, ſi uiolent, et chaud,
Que de conſeil ny de temps ne luy chaut:
Vlyſſɇ außi comme luy entreprend,
Mais auec ſoy lieu, temps & conſeil prend:
Et s'il ne peut gaigner le prix en guerre,
Il ſait tres bien par ruſe le conquerre:
Il eſt pourueu de toute inuention
Pour paruenir a ſon intention:
Il ſait cacher au dedens ſon ſecret,
Et l'autre non, ſi ce n'eſt a regret:
Car a tous coups ſon courroux & ſon ire
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Dedens ſa face ardente ſe peut lire,
Et fors que ſoy tous auerſaires donte,
Ceſtui ſoy meſmc et tous autres ſurmome:
Brief, tous les deux a leurs moyens paruiennent,
Et pour un but deux chemins diuers d
Mais ſi on peut par bon moyen aucun
Faire des deux tant que ce ne ſoit qu'un,
Et ſi on peut enſemble bien lier
Vn homme ſage & un preux Cheualier:
(Car bien qu'en toy ſe trouuent lous les deux
Les autres ont a grand peine l'un d'eux)
Lors de combien ceste puiſſancɇ unie
Pourra lon uoir, plus fortɇ & mieux munie,
Si qu'elle ſoit de toutɇ autrɇ inuincible?
Certainement cela est bien poßible:
Car ſi ou uoit en deux liures traduiz
Fidelement tous les deux introduiz,
Les Cheualiers nobles de ton Royaume
Qui ſont appris a l'eſpeɇ & au heaume,
Quand par eſcrit les deux contempleront,
Facilement les deux reſſembleront,
Tant qu'on uerra en un ſeul perſonnage
Vn preux Achille & un Vlyſſe ſage:
Pourueu qu'un peu d'Vlyſſe la froideur
Vueille d'Achille amoderer l'ardeur.
Le grand Monarquɇ Alexandre tenoit
Touſiours Homerɇ, & par cueur l'apprenoit:
Qui ſus les uers de ce Poetɇ enquis
Lequel de tous luy ſembloit plus exquis,
Vint alleguer un uers qui porte en ſomme,
Sagɇ en ſes faitz, au combat hardi homme,
Bien auoit il le iugement certain,
En approuuant ce uers dignɇ & hautain,
Qui tient en brief la ſuſtance & matiere
De l'Odyſſeɇ & l'Iliadɇ entiere.
Doncq' pour le tout a meilleur effet rendre,
Cestui ouuragɇ ay uoulu entreprendre:
Non qu'il n'y ait en France des eſpriz
Par leſquelz ſoient telz oeuures mieux eſcriz:
Mais tout le but, tout le point ou ie tens,
C'est de trouuer le moyen & le temps
De mettrɇ auant par uouoir ſeruiable
Quelquɇ œuure mien qui te ſoit aggreable:
Car quand ie uoy tant de gens qui eſcriuent,
Et qui uers toy de toutes pars arriuent,
Il m'eſt auis que ſi leurs rengs ne tien,
Digne ne ſuis de m'auouer pour tien:
Et m'eſt auis, ſi ie ne m'addreſſɇ a toy,
Qu'ainſi commɇ eux tien dire ie me doy.
Te plaiſe donq'c douſſement receuoir
Ce que ie t'offrɇ, en faiſant mon deuoir
Et mon effort, que l'on uoye dreſſee
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Vnɇ Iliadɇ auec unɇ Odyſſee.
I'y ai uoulu les Epithetes mettre,
En ne uoulant d'Homere rien omettre:
Et m'a ſemble ſur ce, qu'en les oſtant
Hors du François, ce ſeroit tout autant
Que s'on oſtoit d'iceluy meſme liure
Habitz, bancquetz, & manieres de uiure,
Qui iapieça ſont d'uſagɇ eſtrangees,
Et en façons tres diuerſes changees:
Mais il conuient garder la maieſté,
Et le naif de l'ancienneté,
Pareillement exprimer' les uertuz
Des adiectifz dont les motz ſont uestuz,
Et bien garder en ſon entier l'obget
De ſon Autheur, auquel on est ſuget.
Icy uoit on la merueilleuſe ſuite
Du grand Homerɇ en tresbon ordrɇ inſtruitte:
Car il premet un modeste proeſme,
Et par degrez il hauſſe ſon Poeſme:
Il met en ieu un ieunɇ adoleſcent,
Lequel entant qu'a tel agɇ est decent,
Et a un filz iſſu de noble race,
li fait courtois, ſage et de bonne grace:
Et qui s'en ua par l'instinct de Pallas
Chercher Nestor le ſage, & Menelas.
Conſequemment ſon haut ſauoir déploye.
Et a deſcrirɇ un Vlyſſɇ il l'employe.
Lors d'un grand ſtyle il deſcrit ſes erreurs,
El de la mer les gouffres & horreurs,
Scylle, Charybdɇ, & les autres periz,
Par leſquelz ſont ſes compagnons periz,
Les uns par eau, les autres par les mains
Du Leſtrygon, & Cyclop inhumains:
Puis il deſcrit de Circe les uenins,
Et d'ellɇ apres les traittements benins:
Apres, Vlyſſɇ aux Enfers est allé,
Ou aux Eſpriz & ames a parlé:
Finablement en ſa terrɇ uenu,
De ſes amis a eſte mécongneu.
Et a fallu par combat proceder
Ainçois qu'ait peu ſa maiſon poſſeder:
Puis ayant fait des ennemis ueng'ance,
De tous ſes maux il a eu alleg'ance.
Voyla en brief d'Vlyſſe le diſcours,
Voyla comment par un ſuccceßif cours
Le grand Homerɇ en tel ordre lout rend,
Que d'un ruiſſeau fait naiſtrɇ un grand torrent:
Ma Muſɇ außi qui dreſſɇ ſes apprestz
Pour exprimer Homere de bien pres,
Eſpere bien par ſucceßion croiſtre,
Si tu luy fais ta faueur apparoistre.
Moins & meilleur.
LE PREMIER LIVRE DE l'Odyſſee d'Homere.
Enseigne moy, Muſe, le perſōnageD D) Homeros, 700-talet f.Kr., enligt traditionen författare till de klassiska eposen Iliaden och Odysséen.
Plein d'entrepriſe & ſauoir en ſō age,
Lequel apres qu'il a eu ſacagé
Troye la grand', a longtēps uoyagé,
Et en errant les uilles a paſſees
D'hommes diuers, & compris leurs penſees:
Qui a ſouffert maintz trauaux perilleux
Deſſus la mer, auec ſoing merueilleux
De rachetter ſa uiɇ, & de donner
Moyen aux ſiens de pouuoir retourner:
Mais touteſfois il ne les a peu rendre
En ſauueté, quelque ſoing qu'il ſeuſt prēdre:
Car ilz ſont mors, les pauures indiſcrez,
D'auoir oſé manger les beufz ſacrez
Du haut Soleil, qui pour ce mauuais tour,
Leur a tollu le iour de leur retour.
Fai moy ſauoir, Muſe du haut Dieu nee,
De quelque part leur maie destinee.
Chacun des Grecz qui estoit ſuruiuant,
De la bataillɇ & naufragɇ enſuyuant,
Et eſchapé du paſſagɇ mortel,
Deſia estoit rendu en ſon hoſtel,
Fors ſeulement Vlyſſe, lors priué
De ſon pais & femmɇ: & captiué
Par Calypſon des Nymphes l'outrepaſſe,
Qui le tenoit en ſa cauerne baſſe,
Pour l'eſpouſer, s'il l'euſt ainſi uoulu.
Quand touteſfois le temps fut reuolu,
Ou les trois ſeurs auaient mis leur but droit
Qu'en ſon pais d'Ithaque reuiendroit,
La ou pourtant ne pouoit estrɇ admis,
Sans auoir noiſɇ a ſes propres amis,
Chacun des Dieux auoit de ſa fortune
Compaßion, fors ſeulement Neptune,
Lequel gardoit ſon couragɇ indigné
Sus le diuin Vlyſſɇ enracinɇ,
Autant qu'il peust retourner en ſa terre.
Cestui Neptunɇ estoit allé grand'erre,
Iuſqu'aux lointains Ethiopes, épars
Et abouttans les hommes de deux pars,
Deſquelles l'unɇ est l'Orient touchant,
L'autrɇ est aßiſɇ endroit Soleil couchant,
Voyant le temps prochain, auquel il tombe
Qu'on fait d'Aignaux & de Beufz l'Hecatombe
A ſon honneur la prenoit ſa plaiſance
Et aßiſtoit au bancquet en preſence.
Ce temps pendant estoit la legion
Des autres Dieux dedeus la region
De Iupiter: & alors parmi eux
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Luy pere haut des hommes & des Dieux,
Ayant a cueur le ſouuenir moleste
D'Egystɇ occis nagueres par Oreste,
A commencé a tenir propos tel:
C'est un grand cas que ce genre mortel
Blaſphemɇ ainſi noſtre Deitɇ haute,
Mettant ſus nous l'originɇ & la faute
Quand quelque mal a luy ſe uient offrir,
Combien qu'au uray ce qui le fait ſouffrir,
Contre le cours de toute destinee,
Eſt ſeulement ſa malicɇ obſtinee:
Comme d'Egystɇ, on uoit le grand diffame,
Lequel a pris d'Agamemnon la femme
En mariagɇ: encor' pis, maintenant
Il l'a tué par fraudɇ en reuenant,
Combien qu'il fust bien instruit du meſchef
Qui en deuoit retourner ſus ſon chef:
Car nous l'auons informé du danger,
Luy enuoyans Mercure meſſager
Meurdrier d'Argus: lequel auerti l'a
De n'accomplir cest homicide la,
Et de ſa femmɇ eſpouſe s'abſtenir,
Pource qu'Oreſtɇ un iour deuoit uenir,
Lequel ayant age de congnoiſſance,
Et le deſir du lieu de ſa naiſſance,
Au fait uenger mettroit toute ſa cure:
Voyla les motz que luy a ditz Mercure,
Qui touteſfois n'a point eu de credit
Enuers Egyſtɇ, ayant ſi bien predit:
Or maintenant est il puny au long
De ſes forfaitz, si reſpondit adoncq'
Dame Mineruɇ aux yeux ardenis & uiſz,
O perɇ & Roy, & de Saturne filz,
Tel hommɇ adroit telle fin deuoit faire:
A mon uouloir que ceux de tel affaire
De telle mon puiſſent finir außi:
Mais i'ay au cueur un merueilleux ſouci
Du ſagɇ Vlyſſɇ, helas, mal fortuné,
Qui est banny du lieu ou il fut né,
Et maintenant endure tant de peine
Dedens unɇ Ilɇ au cueur de la mer, pleine
De bois eſpais: laquellɇ est poſſedee
D'une Deeſſɇ autrefois procedee
Du ſagɇ Atlas, qui ſait tous les detroitz
De la mer grande, & a deux piliers droiz
Sus leſquelz ſont ſouſtenuz & portez
La Terrɇ & Mer de tous les deux coſtez,
Dedens ce lieu ſa fille par rigueur
Detient Vlyſſɇ en miſerɇ & langueur,
Et nonobſtant par motz doux & naifz
Le ueut contreindrɇ oublier ſon pais,
Mais luy ayant deſir qu'en quelque ſorte
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Il puiſſe uoir la fumée qui ſorte
De ſon terroy, ſoit de loing ou de pres,
Eſt bien content de mourir par apres.
Cela n'a il, o Pere, le pouuoir
De ton cher cueur changer & emouuoir?
Ne fit il pas a Troye ſon office
Es Grecques naufz? fit il point ſacrifice
Oui t'aggreast? pourquoy, o Iupiter,
Te ueux tu tant contre lui deſpiter?
Lors Iupiter, qui les nues conduit,
Reſpond ainſi: Ma fille qui t'induit
A telz propos de ta bouche produire?
Comment pourroi' iɇ a oublier m'induire
Le ſouuenir d'Vlyſſe que tu nommes,
Qui en ſageßɇ excede tous les hommes?
Meſmes qui a tant bien fait ſon office
De fairɇ aux Dieux celestes ſacrifice?
Neptune ſeul ſe tient ainſi greué
Pour l'œil qui fut par Vlyſſe creué
A Poliphemɇ, un Dieu qui ſembloit eſtre
Le plus puiſſant des Cyclops & le maiſtre:
Thoote nymphɇ & fille legitime
Au duc Phorcyn, grand prince maritime,
L'a engendré, & fut aimeɇ adoncques
Du Dieu Neptunɇ es parfondes ſpeloncques:
Depuis ce temps, luy qui la terre ſiert,
Vray eſt qu'a mort mettrɇ Vlyſſe ne quiert,
Mais il le tient deſſus la mer en ſerre,
Tant qu'il ne peut approcher de ſa terre:
Or a ce coup auiſons de donner
Ordrɇ & moyen qu'il puiſſe retourner:
Quant a Neptunɇ il faudra qu'il s'appaiſe:
Car ce ſeroit a luy trop grand malaiſe
De ſoutenir ſon couragɇ odieux
Seul alencontrɇ & malgré tous les Dieux.
Lors dit Pallas aux yeux eſtincelans,
O pere mien, roy des roys excellens,
S'il plaiſt aux Dieux qu'apres ce long eſpace
Le preux Vlyſſɇ en ſa maiſon repaſſe,
Sus doncq', il fault que Mercure uoltige
Tout maintenant iuſqu'en l'Ile d'Ogyge,
Pour a la Nymphɇ aſſeurément parler
De noſirɇ auis, & qu'elle laiſſɇ aller
Le patient Vlyſſɇ, & en Ithacque
I'iray parler a ſon filz Thelemacque,
Affin qu'au uray ie l'inſtruiſɇ & conſeille,
Et que ſon cueur d'un ardeur ie rueille,
Pour les Greg'ois cheueluz amaſſer,
Et ces faſcheux Pourſuiuans menaſſer,
Leſquelz chez lui tuent moutons a force
Et les gras beufz qui ont la corne torſe:
Et ſus ce point ie luy diray qu'il parte
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Pour s'en aller eu la cité de Sparte:
De la en Pilɇ areneuſe, chercher
Songneuſement ſi de ſon pere cher
Pourra ouyr nouuelle qui ſoit bonne:
Meſmes affin que ce deuoir luy donne
Gloire par tout, pour paruenir plus oultre.
Ces motz finiz a ſes piedz ell' accouſtre
Ses beaux patins de dureɇ immortelle
Et maßifz d'or, dont la forcɇ eſtoit telle,
Que ſus la mer & terre bien ſouuent
Ils la portoient auec le fil du uent:
Puis elle prend ſa hachɇ au bout qui tranche,
Longue, maßiue, & groſſe par le manche,
Dont ell' abbat mainte gendarmerie
D'hommes uaillans alors qu'elle est marrie,
Elle qui a ce pere nompareil
Tant redoutablɇ. En ceſtuy appareil
Du hault ſommet d'Olympe deſcendit,
Et au milieu d'Ithacque ſe rendit,
Tout droit dauant la porte Vlyßienne:
Dedens ſa main tenant la hache ſienne,
Et reſſembloit eſtant en tel arroy
L'hoſte nommé Mente, qui estoit Roy
Des Taphiens, la trouua empeſchez
Ces importuns Amoureux, aux eſchez
Paſſans le temps, & a leur aiſɇ aßis
Deſſus les peaux de beufz par eulx occis:
Les eſcuyers & ualetz a grands troupes
Verſoient les uns du uin dedens les coupes
Auec de l'eau: & les autres auoieni
L'eſpongɇ en main, dont les tables lauoient
Et apprestoient: les uns ſelon leurs charges
Tranchoient la chair en pluſieurs pieces larges.
Mais Thelemacquɇ au uiſagɇ auenant
La uit de loing le premier en uenant,
Car eſtant ſis entre les Amoureux
Auoit ſon perɇ en ſon cueur doloreux,
S'il pourroit point reuenir par fortune
Pour dißiper ceste bande importune,
Si bien qu'il fuſt en ſon premier honneur,
Et a ſon gré de ſon bien gouuerneur:
Ainſi penſant ſe met a regarder
Dame Mineruɇ: & lors ſans plus tarder
Vers elle ua, marri ea ſon cueur tendre
Voyant a l'huys l'hoſte ſus bout attendre
Si longuement, Et luy uenant aupres,
Prend ſa main deſtrɇ, & ſa hachɇ: en apres
Moult doucement tel propos a tenu:
Mon bon ſeigneur, ſoyez le bien uenu,
Logez ceans s'il uous uient a plaiſir,
Puis nous direz tantoſt tout a loiſir
Ce qu'il uous fault apres uoſtre repas:
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Ainſi diſant s'auançoit pas a pas,
Mineruɇ apres: lequel l'aiant admiſe
En la maiſon, il a ſa hache miſe
Et eſtuyeɇy au long d'un grand pilier
En lieu tout proprɇ, ou estoil un milier
D'autres baſtons d'Vlyſſɇ en leur reſerue:
Puis ſus le throſnɇ il fait aſſoir Minerue,
Et fait eſtendrɇ une tapiſſerie
Toute tiſſuɇ a riche broderie,
Et ſoubz ſes piedz fait mettrɇ une eſcabelle:
Puis on apportɇ une table bien belle,
Loing, & a part des autres Amoureux,
De peur que l'hoſtɇ estant faſche pour eulx
Et leurs bobans, ſoupast trop a regret:
Et pour ſauoir de ſon perɇ en ſegret
Quelque nouuellɇ. Apres en ordrɇ honneste
Vne ſeruantɇ auecques de l'eau nette
Dedens un pot d'artifice fort gent
Et d'or maßif, en un baßin d'argent
Donnɇ a lauer: Puis la table polie
Met deuant eulx: la clauiere iolie
Aßiet le pain, & pluſieurs metz preſente,
En bienueigiant l'aſſemblée preſente:
Et puis apres le maistre d'hoſtel porte
Les platz garniz de chair de toute ſorte
Deſſus la tablɇ: & a chacun depart
Sa taſſe d'or: l'eſchanſon de ſa part
Met uin ſouuent, tantoſt uienent en place
Les Pourſuiuans marchans de grand' audace,
Leſquelz ſelon leurs eſtatz & bobans
Se ſont aßis par ordre ſus les bancz:
Puis a lauer les eſcuiers leur donnent:
Et cependant les chambrieres ordonnent
Le pain d'aßietɇ en leurs corbeilles grandes:
Lors chacun met la main ſus les uiandes
Miſes ſus tables: & pages ordonnez
Verſoient les uins d'eſcumes couronnez
Es taſſes d'or. Ces Pourſuiuans gentilz,
Apres auoir ſelon leurs appetitz
Beu & mangé, auoient pour tout penſer
Soing en leur cueur de chanter & danſer:
Car auiourdhuy les chanſons & les danſes
Sont des bancquetz les urayes deſpendances.
Lors l'eſcuier prend la treſbelie harpe,
Et la pendit a Phemin en eſcharpe,
Lequel chantoit a leurs gaiges loué,
Qui un motet fort plaiſant a ioué:
Mais Thelemacque a Minerue s'arreſte,
Et ioignant ellɇ il encline ſa teste,
De peur qu'aucun ſes deuis ne recueille.
Hoste, dit-il, deſplaire ne uous ueuille
De mes propos: Certainement ceulx cy
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Ont de gaudir & rire le ſoucy
A bon marché: car ilz mangent le bien
D'an hommɇ abſent, ſans qu'on leur die rien,
Duquel les os ſont quelque part ſans tombe
Deſia pourriz de la pluye qui tombe
Deſſus la terrɇ: ou en la mer epars
Sont agitez des flotz de toutes pars:
Mais s'ilz ſentoient la uenue de luy
Dedans Ithacquɇ, il n'y auroit celuy
Qui n'aimast mieux bon pié fait a la courſe,
Qu'or ny argent auoir dedens ſa bourſe,
Ny ueſtemens d'ouurage richɇ & fin:
Or eſt il mort de pitoyable fin,
Et n'en auons plus aucunɇ eſperance,
Si tous uiuaos nous donnoient aſſeurance
Qu'il deuſt uenir: C'eſt fait, l'heurɇ eſt perie
De ſon retour. Mais pour dieu ie uous prie,
Mon bon ſeigneur, & rien ne me celez,
Qui eſtes uous? comment uous appelez?
De quelle uillɇ & parens estes né?
Ou est la nef qui uous a amené?
Voz mariniers, pour dieu, de quel endroit,
Et qui ſont ilz? pourquoy eſt ce que droit
Au port d'Ithacquɇ ont leur chemin tenu?
Car ie ne croy qu'a pié ſoyez uenu:
Et oultre plus faites moy aſſauoir
Pour tout certain, combien il peut auoir
Qu'eſtes icy: & außi qu'il m'appere
Si estes point des hostes de mon pere:
Car i'en ay ueu uenir en ſa maiſon
Autres pluſieurs & ſouuent, a raiſon
Que uolontiers l'accointance ſuiuoit
D'hommes diuers, ce pendant qu'il uiuoit.
Mineruɇ alors de rechef parlɇ ainſi:
Ie ne ueux rieu uous celer de ceci,
Sachez pour uray que ie m'appelle Mente,
Et filz du ſagɇ Anchial ie me uente:
Des Taphiens nauticques ie ſuis Prince,
Et mon chemin s'addonnoit que ie uinſſe
Deſcendrɇ icy, ou ma nef i'ay conduitte
Par la mer noirɇ auec toute ma ſuitte,
Et par pais estrangers de long temps
En la cité de Temeſe ie tens,
Ou est le cuyurɇ, affin que i'en rameine
Auecques moy pour du fer que ie meine.
Ma nef qui est nouuellement entreɇ
En ces cartiers, aſſez loing est ancreɇ
De la cité: & la au port de Rhetre
Soubz le Nëuier ombrageux l'ay tait mettre.
Quant a nous deux, bien grand'choſe nous ſemble
Que nous aions des le berſeau enſemble
Vn paternel droit d'hoſpitalité:
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Vous en pouez ſauoir la uerité
Par l'ancien Laërte ſans reproche,
Qui de la uille auiourdhuy point n'approche,
Comme lon dit: il est tout indiſpos
De la perſonne: & pour uiurɇ en repos,
Vn ſien chaſteau a pris pour ſa retraitte,
Et une femmɇ agee qui le traitte,
Et lui accoaſtre a boirɇ & a manger:
Et ne pouant au trauail ſe renger,
Se ua trainant au long de ſon uignoble
Bien cultiué, qui produit liqueur noble.
Or a preſent me ſuis iɇ icy rendu,
Car i'ay encor' nagueres entendu,
Que celuy la dont parlons, uostre pere
Eſt hors pais, dont le retour proſpere
Eſt retardé par les Dieux iuſqu'à ores:
Car le diuin Vlyſſe n'eſt encores
Mort en la terrɇ, ains est uiuant ſans faute
Dedens unɇ ilɇ, au plein de la mer haulte
Qui flottɇ entour, & la demeurɇ enuis
Tenu par gens rudes & inciuilz:
Mais maintenant ſus ceste mention,
Ie puis preuoir qu'ellɇ est l'intention
Des immortelz, & de tout ceſt affaire
Vous diray bien ce qui s'en pourra faire:
Et ſi ne ſuis du nombre des deuins,
Ny profeſſeur des augures diuins:
C'eſt qu'il ne peut plus long temps ſeiourner
Sans en ſa terre aimee retourner:
Liens de fer le deuſſent ilz tenir,
Il trouuera façon de reuenir:
Car il eſt plein de ruſɇ & d'industrie,
Mais dittes moy, beau ſire, ie uous prie,
Sans en mentir, eſtes uous tant heureux,
Que ſoiez filz d'Vlyſſe genereux?
Car a bien uoir ceste facɇ, en effet,
Et ces beaux yeux, uous luy ſemblee tout fait:
Car bien ſouuent luy & moy par rencontre
Estions enſemblɇ, auant qu'il allast contre
Troye la grand', ou des Grecz les plus braues
Allerent lors en leurs nauires caues.
Depuis le temps l'un l'autrɇ en nul paſſage
Nous n'auons ueu. Thelemacque le ſage
Reſpond alors: Hostɇ, pour choſe ſeure,
Ie uous diray, c'eſt que ma merɇ aſſeure
Que ie ſuis filz d'Vlyſſe legitime:
Mais ie n'en ſay ſinon que par estime:
Car iuſqu'icy homme ne print naiſſance,
Qui de ſon perɇ eust uraie congnoiſſance.
Las qu'il m'eſt grief de ce que ne fu né
De quelque perɇ homme mieux fortuné,
L'age duquel caduc & impuiſſant
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L'euſt peu trouuer de ſon bien iouiſſant!
Mais maintenant par tout ie ſuis tenu
Filz de celuy, lequel est deuenu
Le plus chetif & moins noble du monde,
Puis que uoulez qu'a cela uous reſponde.
Lors la Deeſſɇ aux estincelans yeux
Reſpond ainſi: Certainement les Dieux
Ont deſormais bien pourueu de leur grace
Qu'eſtre ne puiſſɇ obſcure uostre race,
Vous aiant tel Penelope produit,
Mais ie uous pri' dittes moy, quel deduit
Et quel baacquet est cecy, quand i'y penſe?
Qu'est il beſoing d'une ſi grand 'depenſe?
Que ſignifiɇ aßemblee ſi groſſe?
Estce un bancquet, ou ſi c'eſt une noce?
Car ce n'eſt point diſner de compagnie
Quotidiennɇ: o que ceste meignie
Eſt exceßiuɇ, & bien hors de raiſon
D'ainſi deſiruirɇ une bonne maiſon!
Homme n'y a quant cecy auroil ueu,
I'entens qui fuſt de iugement pourueu,
Qui n'euſt horreur du deſordrɇ impudent,
A quoy reſpond Thelemacque prudent:
Hoſte, dit il, puiſque mauez requis,
Et de ſi pres uous uous estes enquis,
Ceste maiſon eſtoit dignɇ & capable
De demeurer entierɇ & incoupable,
Fust le ſeigneur abſent en lointains lieux:
Mais autrement eſt le uouloir des Dieux
Mal affectez, leſquelz l'ont eſtably
Sur tous humains pauurɇ & deſanobly:
Car ſi auec ſes autres citoyens
Euſt eté mis a mort par les Troyens,
Ie n'en auroiɇ en mon cueur telz regretz:
Ou s'il fuſt mort entre les mains des Grecz,
Ses bons amis, aiani fini la guerre:
Car pour cela ilz l'euſſent mis en terre,
Et erigé un triomphant tombeau,
Tant qu'a ſon filz un renom clair & beau
En fuſt uenu d'eternelle memoire:
Mais maintenant les Harpyes ſans gloire
L'ont enleué: il est euanouy
Sans que i'en aie aucun renom ouy:
Et m'a laißé apres le ſien treſpas
Pleurs & ennuiz: Encores n'eſt ce pas
Le ſeul obgect qui me fait ſoupirer,
Les Dieux d'ailleurs m'ont uoulu martirer:
Car il n'y a nul gentilhomme riche
Des habitans de l'Ile de Duliche,
L'Ile de Samɇ & Zacynthe l'ombreuſe,
Et nul ſeigneur d'Ithacque la ſcabreuſe,
Qui tous ma merɇ a l'enuy ne demandent
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En mariagɇ: & ſans ceße gourmandent
Noſtre maiſon: elle toute confuſe
Ne l'a a gré, & ſi ne le refuſe,
Et ſi ne peut l'accorder par raiſon:
Et ce pendant ilz mangent ma maiſon
Toute mangeɇ: & ſi n'attens que l'heure
Qu'apres cecy ma uie n'y demeure.
De grand' pitié fut emue Pallas
Sut ces propos: & dit ainſi: Helas,
Ie congnoy bien au uray que depieça
Auez beſoing d'Vlyße pardeça,
Qui de ſes mains puiſſantes n'extermine
Ceſte nuyſante & faſcheuſe uermine:
Car s'il eſioit de retour maintenant,
Au premier huys du logis ſe tenant,
L'armet au chef, l'eſcu en ſa ſeneſtre,
Deux iauelotz acerez en ſa deſtre,
Tel qu'il eſtoit lois que prins congnoiſſance
Auecqnes luy, & qu'en reſiouiſſance
Il beut chez nous, a ſon retour d'Ephyre,
Ou il eſtoit allé en ſon nauire
I le chercher, de Mermere le filz,
Qui luy baillaſt quelques uenins contitz,
Deſquels il peuſt ſes traitz empoiſonner:
Qui ne uoulut pourtant luy en donner,
Craignant les Dieux qui ſont perpetuelz:
Mon perɇ adonc, pour les cueurs mutuelz
Qu'auoient entr' eux, luy en fil le preſent.
Or ſi Vlyſſɇ en tel ordrɇ a preſent
Estoit icy, & ſus eulx uint courir,
Il les feroit ſus le champ tous mourir:
Croiez qu'alors les noces pretendues
Seroient a tous bien cherement uendues:
Mais pour certain tout deſpend des autelz,
Et du uouloir des hautz dieux immortelz,
Si luy eſtant en ſa maiſon remis,
Se uengera de tous ſes ennemis:
Or quoy que ſoit, ie uous enioins bien fort
Penſer comment pourrez a tout effort
Ces Pourſuiuans hors de ceans bouter:
Mais uenez ça, ie uous pri' m'eſcouter,
Et a mes motz tenir eſprit & main:
Il uous faudra conuoquer des demain
Les nobles Grecz, auſquelz tous parlerez,
Et a teſmoing les Dieux appellerez:
Aux Pourſuiuans franchement pourrez dire,
Que chacun d'eulx ſus le ſien ſe retire:
Et au parſus ſi uostre merɇ a ores
Deliberé ſe marier encores,
Vous luy direz qu'ell' aillɇ en la maiſon
Du pere ſien homme richɇ a foiſon,
Lequel fera les nopces & la feſte,
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Et donnera ud mariagɇ honneste
Selon l'estat de ſa noble famille,
Et comme un perɇ a ſa treſchere fille:
Mais ie uous ueux donner en cest affaire
Bien bon conſeil, mais que le ueuillez faire:
Pouruoiez uous d'une nef qui ſoit forte
Et bien maßiuɇ, & qui uint rames porte,
S'irez chercher homme qui uous réuele
De uostre perɇ abſent quelque nouuelle,
Ou ſi de luy par Iupiter orrez
Le bruit qui rend les hommes honorez.
Premierement Pyle uous faut querir,
Et au diuin Neſtor uous enquerir:
De la en Spartɇ addreſſer ie uous ueux
A Menelas qui a les blons cheueux:
Car il reuint tout le dernier des Grecz,
Qui portent tous de fer les hallecretz,
Puis ſi trouuez que uoſtre perɇ on tiegne
Encor' uiuant, & meſmes qu'il reuiegne,
Vous pourrez bien nonobſtant tout ennuy,
Encore uiurɇ unɇ annee ſans luy:
Mais ſi le bruit de ſa mort eſt conſtant,
Vous reuiendrez pardeça tout contant
Luy eriger un ſepulchre celebre,
Et preparer un obſeque funebre
Moult ſolennel tel qu'il appartiendra:
Puis marier uostre merɇ il faudra.
Mais quand aurez ainſi fait ces appretz,
Et mis a chef, uous faudra en apres
Tous uoz eſpriz & ſens euertuer,
Tant que puißiez ces Pourſuiuans tuer,
Qui font ceans ſi grand dommagɇ & perte,
Ou ſoit par fraudɇ, ou ſoit par uoyɇ aperte:
Et deſormais ce n'eſt plus la façon,
Que uous ſentiez uoſtre petit garſon:
Car uous ſauez que n'eſtes plus enfant.
Voyez uous pas quel renom triomphant
Le noblɇ Oreſtɇ enuers tous les humains
A emporté, pour auoir de ſes mains
Naguerɇ occis Egiste deſloyal
Inuterfecteur de ſon pere royal?
A ceſte cauſɇ, ami, ie uous enhorte
Vous uoyant franc, & de gentille ſorte,
Prenez couragɇ, affin qu'aiez quelquun
Pour uous louer außi enuers chacun
Apres la mort. Mais moi qui trop ſeiourne,
A mon nauirɇ a haſte ie retourne:
Mes compaignons ſeront bien mal contens
Que les ay fait attendre ſi long temps.
Or ie uous pri' qu'a mes motz entendez,
Et les aiez pour bien recommandez.
Lors le prudent Thelemacqu' repondit,
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Hoſte, dit il, certes uous auez dit
En uray amy ſagement a merueille,
Et commɇ un perɇ a ſon enfant conſeille,
Et tous uoz ditz iamais de l'eſprit mien
Ne ſortiront. Mais faittes moy ce bien
D'attendrɇ un peu, beau ſire, uous n'auez
Pas ſi grand'haſtɇ, au moins que ne lauez:
Puis ayant pris par amitié loyalle
Quelque preſent, en ioye cordialle,
Vous en irez: ie uous feray un don,
Fort richɇ, & beau, qui ſera pour guerdon
De nostrɇ amour, gardé en uostre coffre,
Ainſi qu'un hoſtɇ a un hoſte fait offre.
Si luy reſpond la Deeſſɇ au ſurplus:
L'heure n'est pas que me retenez plus,
I'ay de partir treſurgemment affaire:
Mais quant au don que uous me uoulez faire
De ſi franc cueur, c'eſt pour unɇ auire fois,
Moy de retour du pais ou ie uois,
En repaſſant le porteray tout droit
En ma maiſon: apres en mon endroit
Tant plus honneſtɇ & beau ie le prendray,
Tant plus honneſtɇ & beau le uous rendray.
Ayant Mineruɇ acheué la parolle,
Comme l'oiſeau Anopee s'en uolle
Legerement: & partant de la place,
Met au ieunɇ hommɇ une forcɇ & audace
Dedens le cueur, & meſmes luy imprime
De ſon cher perɇ un ſouuenir intime
Plus que iamais, ſi bien qu'en ſes eſpriz
Fut tout penſif, & de frayeur eſpris:
Car il congnut que ce meſſager la
Eſtoit un Dieu. Sus ce point s'en alla
Aux Pourſuiuans, qui moins homme que Dieu
Deſia ſembloit: & ueit commɇ en ce lieu
Le meneſtrier expert par excellence
Les esbatoit: Eux aßis en ſilence
Tous eſcoutoient ce chant mouk aggreable.
Il leur chantoit le retour pitoyable
Des ſeignieurs Grecz de Troyc la cité,
Auquel eſtoit par Mineruɇ incité.
Ce chant diuin penetrɇ & enuetope
L'interieur eſprit de Penelope
llei d'Icairɇ, en oyant ces regretz:
Si deſcendit a coup les haultz degrez
De la maiſon: & n'estoit ſans conduitte,
Mais ell' auoit deux ſeruantes de ſuite:
Laquellɇ estant arriueɇ a la bende
Des Pourſuiuans, aiant ſa riche bende
Autour du front, des femmes l'outrepaſſe,
Se tint a l'huis de la ſallette baſſe,
Tant bien ouureɇ, & une damoiſelle
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Auoit deça & dela apres elle:
Si a parlé, en larmoyant parmy,
Au meneſtrier: Dea Phemin mon amy,
Vous ſauez tant d'attraiz melodieux,
Tant de hautz faitz & d'hommes & de Dieux,
Eſquelz on trouuɇ & plaiſir & ſaueur,
Et deſquelz ont les meneſtriers faueur:
Sonnez leur doncq' lun de ces chans diuins
En uous ſeant, pendant que ces doulx uins
Beuueni en ioiɇ: & uous pri' qu'on deſiſte
De plus chanter ceste note ſi triſte,
Qui mon las cueur me fait trembler au uentre,
Et en l'oyant, dedens mon eſprit entre
Vne triſteſſe ennuyeuſɇ a merueille:
Car un record & regret me réueille
De mon mary, dont la gloirɇ eſt au large
Courant parmy la Grece & parmy Arge.
Quand le prudent Thelemacq' l'entendît
Ainſi parler, tel retour luy rendit:
D'ou uient cela, dit il, dame ma mere,
Que uous auez triſteſſe ſi amere
D'un meneſtrier qui paſſetemps nous donne
De quelque chant ou ſon eſprit s'addonne?
Les meneſtriers n'ont le gouuernement
De leurs chanſons, ainçois diuinement
De Iupiter ſont faittes & cauſees,
Et par luy ſont en l'eſprit expoſees
Des inuenteurs a ſon diuin arbitre:
Ce chantrɇ icy uous blaſmez a faux tiltre
Pour le malheur des Grecz auoir ioué:
Car celuy chant des hommes est loué
Bien uolontiers, auquel est contenu
Quelque diſcours freſchement auenu.
Ie uous ſupply' faſchee ne ſoyez
En uotrɇ eſprit du chant que uous oyez:
Vlyſſe ſeul n'a eſté miſerable,
D'auoir perdu le iour tant deſirable
De ſon retour: Il y en a aſſez
D'autres qui ſont a Troye trepaſſez:
Vous ſeriez mieux, d'eſtrɇ ores amuſeɇ
Tout a part uous filant uostre fuſee,
Duquel meſtier ſont les femmes ouurieres,
En commandant außi a uoz chambrieres,
Et trauailler uous toutes parenſemble:
Quant aux propos de conſeil, il me ſemble
Qu'aux hommes ſeulz en appartient le ſoing,
Meſmes a moy, ainſi qu'il est beſoing
Qu'en ma maiſon ie me facɇ obeir.
Elle l'oyant s'eſt priſɇ a s'eſbahir,
El ſans mot dirɇ en hault est remoatee:
Car de ſon filz la parollɇ a notee
En ſon eſprit luy ſemblant fort diſcrette:
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Et ellɇ entreɇ en ſa chambre ſecrette
Auec ſes deux damoiſelles en ordre,
Touſiours pleuroit, & la uenoit remordre
Vn dur regret d'Vlyſſe ſon eſpoux,
Iuſques a tant qu'un ſommeil ſouef & doulx
Dame Mineruɇ aux yeux luy a infus:
Et ce pendant ces Amoureux confus
Tons murmuroient par la maiſon obſcure,
Et de s'aſſoir ſus les litz auoient cure:
Vers leſquelz s'eſt Thelemacquɇ auancé,
Et puis leur a tel propos commence:
Vous Amoureux de ma merɇ affollez,
Et qui ſi fort noſtre maiſon foullez,
Ca bancquetons en ioye, ie uous prie,
Tout a loiſir, & que plus on ne crie:
Penſer ne fault que de ſe reſiouir:
Car il fait bon un meneſtrier ouir
Tel que ceſtuy, qui est pareil aux Dieux
En uoix plaiſantɇ & chant melodieux.
Et quant aßis tous enſemble ſerons,
Ie parleray, comme parler ie doy,
A uous ainſi: Sus, uuidez de chez moy,
Ailez chercher autre part uos bancquetz,
Allez manger uoz terres & acqueſtz,
Et uous traittez chacun ſon tour enſemble
En uos maiſons: Mais ſi cela uous ſemble
Honneſtɇ & bon de manger la ſuſtance
D'un homme ſeul, ſans nulle reſistance,
Bien, mangez la: mais les Dieux eternelz
Protesteray auec ueuz ſolennelz,
Que ſi iamais Iupiter ueult donner
Que uoz forfaitz ſe puiſſent guerdonner
Sans que uiuant uous puiſſe ſecourir,
Ie uous feray ceans trestous mourir.
Incontinent qu'il leur eut ce mot dit,
Chacun d'entr'eux les leures ſe mordit,
S'eſmerueillans de ce propos ruſé,
Dont Thelemacquɇ a hardiment uſé.
Lors Antinois filz d'Eupithe luy tait
Reſponſɇ ainſi: Thelemacq', en effet,
Les Immortelz le mettent en ta langue
Vne treſuiuɇ & hautaine harengue:
Et pour autant ce n'eſt noſtrɇ auantage,
Bien que ce ſoit a ta racɇ heritage,
Que Iupiter te face Roy d'Ithaque.
A quoy reſpond le ſage Thelemacque:
O Antinois, ſi de ma hardieſſe
Eſtiez cent fois pius esbahy, ſi est ce
Que ie uoudroi que le dieu Iupiter
D'un ſi grand bien m'euſt uoulu heriter.
Eſtimez uous que ſoit choſe mauuaiſe
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Pour les humains? certes ne uous deſplaiſe,
Regner n'eſt point eſtat qui mauuais ſoit,
Pour ce qu'un Roy en l'inſtant s'apperçoit
Qye ſa maiſon proſperɇ & fait grand fruit,
Et luy en uient plus d'honneur & de bruit:
Mais il y a maintz Roys & gentilz hommes
Dedens la Grecɇ & lihacquɇ ou nous ſommes,
Ieunes & uieulx, deſquelz ſe trouuera
Peut estrɇ aucun qui nostre Roy ſera,
Puis que le noblɇ Vlyſſɇ est orendroit
Mort & peri: Mais ſi ay ie ce droit,
Que ie ſuis Roy par ſus nostre famille,
Et ſus les ſerfz amenez de la pille,
Qu'il m'a donnez. Lors reſpond Eurymacque
Filz de Polybɇ: O amy Thelemacque,
Cela deſpend du ueuil & des ſecretz
Des Dieux hautains, lequel de tous les Grecz
Doit estre Roy en Ithacque tenu:
Mais c'eſt raiſon que de ton reuenu
Sois gouuerneur, & maistre en ton hoſtel:
Car comme croy n'y aura homme tel
Par le pais d'Ithacque, qui s'efforce
De te piller ton reuenu par force:
Mais ie te pri', cher amy, s'il te plaiſt,
Ceſt hoſtɇ icy conte nous qui il est:
De quel cartier dit il estre parti?
De quelle gent & lieu est il ſorti?
Tapportɇ il point nouuelles de ton pere?
Ou ſi c'eſt point quelque bien qu'il eſpere,
Qui l'auroit fait en ces lieux arriuer?
Pourquoy ſi toſt s'est il uoulu leuer
Pour s'en aller? pourquoy auoit il peur
Destre congnu? car il n'est point trompeur,
A tout le moins il n'en a le uiſage.
Lors luy reſpond Thelemacque le ſage:
O Eurimacquɇ il eſt ſeur que iamais
Ne reuiendra mon perɇ, & deſormais
Ie ne me ueux aux pelerins enquerre
S'ilz l'ont point ueu uenir de quelque terre:
Et ne me chaut de ce mot prognoſticque
Que nous en dit ne ſay quel fantaſticque
Magicien, que fit uenir ma mere:
Ceſtuy cy est des hoſtes de mon pere,
Il est de Taphɇ, & ſi s'appelle Mente,
Et filz du ſagɇ Anchial il ſe uente:
C'eſt celuy la qui dominɇ enuiron
Les Taphiens, grans tireurs d'auiron.
Luy cependant diſant parolle telle
Bien cognoiſſoit la Deeſſɇ immortelle:
Eulx ilz s'en uont baller & reſiouir,
Tous amuſez a ce doux chant ouir,
En attendant que le ſoleil fuſt bas.
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Et ce pendant qu'ilz prenoient leurs eſbatz,
Voicy uenir le ueſpre deſia noir:
Lors ilz s'en uont chacun en ſon manoir
Tous ſommeillans ſe coucher au depart:
Mais Thelemacquɇ auoit ſa chambrɇ a part
Haut erigeɇ au palais de beau luſtre,
Aßiſɇ en lieu eminent & illuſtre:
Droit en ce lieu pour repoſer il ua,
Et pluſieurs cas en ſon cucur penſif à:
La damoiſellɇ Euriclee le guide
Qui fillɇ eſtoit d'Ope Piſenoride,
Portant dauant deux flambeaux: & fut celle
Qu'achetta, lors bien petite pucelle
De ſon auoir Laërte le bon homme,
Qui en donna de uingt toreaux la ſomme,
Il lui faiſoit autant d'honneur & chere
En la maiſon commɇ a ſa femme chere:
Mais de ſon lit il ne faiſoit approche,
Car de ſa femme il craignoit la reproche.
C'eſt celle la qui eſtoit couſtumiere
Au ſoir porter dauant luy la lumiere,
Et ſi auoit amitié plus feruente
Au ieune filz que nullɇ autre ſeruante,
Car la mamellɇ el' luy auoit offerte
Des le berceau. Si a la portɇ ouuerte
Du cabinet richement compoſé:
Puis ſus le lit en ſon ſeant poſé,
Sa robe ſouplɇ a coup a deſpouillee,
Et l'a es mains de la uieille baillee,
Qui eut le ſoing de tenir nettement,
Et bien plier ce riche uestement:
Et puis apres moult gentiment le gette
Sus une perchɇ aupres de la couchette.
Tout cela fait, de ce lieu ſe retire,
L'huis en ſortant par l'anneau d'argent tire:
Finablement a la barre pendue,
D'une conroyɇ au trauers estendue.
Luy de la peau d'une brebis couuert
Toute la nuit auoit l'eſprit ouuert,
Commɇ il deuoit le chemin diſpoſer
Que luy uenoit Pallas de propoſer.
ἄνδρα μοι ἔννεπε, μοῦσα, πολύτροπον, ὃς μάλα πολλὰ
πλάγχθη, ἐπεὶ Τροίης ἱερὸν πτολίεθρον ἔπερσεν:
πολλῶν δ᾽ ἀνθρώπων ἴδεν ἄστεα καὶ νόον ἔγνω,
πολλὰ δ᾽ ὅ γ᾽ ἐν πόντῳ πάθεν ἄλγεα ὃν κατὰ θυμόν,
ἀρνύμενος ἥν τε ψυχὴν καὶ νόστον ἑταίρων.
ἀλλ᾽ οὐδ᾽ ὣς ἑτάρους ἐρρύσατο, ἱέμενός περ:
αὐτῶν γὰρ σφετέρῃσιν ἀτασθαλίῃσιν ὄλοντο,
νήπιοι, οἳ κατὰ βοῦς Ὑπερίονος Ἠελίοιο
ἤσθιον: αὐτὰρ ὁ τοῖσιν ἀφείλετο νόστιμον ἦμαρ.
τῶν ἁμόθεν γε, θεά, θύγατερ Διός, εἰπὲ καὶ ἡμῖν.
ἔνθ᾽ ἄλλοι μὲν πάντες, ὅσοι φύγον αἰπὺν ὄλεθρον,
οἴκοι ἔσαν, πόλεμόν τε πεφευγότες ἠδὲ θάλασσαν:
τὸν δ᾽ οἶον νόστου κεχρημένον ἠδὲ γυναικὸς
νύμφη πότνι᾽ ἔρυκε Καλυψὼ δῖα θεάων
ἐν σπέσσι γλαφυροῖσι, λιλαιομένη πόσιν εἶναι.
ἀλλ᾽ ὅτε δὴ ἔτος ἦλθε περιπλομένων ἐνιαυτῶν,
τῷ οἱ ἐπεκλώσαντο θεοὶ οἶκόνδε νέεσθαι
εἰς Ἰθάκην, οὐδ᾽ ἔνθα πεφυγμένος ἦεν ἀέθλων
καὶ μετὰ οἷσι φίλοισι. θεοὶ δ᾽ ἐλέαιρον ἅπαντες
νόσφι Ποσειδάωνος: ὁ δ᾽ ἀσπερχὲς μενέαινεν
ἀντιθέῳ Ὀδυσῆι πάρος ἣν γαῖαν ἱκέσθαι.
ἀλλ᾽ ὁ μὲν Αἰθίοπας μετεκίαθε τηλόθ᾽ ἐόντας,
Αἰθίοπας τοὶ διχθὰ δεδαίαται, ἔσχατοι ἀνδρῶν,
οἱ μὲν δυσομένου Ὑπερίονος οἱ δ᾽ ἀνιόντος,
ἀντιόων ταύρων τε καὶ ἀρνειῶν ἑκατόμβης.
ἔνθ᾽ ὅ γ᾽ ἐτέρπετο δαιτὶ παρήμενος: οἱ δὲ δὴ ἄλλοι
Ζηνὸς ἐνὶ μεγάροισιν Ὀλυμπίου ἁθρόοι ἦσαν.
τοῖσι δὲ μύθων ἦρχε πατὴρ ἀνδρῶν τε θεῶν τε:
μνήσατο γὰρ κατὰ θυμὸν ἀμύμονος Αἰγίσθοιο,
τόν ῥ᾽ Ἀγαμεμνονίδης τηλεκλυτὸς ἔκταν᾽ Ὀρέστης:
τοῦ ὅ γ᾽ ἐπιμνησθεὶς ἔπε᾽ ἀθανάτοισι μετηύδα:
“ὢ πόποι, οἷον δή νυ θεοὺς βροτοὶ αἰτιόωνται:
ἐξ ἡμέων γάρ φασι κάκ᾽ ἔμμεναι, οἱ δὲ καὶ αὐτοὶ
σφῇσιν ἀτασθαλίῃσιν ὑπὲρ μόρον ἄλγε᾽ ἔχουσιν,
ὡς καὶ νῦν Αἴγισθος ὑπὲρ μόρον Ἀτρεΐδαο
γῆμ᾽ ἄλοχον μνηστήν, τὸν δ᾽ ἔκτανε νοστήσαντα,
εἰδὼς αἰπὺν ὄλεθρον, ἐπεὶ πρό οἱ εἴπομεν ἡμεῖς,
Ἑρμείαν πέμψαντες, ἐύσκοπον ἀργεϊφόντην,
μήτ᾽ αὐτὸν κτείνειν μήτε μνάασθαι ἄκοιτιν:
ἐκ γὰρ Ὀρέσταο τίσις ἔσσεται Ἀτρεΐδαο,
ὁππότ᾽ ἂν ἡβήσῃ τε καὶ ἧς ἱμείρεται αἴης.
ὣς ἔφαθ᾽ Ἑρμείας, ἀλλ᾽ οὐ φρένας Αἰγίσθοιο
πεῖθ᾽ ἀγαθὰ φρονέων: νῦν δ᾽ ἁθρόα πάντ᾽ ἀπέτισεν.”
τὸν δ᾽ ἠμείβετ᾽ ἔπειτα θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη:
“ὦ πάτερ ἡμέτερε Κρονίδη, ὕπατε κρειόντων,
καὶ λίην κεῖνός γε ἐοικότι κεῖται ὀλέθρῳ:
ὡς ἀπόλοιτο καὶ ἄλλος, ὅτις τοιαῦτά γε ῥέζοι:
ἀλλά μοι ἀμφ᾽ Ὀδυσῆι δαΐφρονι δαίεται ἦτορ,
δυσμόρῳ, ὃς δὴ δηθὰ φίλων ἄπο πήματα πάσχει
νήσῳ ἐν ἀμφιρύτῃ, ὅθι τ᾽ ὀμφαλός ἐστι θαλάσσης.
νῆσος δενδρήεσσα, θεὰ δ᾽ ἐν δώματα ναίει,
Ἄτλαντος θυγάτηρ ὀλοόφρονος, ὅς τε θαλάσσης
πάσης βένθεα οἶδεν, ἔχει δέ τε κίονας αὐτὸς
μακράς, αἳ γαῖάν τε καὶ οὐρανὸν ἀμφὶς ἔχουσιν.
τοῦ θυγάτηρ δύστηνον ὀδυρόμενον κατερύκει,
αἰεὶ δὲ μαλακοῖσι καὶ αἱμυλίοισι λόγοισιν
θέλγει, ὅπως Ἰθάκης ἐπιλήσεται: αὐτὰρ Ὀδυσσεύς,
ἱέμενος καὶ καπνὸν ἀποθρῴσκοντα νοῆσαι
ἧς γαίης, θανέειν ἱμείρεται. οὐδέ νυ σοί περ
ἐντρέπεται φίλον ἦτορ, Ὀλύμπιε. οὔ νύ τ᾽ Ὀδυσσεὺς
Ἀργείων παρὰ νηυσὶ χαρίζετο ἱερὰ ῥέζων
Τροίῃ ἐν εὐρείῃ; τί νύ οἱ τόσον ὠδύσαο, Ζεῦ;”
τὴν δ᾽ ἀπαμειβόμενος προσέφη νεφεληγερέτα Ζεύς:”
“τέκνον ἐμόν, ποῖόν σε ἔπος φύγεν ἕρκος ὀδόντων.
πῶς ἂν ἔπειτ᾽ Ὀδυσῆος ἐγὼ θείοιο λαθοίμην,
ὃς περὶ μὲν νόον ἐστὶ βροτῶν, περὶ δ᾽ ἱρὰ θεοῖσιν
ἀθανάτοισιν ἔδωκε, τοὶ οὐρανὸν εὐρὺν ἔχουσιν;
ἀλλὰ Ποσειδάων γαιήοχος ἀσκελὲς αἰεὶ
Κύκλωπος κεχόλωται, ὃν ὀφθαλμοῦ ἀλάωσεν,
ἀντίθεον Πολύφημον, ὅου κράτος ἐστὶ μέγιστον
πᾶσιν Κυκλώπεσσι: Θόωσα δέ μιν τέκε νύμφη,
Φόρκυνος θυγάτηρ ἁλὸς ἀτρυγέτοιο μέδοντος,
ἐν σπέσσι γλαφυροῖσι Ποσειδάωνι μιγεῖσα.
ἐκ τοῦ δὴ Ὀδυσῆα Ποσειδάων ἐνοσίχθων
οὔ τι κατακτείνει, πλάζει δ᾽ ἀπὸ πατρίδος αἴης.
ἀλλ᾽ ἄγεθ᾽, ἡμεῖς οἵδε περιφραζώμεθα πάντες
νόστον, ὅπως ἔλθῃσι: Ποσειδάων δὲ μεθήσει
ὃν χόλον: οὐ μὲν γὰρ τι δυνήσεται ἀντία πάντων
ἀθανάτων ἀέκητι θεῶν ἐριδαινέμεν οἶος.”
τὸν δ᾽ ἠμείβετ᾽ ἔπειτα θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη:
“ὦ πάτερ ἡμέτερε Κρονίδη, ὕπατε κρειόντων,
εἰ μὲν δὴ νῦν τοῦτο φίλον μακάρεσσι θεοῖσιν,
νοστῆσαι Ὀδυσῆα πολύφρονα ὅνδε δόμονδε,
Ἑρμείαν μὲν ἔπειτα διάκτορον ἀργεϊφόντην
νῆσον ἐς Ὠγυγίην ὀτρύνομεν, ὄφρα τάχιστα
νύμφῃ ἐυπλοκάμῳ εἴπῃ νημερτέα βουλήν,
νόστον Ὀδυσσῆος ταλασίφρονος, ὥς κε νέηται:
αὐτὰρ ἐγὼν Ἰθάκηνδ᾽ ἐσελεύσομαι, ὄφρα οἱ υἱὸν
μᾶλλον ἐποτρύνω καί οἱ μένος ἐν φρεσὶ θείω,
εἰς ἀγορὴν καλέσαντα κάρη κομόωντας Ἀχαιοὺς
πᾶσι μνηστήρεσσιν ἀπειπέμεν, οἵ τέ οἱ αἰεὶ
μῆλ᾽ ἁδινὰ σφάζουσι καὶ εἰλίποδας ἕλικας βοῦς.
πέμψω δ᾽ ἐς Σπάρτην τε καὶ ἐς Πύλον ἠμαθόεντα
νόστον πευσόμενον πατρὸς φίλου, ἤν που ἀκούσῃ,
ἠδ᾽ ἵνα μιν κλέος ἐσθλὸν ἐν ἀνθρώποισιν ἔχῃσιν.”
ὣς εἰποῦσ᾽ ὑπὸ ποσσὶν ἐδήσατο καλὰ πέδιλα,
ἀμβρόσια χρύσεια, τά μιν φέρον ἠμὲν ἐφ᾽ ὑγρὴν
ἠδ᾽ ἐπ᾽ ἀπείρονα γαῖαν ἅμα πνοιῇς ἀνέμοιο:
εἵλετο δ᾽ ἄλκιμον ἔγχος, ἀκαχμένον ὀξέι χαλκῷ,
βριθὺ μέγα στιβαρόν, τῷ δάμνησι στίχας ἀνδρῶν
ἡρώων, τοῖσίν τε κοτέσσεται ὀβριμοπάτρη.
βῆ δὲ κατ᾽ Οὐλύμποιο καρήνων ἀίξασα,
στῆ δ᾽ Ἰθάκης ἐνὶ δήμῳ ἐπὶ προθύροις Ὀδυσῆος,
οὐδοῦ ἐπ᾽ αὐλείου: παλάμῃ δ᾽ ἔχε χάλκεον ἔγχος,
εἰδομένη ξείνῳ, Ταφίων ἡγήτορι Μέντῃ.
εὗρε δ᾽ ἄρα μνηστῆρας ἀγήνορας. οἱ μὲν ἔπειτα
πεσσοῖσι προπάροιθε θυράων θυμὸν ἔτερπον
ἥμενοι ἐν ῥινοῖσι βοῶν, οὓς ἔκτανον αὐτοί:
κήρυκες δ᾽ αὐτοῖσι καὶ ὀτρηροὶ θεράποντες
οἱ μὲν οἶνον ἔμισγον ἐνὶ κρητῆρσι καὶ ὕδωρ,
οἱ δ᾽ αὖτε σπόγγοισι πολυτρήτοισι τραπέζας
νίζον καὶ πρότιθεν, τοὶ δὲ κρέα πολλὰ δατεῦντο.
τὴν δὲ πολὺ πρῶτος ἴδε Τηλέμαχος θεοειδής,
ἧστο γὰρ ἐν μνηστῆρσι φίλον τετιημένος ἦτορ,
ὀσσόμενος πατέρ᾽ ἐσθλὸν ἐνὶ φρεσίν, εἴ ποθεν ἐλθὼν
μνηστήρων τῶν μὲν σκέδασιν κατὰ δώματα θείη,
τιμὴν δ᾽ αὐτὸς ἔχοι καὶ δώμασιν οἷσιν ἀνάσσοι.
τὰ φρονέων, μνηστῆρσι μεθήμενος, εἴσιδ᾽ Ἀθήνην.
βῆ δ᾽ ἰθὺς προθύροιο, νεμεσσήθη δ᾽ ἐνὶ θυμῷ
ξεῖνον δηθὰ θύρῃσιν ἐφεστάμεν: ἐγγύθι δὲ στὰς
χεῖρ᾽ ἕλε δεξιτερὴν καὶ ἐδέξατο χάλκεον ἔγχος,
καί μιν φωνήσας ἔπεα πτερόεντα προσηύδα:
“χαῖρε, ξεῖνε, παρ᾽ ἄμμι φιλήσεαι: αὐτὰρ ἔπειτα
δείπνου πασσάμενος μυθήσεαι ὅττεό σε χρή.”
“ὣς εἰπὼν ἡγεῖθ᾽, ἡ δ᾽ ἕσπετο Παλλὰς Ἀθήνη.
οἱ δ᾽ ὅτε δή ῥ᾽ ἔντοσθεν ἔσαν δόμου ὑψηλοῖο,
ἔγχος μέν ῥ᾽ ἔστησε φέρων πρὸς κίονα μακρὴν
δουροδόκης ἔντοσθεν ἐυξόου, ἔνθα περ ἄλλα
ἔγχε᾽ Ὀδυσσῆος ταλασίφρονος ἵστατο πολλά,
αὐτὴν δ᾽ ἐς θρόνον εἷσεν ἄγων, ὑπὸ λῖτα πετάσσας,
καλὸν δαιδάλεον: ὑπὸ δὲ θρῆνυς ποσὶν ἦεν.
πὰρ δ᾽ αὐτὸς κλισμὸν θέτο ποικίλον, ἔκτοθεν ἄλλων
μνηστήρων, μὴ ξεῖνος ἀνιηθεὶς ὀρυμαγδῷ
δείπνῳ ἁδήσειεν, ὑπερφιάλοισι μετελθών,
ἠδ᾽ ἵνα μιν περὶ πατρὸς ἀποιχομένοιο ἔροιτο.
χέρνιβα δ᾽ ἀμφίπολος προχόῳ ἐπέχευε φέρουσα
καλῇ χρυσείῃ, ὑπὲρ ἀργυρέοιο λέβητος,
νίψασθαι: παρὰ δὲ ξεστὴν ἐτάνυσσε τράπεζαν.
σῖτον δ᾽ αἰδοίη ταμίη παρέθηκε φέρουσα,
εἴδατα πόλλ᾽ ἐπιθεῖσα, χαριζομένη παρεόντων:
δαιτρὸς δὲ κρειῶν πίνακας παρέθηκεν ἀείρας
παντοίων, παρὰ δέ σφι τίθει χρύσεια κύπελλα:
κῆρυξ δ᾽ αὐτοῖσιν θάμ᾽ ἐπῴχετο οἰνοχοεύων.
ἐς δ᾽ ἦλθον μνηστῆρες ἀγήνορες. οἱ μὲν ἔπειτα
ἑξείης ἕζοντο κατὰ κλισμούς τε θρόνους τε,
τοῖσι δὲ κήρυκες μὲν ὕδωρ ἐπὶ χεῖρας ἔχευαν,
σῖτον δὲ δμῳαὶ παρενήνεον ἐν κανέοισιν,
κοῦροι δὲ κρητῆρας ἐπεστέψαντο ποτοῖο.
οἱ δ᾽ ἐπ᾽ ὀνείαθ᾽ ἑτοῖμα προκείμενα χεῖρας ἴαλλον.
αὐτὰρ ἐπεὶ πόσιος καὶ ἐδητύος ἐξ ἔρον ἕντο
μνηστῆρες, τοῖσιν μὲν ἐνὶ φρεσὶν ἄλλα μεμήλει,
μολπή τ᾽ ὀρχηστύς τε: τὰ γὰρ τ᾽ ἀναθήματα δαιτός:
κῆρυξ δ᾽ ἐν χερσὶν κίθαριν περικαλλέα θῆκεν
Φημίῳ, ὅς ῥ᾽ ἤειδε παρὰ μνηστῆρσιν ἀνάγκῃ.
ἦ τοι ὁ φορμίζων ἀνεβάλλετο καλὸν ἀείδειν.
αὐτὰρ Τηλέμαχος προσέφη γλαυκῶπιν Ἀθήνην,
ἄγχι σχὼν κεφαλήν, ἵνα μὴ πευθοίαθ᾽ οἱ ἄλλοι:
“ξεῖνε φίλ᾽, ἦ καὶ μοι νεμεσήσεαι ὅττι κεν εἴπω;
τούτοισιν μὲν ταῦτα μέλει, κίθαρις καὶ ἀοιδή,
ῥεῖ᾽, ἐπεὶ ἀλλότριον βίοτον νήποινον ἔδουσιν,
ἀνέρος, οὗ δή που λεύκ᾽ ὀστέα πύθεται ὄμβρῳ
κείμεν᾽ ἐπ᾽ ἠπείρου, ἢ εἰν ἁλὶ κῦμα κυλίνδει.
εἰ κεῖνόν γ᾽ Ἰθάκηνδε ἰδοίατο νοστήσαντα,
πάντες κ᾽ ἀρησαίατ᾽ ἐλαφρότεροι πόδας εἶναι
ἢ ἀφνειότεροι χρυσοῖό τε ἐσθῆτός τε.
νῦν δ᾽ ὁ μὲν ὣς ἀπόλωλε κακὸν μόρον, οὐδέ τις ἡμῖν
θαλπωρή, εἴ πέρ τις ἐπιχθονίων ἀνθρώπων
φῇσιν ἐλεύσεσθαι: τοῦ δ᾽ ὤλετο νόστιμον ἦμαρ.
ἀλλ᾽ ἄγε μοι τόδε εἰπὲ καὶ ἀτρεκέως κατάλεξον:
τίς πόθεν εἰς ἀνδρῶν; πόθι τοι πόλις ἠδὲ τοκῆες;
ὁπποίης τ᾽ ἐπὶ νηὸς ἀφίκεο: πῶς δέ σε ναῦται
ἤγαγον εἰς Ἰθάκην; τίνες ἔμμεναι εὐχετόωντο;
οὐ μὲν γὰρ τί σε πεζὸν ὀίομαι ἐνθάδ᾽ ἱκέσθαι.
καί μοι τοῦτ᾽ ἀγόρευσον ἐτήτυμον, ὄφρ᾽ ἐὺ εἰδῶ,
ἠὲ νέον μεθέπεις ἦ καὶ πατρώιός ἐσσι
ξεῖνος, ἐπεὶ πολλοὶ ἴσαν ἀνέρες ἡμέτερον δῶ
ἄλλοι, ἐπεὶ καὶ κεῖνος ἐπίστροφος ἦν ἀνθρώπων.”
τὸν δ᾽ αὖτε προσέειπε θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη:
“τοιγὰρ ἐγώ τοι ταῦτα μάλ᾽ ἀτρεκέως ἀγορεύσω.
Μέντης Ἀγχιάλοιο δαΐφρονος εὔχομαι εἶναι
υἱός, ἀτὰρ Ταφίοισι φιληρέτμοισιν ἀνάσσω.
νῦν δ᾽ ὧδε ξὺν νηὶ κατήλυθον ἠδ᾽ ἑτάροισιν
πλέων ἐπὶ οἴνοπα πόντον ἐπ᾽ ἀλλοθρόους ἀνθρώπους,
ἐς Τεμέσην μετὰ χαλκόν, ἄγω δ᾽ αἴθωνα σίδηρον.
νηῦς δέ μοι ἥδ᾽ ἕστηκεν ἐπ᾽ ἀγροῦ νόσφι πόληος,
ἐν λιμένι Ῥείθρῳ ὑπὸ Νηίῳ ὑλήεντι.
ξεῖνοι δ᾽ ἀλλήλων πατρώιοι εὐχόμεθ᾽ εἶναι
ἐξ ἀρχῆς, εἴ πέρ τε γέροντ᾽ εἴρηαι ἐπελθὼν
Λαέρτην ἥρωα, τὸν οὐκέτι φασὶ πόλινδε
ἔρχεσθ᾽, ἀλλ᾽ ἀπάνευθεν ἐπ᾽ ἀγροῦ πήματα πάσχειν
γρηὶ σὺν ἀμφιπόλῳ, ἥ οἱ βρῶσίν τε πόσιν τε
παρτιθεῖ, εὖτ᾽ ἄν μιν κάματος κατὰ γυῖα λάβῃσιν
ἑρπύζοντ᾽ ἀνὰ γουνὸν ἀλωῆς οἰνοπέδοιο.
νῦν δ᾽ ἦλθον: δὴ γάρ μιν ἔφαντ᾽ ἐπιδήμιον εἶναι,
σὸν πατέρ᾽: ἀλλά νυ τόν γε θεοὶ βλάπτουσι κελεύθου.
οὐ γάρ πω τέθνηκεν ἐπὶ χθονὶ δῖος Ὀδυσσεύς,
ἀλλ᾽ ἔτι που ζωὸς κατερύκεται εὐρέι πόντῳ
νήσῳ ἐν ἀμφιρύτῃ, χαλεποὶ δέ μιν ἄνδρες ἔχουσιν
ἄγριοι, οἵ που κεῖνον ἐρυκανόωσ᾽ ἀέκοντα.
αὐτὰρ νῦν τοι ἐγὼ μαντεύσομαι, ὡς ἐνὶ θυμῷ
ἀθάνατοι βάλλουσι καὶ ὡς τελέεσθαι ὀίω,
οὔτε τι μάντις ἐὼν οὔτ᾽ οἰωνῶν σάφα εἰδώς.
οὔ τοι ἔτι δηρόν γε φίλης ἀπὸ πατρίδος αἴης
ἔσσεται, οὐδ᾽ εἴ πέρ τε σιδήρεα δέσματ᾽ ἔχῃσιν:
φράσσεται ὥς κε νέηται, ἐπεὶ πολυμήχανός ἐστιν.
ἀλλ᾽ ἄγε μοι τόδε εἰπὲ καὶ ἀτρεκέως κατάλεξον,
εἰ δὴ ἐξ αὐτοῖο τόσος πάϊς εἰς Ὀδυσῆος.
αἰνῶς μὲν κεφαλήν τε καὶ ὄμματα καλὰ ἔοικας
κείνῳ, ἐπεὶ θαμὰ τοῖον ἐμισγόμεθ᾽ ἀλλήλοισιν,
πρίν γε τὸν ἐς Τροίην ἀναβήμεναι, ἔνθα περ ἄλλοι
Ἀργείων οἱ ἄριστοι ἔβαν κοίλῃς ἐνὶ νηυσίν:
ἐκ τοῦ δ᾽ οὔτ᾽ Ὀδυσῆα ἐγὼν ἴδον οὔτ᾽ ἔμ᾽ ἐκεῖνος.”
τὴν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“τοιγὰρ ἐγώ τοι, ξεῖνε, μάλ᾽ ἀτρεκέως ἀγορεύσω.
μήτηρ μέν τέ μέ φησι τοῦ ἔμμεναι, αὐτὰρ ἐγώ γε
οὐκ οἶδ᾽: οὐ γάρ πώ τις ἑὸν γόνον αὐτὸς ἀνέγνω.
ὡς δὴ ἐγώ γ᾽ ὄφελον μάκαρός νύ τευ ἔμμεναι υἱὸς
ἀνέρος, ὃν κτεάτεσσιν ἑοῖς ἔπι γῆρας ἔτετμε.
νῦν δ᾽ ὃς ἀποτμότατος γένετο θνητῶν ἀνθρώπων,
τοῦ μ᾽ ἔκ φασι γενέσθαι, ἐπεὶ σύ με τοῦτ᾽ ἐρεείνεις.”
τὸν δ᾽ αὖτε προσέειπε θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη:
“οὐ μέν τοι γενεήν γε θεοὶ νώνυμνον ὀπίσσω
θῆκαν, ἐπεὶ σέ γε τοῖον ἐγείνατο Πηνελόπεια.
ἀλλ᾽ ἄγε μοι τόδε εἰπὲ καὶ ἀτρεκέως κατάλεξον:
τίς δαίς, τίς δὲ ὅμιλος ὅδ᾽ ἔπλετο; τίπτε δέ σε χρεώ;
εἰλαπίνη ἠὲ γάμος; ἐπεὶ οὐκ ἔρανος τάδε γ᾽ ἐστίν:
ὥς τέ μοι ὑβρίζοντες ὑπερφιάλως δοκέουσι
δαίνυσθαι κατὰ δῶμα. νεμεσσήσαιτό κεν ἀνὴρ
αἴσχεα πόλλ᾽ ὁρόων, ὅς τις πινυτός γε μετέλθοι.”
τὴν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“ξεῖν᾽, ἐπεὶ ἂρ δὴ ταῦτά μ᾽ ἀνείρεαι ἠδὲ μεταλλᾷς,
μέλλεν μέν ποτε οἶκος ὅδ᾽ ἀφνειὸς καὶ ἀμύμων
ἔμμεναι, ὄφρ᾽ ἔτι κεῖνος ἀνὴρ ἐπιδήμιος ἦεν:
νῦν δ᾽ ἑτέρως ἐβόλοντο θεοὶ κακὰ μητιόωντες,
οἳ κεῖνον μὲν ἄιστον ἐποίησαν περὶ πάντων
ἀνθρώπων, ἐπεὶ οὔ κε θανόντι περ ὧδ᾽ ἀκαχοίμην,
εἰ μετὰ οἷς ἑτάροισι δάμη Τρώων ἐνὶ δήμῳ,
ἠὲ φίλων ἐν χερσίν, ἐπεὶ πόλεμον τολύπευσεν.
τῷ κέν οἱ τύμβον μὲν ἐποίησαν Παναχαιοί,
ἠδέ κε καὶ ᾧ παιδὶ μέγα κλέος ἤρατ᾽ ὀπίσσω.
νῦν δέ μιν ἀκλειῶς ἅρπυιαι ἀνηρείψαντο:
οἴχετ᾽ ἄιστος ἄπυστος, ἐμοὶ δ᾽ ὀδύνας τε γόους τε
κάλλιπεν. οὐδέ τι κεῖνον ὀδυρόμενος στεναχίζω
οἶον, ἐπεί νύ μοι ἄλλα θεοὶ κακὰ κήδε᾽ ἔτευξαν.
ὅσσοι γὰρ νήσοισιν ἐπικρατέουσιν ἄριστοι,
Δουλιχίῳ τε Σάμῃ τε καὶ ὑλήεντι Ζακύνθῳ,
ἠδ᾽ ὅσσοι κραναὴν Ἰθάκην κάτα κοιρανέουσιν,
τόσσοι μητέρ᾽ ἐμὴν μνῶνται, τρύχουσι δὲ οἶκον.
ἡ δ᾽ οὔτ᾽ ἀρνεῖται στυγερὸν γάμον οὔτε τελευτὴν
ποιῆσαι δύναται: τοὶ δὲ φθινύθουσιν ἔδοντες
οἶκον ἐμόν: τάχα δή με διαρραίσουσι καὶ αὐτόν.”
τὸν δ᾽ ἐπαλαστήσασα προσηύδα Παλλὰς Ἀθήνη:
“ὢ πόποι, ἦ δὴ πολλὸν ἀποιχομένου Ὀδυσῆος
δεύῃ, ὅ κε μνηστῆρσιν ἀναιδέσι χεῖρας ἐφείη.
εἰ γὰρ νῦν ἐλθὼν δόμου ἐν πρώτῃσι θύρῃσι
σταίη, ἔχων πήληκα καὶ ἀσπίδα καὶ δύο δοῦρε,
τοῖος ἐὼν οἷόν μιν ἐγὼ τὰ πρῶτ᾽ ἐνόησα
οἴκῳ ἐν ἡμετέρῳ πίνοντά τε τερπόμενόν τε,
ἐξ Ἐφύρης ἀνιόντα παρ᾽ Ἴλου Μερμερίδαο—
ᾤχετο γὰρ καὶ κεῖσε θοῆς ἐπὶ νηὸς Ὀδυσσεὺς
φάρμακον ἀνδροφόνον διζήμενος, ὄφρα οἱ εἴη
ἰοὺς χρίεσθαι χαλκήρεας: ἀλλ᾽ ὁ μὲν οὔ οἱ
δῶκεν, ἐπεί ῥα θεοὺς νεμεσίζετο αἰὲν ἐόντας,
ἀλλὰ πατήρ οἱ δῶκεν ἐμός: φιλέεσκε γὰρ αἰνῶς—
τοῖος ἐὼν μνηστῆρσιν ὁμιλήσειεν Ὀδυσσεύς:
πάντες κ᾽ ὠκύμοροί τε γενοίατο πικρόγαμοί τε.
ἀλλ᾽ ἦ τοι μὲν ταῦτα θεῶν ἐν γούνασι κεῖται,
ἤ κεν νοστήσας ἀποτίσεται, ἦε καὶ οὐκί,
οἷσιν ἐνὶ μεγάροισι: σὲ δὲ φράζεσθαι ἄνωγα,
ὅππως κε μνηστῆρας ἀπώσεαι ἐκ μεγάροιο.
εἰ δ᾽ ἄγε νῦν ξυνίει καὶ ἐμῶν ἐμπάζεο μύθων:
αὔριον εἰς ἀγορὴν καλέσας ἥρωας Ἀχαιοὺς
μῦθον πέφραδε πᾶσι, θεοὶ δ᾽ ἐπὶ μάρτυροι ἔστων.
μνηστῆρας μὲν ἐπὶ σφέτερα σκίδνασθαι ἄνωχθι,
μητέρα δ᾽, εἴ οἱ θυμὸς ἐφορμᾶται γαμέεσθαι,
ἂψ ἴτω ἐς μέγαρον πατρὸς μέγα δυναμένοιο:
οἱ δὲ γάμον τεύξουσι καὶ ἀρτυνέουσιν ἔεδνα
πολλὰ μάλ᾽, ὅσσα ἔοικε φίλης ἐπὶ παιδὸς ἕπεσθαι.
σοὶ δ᾽ αὐτῷ πυκινῶς ὑποθήσομαι, αἴ κε πίθηαι:
νῆ᾽ ἄρσας ἐρέτῃσιν ἐείκοσιν, ἥ τις ἀρίστη,
ἔρχεο πευσόμενος πατρὸς δὴν οἰχομένοιο,
ἤν τίς τοι εἴπῃσι βροτῶν, ἢ ὄσσαν ἀκούσῃς
ἐκ Διός, ἥ τε μάλιστα φέρει κλέος ἀνθρώποισι.
πρῶτα μὲν ἐς Πύλον ἐλθὲ καὶ εἴρεο Νέστορα δῖον,
κεῖθεν δὲ Σπάρτηνδε παρὰ ξανθὸν Μενέλαον:
ὃς γὰρ δεύτατος ἦλθεν Ἀχαιῶν χαλκοχιτώνων.
εἰ μέν κεν πατρὸς βίοτον καὶ νόστον ἀκούσῃς,
ἦ τ᾽ ἂν τρυχόμενός περ ἔτι τλαίης ἐνιαυτόν:
εἰ δέ κε τεθνηῶτος ἀκούσῃς μηδ᾽ ἔτ᾽ ἐόντος,
νοστήσας δὴ ἔπειτα φίλην ἐς πατρίδα γαῖαν
σῆμά τέ οἱ χεῦαι καὶ ἐπὶ κτέρεα κτερεΐξαι
πολλὰ μάλ᾽, ὅσσα ἔοικε, καὶ ἀνέρι μητέρα δοῦναι.
αὐτὰρ ἐπὴν δὴ ταῦτα τελευτήσῃς τε καὶ ἔρξῃς,
φράζεσθαι δὴ ἔπειτα κατὰ φρένα καὶ κατὰ θυμὸν
ὅππως κε μνηστῆρας ἐνὶ μεγάροισι τεοῖσι
κτείνῃς ἠὲ δόλῳ ἢ ἀμφαδόν: οὐδέ τί σε χρὴ
νηπιάας ὀχέειν, ἐπεὶ οὐκέτι τηλίκος ἐσσι.
ἢ οὐκ ἀίεις οἷον κλέος ἔλλαβε δῖος Ὀρέστης
πάντας ἐπ᾽ ἀνθρώπους, ἐπεὶ ἔκτανε πατροφονῆα,
Αἴγισθον δολόμητιν, ὅ οἱ πατέρα κλυτὸν ἔκτα;
καὶ σύ, φίλος, μάλα γάρ σ᾽ ὁρόω καλόν τε μέγαν τε,
ἄλκιμος ἔσσ᾽, ἵνα τίς σε καὶ ὀψιγόνων ἐὺ εἴπῃ.
αὐτὰρ ἐγὼν ἐπὶ νῆα θοὴν κατελεύσομαι ἤδη
ἠδ᾽ ἑτάρους, οἵ πού με μάλ᾽ ἀσχαλόωσι μένοντες:
σοὶ δ᾽ αὐτῷ μελέτω, καὶ ἐμῶν ἐμπάζεο μύθων.”
τὴν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“ξεῖν᾽, ἦ τοι μὲν ταῦτα φίλα φρονέων ἀγορεύεις,
ὥς τε πατὴρ ᾧ παιδί, καὶ οὔ ποτε λήσομαι αὐτῶν.
ἀλλ᾽ ἄγε νῦν ἐπίμεινον, ἐπειγόμενός περ ὁδοῖο,
ὄφρα λοεσσάμενός τε τεταρπόμενός τε φίλον κῆρ,
δῶρον ἔχων ἐπὶ νῆα κίῃς, χαίρων ἐνὶ θυμῷ,
τιμῆεν, μάλα καλόν, ὅ τοι κειμήλιον ἔσται
ἐξ ἐμεῦ, οἷα φίλοι ξεῖνοι ξείνοισι διδοῦσι.”
τὸν δ᾽ ἠμείβετ᾽ ἔπειτα θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη:
“μή μ᾽ ἔτι νῦν κατέρυκε, λιλαιόμενόν περ ὁδοῖο.
δῶρον δ᾽ ὅττι κέ μοι δοῦναι φίλον ἦτορ ἀνώγῃ,
αὖτις ἀνερχομένῳ δόμεναι οἶκόνδε φέρεσθαι,
καὶ μάλα καλὸν ἑλών: σοὶ δ᾽ ἄξιον ἔσται ἀμοιβῆς.”
ἡ μὲν ἄρ᾽ ὣς εἰποῦσ᾽ ἀπέβη γλαυκῶπις Ἀθήνη,
ὄρνις δ᾽ ὣς ἀνόπαια διέπτατο: τῷ δ᾽ ἐνὶ θυμῷ
θῆκε μένος καὶ θάρσος, ὑπέμνησέν τέ ἑ πατρὸς
μᾶλλον ἔτ᾽ ἢ τὸ πάροιθεν. ὁ δὲ φρεσὶν ᾗσι νοήσας
θάμβησεν κατὰ θυμόν: ὀίσατο γὰρ θεὸν εἶναι.
αὐτίκα δὲ μνηστῆρας ἐπῴχετο ἰσόθεος φώς.
τοῖσι δ᾽ ἀοιδὸς ἄειδε περικλυτός, οἱ δὲ σιωπῇ
ἥατ᾽ ἀκούοντες: ὁ δ᾽ Ἀχαιῶν νόστον ἄειδε
λυγρόν, ὃν ἐκ Τροίης ἐπετείλατο Παλλὰς Ἀθήνη.
τοῦ δ᾽ ὑπερωιόθεν φρεσὶ σύνθετο θέσπιν ἀοιδὴν
κούρη Ἰκαρίοιο, περίφρων Πηνελόπεια:
κλίμακα δ᾽ ὑψηλὴν κατεβήσετο οἷο δόμοιο,
οὐκ οἴη, ἅμα τῇ γε καὶ ἀμφίπολοι δύ᾽ ἕποντο.
ἡ δ᾽ ὅτε δὴ μνηστῆρας ἀφίκετο δῖα γυναικῶν,
στῆ ῥα παρὰ σταθμὸν τέγεος πύκα ποιητοῖο,
ἄντα παρειάων σχομένη λιπαρὰ κρήδεμνα:
ἀμφίπολος δ᾽ ἄρα οἱ κεδνὴ ἑκάτερθε παρέστη.
δακρύσασα δ᾽ ἔπειτα προσηύδα θεῖον ἀοιδόν:
“Φήμιε, πολλὰ γὰρ ἄλλα βροτῶν θελκτήρια οἶδας,
ἔργ᾽ ἀνδρῶν τε θεῶν τε, τά τε κλείουσιν ἀοιδοί:
τῶν ἕν γέ σφιν ἄειδε παρήμενος, οἱ δὲ σιωπῇ
οἶνον πινόντων: ταύτης δ᾽ ἀποπαύε᾽ ἀοιδῆς
λυγρῆς, ἥ τέ μοι αἰεὶ ἐνὶ στήθεσσι φίλον κῆρ
τείρει, ἐπεί με μάλιστα καθίκετο πένθος ἄλαστον.
τοίην γὰρ κεφαλὴν ποθέω μεμνημένη αἰεί,
ἀνδρός, τοῦ κλέος εὐρὺ καθ᾽ Ἑλλάδα καὶ μέσον Ἄργος.”
τὴν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“μῆτερ ἐμή, τί τ᾽ ἄρα φθονέεις ἐρίηρον ἀοιδὸν
τέρπειν ὅππῃ οἱ νόος ὄρνυται; οὔ νύ τ᾽ ἀοιδοὶ
αἴτιοι, ἀλλά ποθι Ζεὺς αἴτιος, ὅς τε δίδωσιν
ἀνδράσιν ἀλφηστῇσιν, ὅπως ἐθέλῃσιν, ἑκάστῳ.
τούτῳ δ᾽ οὐ νέμεσις Δαναῶν κακὸν οἶτον ἀείδειν:
τὴν γὰρ ἀοιδὴν μᾶλλον ἐπικλείουσ᾽ ἄνθρωποι,
ἥ τις ἀκουόντεσσι νεωτάτη ἀμφιπέληται.
σοί δ᾽ ἐπιτολμάτω κραδίη καὶ θυμὸς ἀκούειν:
οὐ γὰρ Ὀδυσσεὺς οἶος ἀπώλεσε νόστιμον ἦμαρ
ἐν Τροίῃ, πολλοὶ δὲ καὶ ἄλλοι φῶτες ὄλοντο.
ἀλλ᾽ εἰς οἶκον ἰοῦσα τὰ σ᾽ αὐτῆς ἔργα κόμιζε,
ἱστόν τ᾽ ἠλακάτην τε, καὶ ἀμφιπόλοισι κέλευε
ἔργον ἐποίχεσθαι: μῦθος δ᾽ ἄνδρεσσι μελήσει
πᾶσι, μάλιστα δ᾽ ἐμοί: τοῦ γὰρ κράτος ἔστ᾽ ἐνὶ οἴκῳ.”
ἡ μὲν θαμβήσασα πάλιν οἶκόνδε βεβήκει:
παιδὸς γὰρ μῦθον πεπνυμένον ἔνθετο θυμῷ.
ἐς δ᾽ ὑπερῷ᾽ ἀναβᾶσα σὺν ἀμφιπόλοισι γυναιξὶ
κλαῖεν ἔπειτ᾽ Ὀδυσῆα φίλον πόσιν, ὄφρα οἱ ὕπνον
ἡδὺν ἐπὶ βλεφάροισι βάλε γλαυκῶπις Ἀθήνη.
μνηστῆρες δ᾽ ὁμάδησαν ἀνὰ μέγαρα σκιόεντα,
πάντες δ᾽ ἠρήσαντο παραὶ λεχέεσσι κλιθῆναι.
τοῖσι δὲ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἤρχετο μύθων:
“μητρὸς ἐμῆς μνηστῆρες ὑπέρβιον ὕβριν ἔχοντες,
νῦν μὲν δαινύμενοι τερπώμεθα, μηδὲ βοητὺς
ἔστω, ἐπεὶ τόδε καλὸν ἀκουέμεν ἐστὶν ἀοιδοῦ
τοιοῦδ᾽ οἷος ὅδ᾽ ἐστί, θεοῖς ἐναλίγκιος αὐδήν.
ἠῶθεν δ᾽ ἀγορήνδε καθεζώμεσθα κιόντες
πάντες, ἵν᾽ ὕμιν μῦθον ἀπηλεγέως ἀποείπω,
ἐξιέναι μεγάρων: ἄλλας δ᾽ ἀλεγύνετε δαῖτας,
ὑμὰ κτήματ᾽ ἔδοντες, ἀμειβόμενοι κατὰ οἴκους.
εἰ δ᾽ ὕμιν δοκέει τόδε λωίτερον καὶ ἄμεινον
ἔμμεναι, ἀνδρὸς ἑνὸς βίοτον νήποινον ὀλέσθαι,
κείρετ᾽: ἐγὼ δὲ θεοὺς ἐπιβώσομαι αἰὲν ἐόντας,
αἴ κέ ποθι Ζεὺς δῷσι παλίντιτα ἔργα γενέσθαι:
νήποινοί κεν ἔπειτα δόμων ἔντοσθεν ὄλοισθε.”
“ὣς ἔφαθ᾽, οἱ δ᾽ ἄρα πάντες ὀδὰξ ἐν χείλεσι φύντες
Τηλέμαχον θαύμαζον, ὃ θαρσαλέως ἀγόρευεν.
τὸν δ᾽ αὖτ᾽ Ἀντίνοος προσέφη, Εὐπείθεος υἱός:
“Τηλέμαχ᾽, ἦ μάλα δή σε διδάσκουσιν θεοὶ αὐτοὶ
ὑψαγόρην τ᾽ ἔμεναι καὶ θαρσαλέως ἀγορεύειν:
μὴ σέ γ᾽ ἐν ἀμφιάλῳ Ἰθάκῃ βασιλῆα Κρονίων
ποιήσειεν, ὅ τοι γενεῇ πατρώιόν ἐστιν.”
τὸν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“Ἀντίνο᾽, ἦ καί μοι νεμεσήσεαι ὅττι κεν εἴπω;
καὶ κεν τοῦτ᾽ ἐθέλοιμι Διός γε διδόντος ἀρέσθαι.
ἦ φῂς τοῦτο κάκιστον ἐν ἀνθρώποισι τετύχθαι;
οὐ μὲν γάρ τι κακὸν βασιλευέμεν: αἶψά τέ οἱ δῶ
ἀφνειὸν πέλεται καὶ τιμηέστερος αὐτός.
ἀλλ᾽ ἦ τοι βασιλῆες Ἀχαιῶν εἰσὶ καὶ ἄλλοι
πολλοὶ ἐν ἀμφιάλῳ Ἰθάκῃ, νέοι ἠδὲ παλαιοί,
τῶν κέν τις τόδ᾽ ἔχῃσιν, ἐπεὶ θάνε δῖος Ὀδυσσεύς:
αὐτὰρ ἐγὼν οἴκοιο ἄναξ ἔσομ᾽ ἡμετέροιο
καὶ δμώων, οὕς μοι ληίσσατο δῖος Ὀδυσσεύς.”
τὸν δ᾽ αὖτ᾽ Εὐρύμαχος Πολύβου πάϊς ἀντίον ηὔδα:
“Τηλέμαχ᾽, ἦ τοι ταῦτα θεῶν ἐν γούνασι κεῖται,
ὅς τις ἐν ἀμφιάλῳ Ἰθάκῃ βασιλεύσει Ἀχαιῶν:
κτήματα δ᾽ αὐτὸς ἔχοις καὶ δώμασιν οἷσιν ἀνάσσοις.
μὴ γὰρ ὅ γ᾽ ἔλθοι ἀνὴρ ὅς τίς σ᾽ ἀέκοντα βίηφιν
κτήματ᾽ ἀπορραίσει, Ἰθάκης ἔτι ναιετοώσης.
ἀλλ᾽ ἐθέλω σε, φέριστε, περὶ ξείνοιο ἐρέσθαι,
ὁππόθεν οὗτος ἀνήρ, ποίης δ᾽ ἐξ εὔχεται εἶναι
γαίης, ποῦ δέ νύ οἱ γενεὴ καὶ πατρὶς ἄρουρα.
ἠέ τιν᾽ ἀγγελίην πατρὸς φέρει ἐρχομένοιο,
ἦ ἑὸν αὐτοῦ χρεῖος ἐελδόμενος τόδ᾽ ἱκάνει;
οἷον ἀναΐξας ἄφαρ οἴχεται, οὐδ᾽ ὑπέμεινε
γνώμεναι: οὐ μὲν γάρ τι κακῷ εἰς ὦπα ἐῴκει.”
τὸν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“Εὐρύμαχ᾽, ἦ τοι νόστος ἀπώλετο πατρὸς ἐμοῖο:
οὔτ᾽ οὖν ἀγγελίῃ ἔτι πείθομαι, εἴ ποθεν ἔλθοι,
οὔτε θεοπροπίης ἐμπάζομαι, ἥν τινα μήτηρ
ἐς μέγαρον καλέσασα θεοπρόπον ἐξερέηται.
ξεῖνος δ᾽ οὗτος ἐμὸς πατρώιος ἐκ Τάφου ἐστίν,
Μέντης δ᾽ Ἀγχιάλοιο δαΐφρονος εὔχεται εἶναι
υἱός, ἀτὰρ Ταφίοισι φιληρέτμοισιν ἀνάσσει.”
ὣς φάτο Τηλέμαχος, φρεσὶ δ᾽ ἀθανάτην θεὸν ἔγνω.
οἱ δ᾽ εἰς ὀρχηστύν τε καὶ ἱμερόεσσαν ἀοιδὴν
τρεψάμενοι τέρποντο, μένον δ᾽ ἐπὶ ἕσπερον ἐλθεῖν.
τοῖσι δὲ τερπομένοισι μέλας ἐπὶ ἕσπερος ἦλθε:
δὴ τότε κακκείοντες ἔβαν οἶκόνδε ἕκαστος.
Τηλέμαχος δ᾽, ὅθι οἱ θάλαμος περικαλλέος αὐλῆς
ὑψηλὸς δέδμητο περισκέπτῳ ἐνὶ χώρῳ,
ἔνθ᾽ ἔβη εἰς εὐνὴν πολλὰ φρεσὶ μερμηρίζων.
τῷ δ᾽ ἄρ᾽ ἅμ᾽ αἰθομένας δαΐδας φέρε κεδνὰ ἰδυῖα
Εὐρύκλει᾽, Ὦπος θυγάτηρ Πεισηνορίδαο,
τήν ποτε Λαέρτης πρίατο κτεάτεσσιν ἑοῖσιν
πρωθήβην ἔτ᾽ ἐοῦσαν, ἐεικοσάβοια δ᾽ ἔδωκεν,
ἶσα δέ μιν κεδνῇ ἀλόχῳ τίεν ἐν μεγάροισιν,
εὐνῇ δ᾽ οὔ ποτ᾽ ἔμικτο, χόλον δ᾽ ἀλέεινε γυναικός:
ἥ οἱ ἅμ᾽ αἰθομένας δαΐδας φέρε, καί ἑ μάλιστα
δμῳάων φιλέεσκε, καὶ ἔτρεφε τυτθὸν ἐόντα.
ὤιξεν δὲ θύρας θαλάμου πύκα ποιητοῖο,
ἕζετο δ᾽ ἐν λέκτρῳ, μαλακὸν δ᾽ ἔκδυνε χιτῶνα:
καὶ τὸν μὲν γραίης πυκιμηδέος ἔμβαλε χερσίν.
ἡ μὲν τὸν πτύξασα καὶ ἀσκήσασα χιτῶνα,
πασσάλῳ ἀγκρεμάσασα παρὰ τρητοῖσι λέχεσσι
βῆ ῥ᾽ ἴμεν ἐκ θαλάμοιο, θύρην δ᾽ ἐπέρυσσε κορώνῃ
ἀργυρέῃ, ἐπὶ δὲ κληῖδ᾽ ἐτάνυσσεν ἱμάντι.
ἔνθ᾽ ὅ γε παννύχιος, κεκαλυμμένος οἰὸς ἀώτῳ,
βούλευε φρεσὶν ᾗσιν ὁδὸν τὴν πέφραδ᾽ Ἀθήνη.[1]
LE SECOND LIVRE DE l'Odyſſee d'Homere.
QVAND la uermeillɇ Aurore produiſant
Le point du iour, fut ſus terre luiſant,
Le filz treſcher d'Vlyſſe tout ſubit
Du lit ſe leuɇ, & prend ſon richɇ habit,
Et ſon eſpeɇ a l'aceree pointe
Entour l'eſpaulɇ en eſcharpɇ il appointe:
Puis ſoubz ſes piez faittiz i aſſorti
22
Ses beaux ſouliers. En l'estat est ſorti
Du cabinet, ſemblable, qui l'eust ioint,
A quelque Dieu. Lors ſoudain il enioint
Aux trompeteurs, pour tel affairɇ eluz
De conuocquer les Greg'oîs cheueluz
A l'aſſembleɇ: Iceux les appellerent,
Qui tout ſoudain a ce cry s'aſſemblerent:
Leſquelz uenuz & amaßez tous preſtz,
Au conſiſtoirɇ il s'en alla apres,
Sa forte hachɇ en ſa main il tenait,
Et n'estoit ſeul, mais auec ſoy menoit
Deux chiens legers le ſuiuans a la trace:
Si luy inſpirɇ une diuine grace
Dame Mineruɇ: & le peuplɇ a monceau
S'eſmerueilloit de uoir le iouuenceau
En arriuant au conſeil ſolennel,
Il s'eſt aßis au throne paternel:
Tous les Seigneurs, & meſme les plus uieux
Luy ont fait placɇ. Et alors parmi eux
Vint harenguer le princɇ Egyptien,
Courbɇ & uoulté tant eſtoit ancien:
Il eſtoit ſagɇ, & beacoup il ſauoit,
Et autrefois un cher filz qu'il auoit
Le preux Vlyſſɇ a Troyɇ auoit conduit,
Troyɇ la grand' qui beauz cheuaux produit:
Il s'appeloit Antiphɇ hommɇ a la main,
Qui fut tué du Cyclop' inhumain
En ſa cauerne: & de tous fut celuy
Qui le dernier fut deuoré de luy:
Trois autres filz auoit encor' uiuans,
L'un qui hantoit auec les Pourſuiuans
Dit Eurymon: les autres deux eſtoient
A la maiſon, qui ſans ceſſe traittoient
L'art de leur perɇ: & luy pour tout cela
Ne pouoit pas oublier celuy la,
Le regrettant auec ennuy & deuil:
Si commença en gettant larmes d'euil
A harenguer d'une uoix foible & tendre:
O Ithacquois, dit it, ueuillez entendre
A mon parler: Il eſt aſſez notoire
Que n'auons point tenu le conſiſtoire
Ny le conſeil par accord unanime,
Depuis le temps qu'Vlyſſe magnanime
Partit d'icy en ſes uaiſſeaux cauez:
Mais maintenant dittes, ſi uous ſauez,
Qui c'eſt qui a ce concilɇ excité:
Auquel pourroit ſi grand' neceßité
Estrɇ auenuɇ entre tant que nous ſommes,
Soient iouuenceauz ou deſia agez hōmes.
Y a il point perſonne qui recite,
Que lon ait ueu reuenir l'exercite,
Affin qu'a tous publicquement réuele
23
D'ou il en ſait la premiere nouuelle?
Ou s'il a point quelque cas fauorable
A propoſer? Il eſt fort ſecourable
Quiconquɇ il ſoit, & de tresbon affaire:
A mon uouloir que tout ce qu'il ueult faire
Heureuſement Iupiter l'accompliſſe.
Ainſi a dit: & le cher filz d'Vlyſſe
Fut tout ioyeux, alors qu'il apperceut
Louer ſon perɇ, & tenir ne ſe ſeul
Long temps aßis, ains auec promptitude
De harenguer dauant la multitude
En plain milieu de tous il l'eſt planté:
Et puis luy a le ſceptre preſenté
Le trompeteur Piſenor, fort ſauant
En bon conſeil. Si s'approchɇ en auant
Vers le bon hommɇ, & a parlé ainſi:
Pere, dit il, il n'est pas loing d'icy
Celuy qui c'eſt, & le ſaurez tantost:
Ceſt moy qui ay fait aſſembler ſi toſt
Ce peuplɇ icy, pour ce que grandement
Suis affligé en mon entendement:
Non, ie n'ay ueu perſonne qui recite
Que lon ait ueu reuenir l'exercite,
Affin qu'a tous en publicq' ie réuele
D'ou i'en ay ſeu la premiere nouuelle:
Et außi n'ay iɇ aucun cas fauorable
A propoſer: mais moy, las, miſerable
Tant ſeulement ueux propoſer le trouble
De ma maiſon, qui m'eſt auenu double:
Le premier est, que mon cher perɇ & doulx
Ay ia perdu, Meſsieurs, qui d'entre uous,
Iadis fut Roy, & tant qu'il a esté
S'eſt monſtré plein de debonnaireté:
L'autre meſchef qui est encor' plus grief,
Qui ma maiſon ruinera de brief,
Et ne faudra a destruire ma uie,
C'est que ma merɇ est chez nous pourſuiuie
Contre ſon gré de muguetz angoiſſeux
Et importuns: ce ſont les filz de ceux
Qui ſont icy, gens d'honneur non uulgaire:
Ilz n'oſent pas s'en aller a Icaire
Le pere d'ellɇ, affin qu'il luy ordonne
Son mariagɇ, & meſmes qu'il la donne
A l'un d'entr' eux ou ſe uoudra fier,
Et uiegnɇ a luy pour luy gratifier:
Trop bien dedens noſtre maiſon ſe ruent,
Beufz & moutons, & graſſes cheures tuent,
Faiſans bancquetz tous les matins & ſoirs
Fort ſomptueux, & beuuans noz uins noirs
A leur plaiſir, & tout a grand' foiſon:
Car maintenant n'y a en la maiſon
Homme de cueur commɇ a esté Vlyſſe,
24
Oui preſeruer de dommage la puiße:
Quand est de nous, telz nous ne ſommes point
De nous pouuoir reuenger, außi ioint
Que ſommes tous & foibles & ſans armes,
Et non inſtruiz aux martiaux allarmes:
Mais de ma part ſi i'estoiɇ aſſez fort,
Ie uengeroi" uolontiers ceſt effort
Que lon me fait: car y a il raiſon
Que lon deſtruiſɇ en ce point ma maiſon?
Endurez en, uous Meßieurs, les reproches,
Et tenez bon contre uoz uoiſins proches
D'icy autour: au moins craignez les Dieux,
Que quelque fois par courroux odieux
Sus uoſtre chef ne detournent l'iniure:
Par Iupiter celeſte uous aiure,
Et par Themis qui hommes deſaſſemble
Et leur conſeil, & les fait ſoir enſemble,
Ceſſez, amis, ceſſez, ie uous en prie,
Et permettez que ie lamentɇ & crie,
Et que tout ſeul mes iours ainſi finiſſe:
Si ce n'eſtoit que mon cher perɇ Vlyſſe
Euſt autreſfois en ſon marri courage
Aux fors Greg'ois machiné quelque outrage,
Et de ces maux recors & irritez
Ceulx cy aiez contre moy ſuſcitez,
Et que ie ſoyɇ encores bien tenu.
Que uous mangiez mon bien & reuenu:
Et puis qu'ainſi uous meſmes le mangez,
Nous en ſerons, peut eſtrɇ, un iour uengez:
Car au conſeil nous nous amaſſerons
Souuent & tant, & ia ne ceſſerons
De demander nostre bien pretendu,
Iuſques a tant que tout nous ſoit rendu:
Mais maintenant ſans cauſe ny couleur
Vous me donnez au cueur ceſte douleur.
Apres ces motz, pour le deuil qui le ſerre,
Le royal ſceptrɇ a getté contre terre,
Des pleurans yeux fontaines degouttant,
Dont eut pitié tout le peuplɇ eſcoutant,
Lors en ſilencɇ eſt demeuré chacun,
Et nul ne peut reſpondre mot aucun
Au propos grauɇ & raßis qu'il leur dit,
Fors Antinois, lequel ſeul reſpondit:
Tu es, dit il, trop fier & prompt a dire,
O Thelemacquɇ, & impatient d'ire:
Ie n'entens point ce que nous improperes,
Nous ueux tu bien faire telz uituperes?
Non non, les Grecz Pourſuiuans ne ſont point
Cauſe du mal & douleur qui te point,
Mais ſeulement celle que tu excuſes
Ta merɇ inſtruittɇ en cautelles & ruſes:
Car deſia est expiré l'an troiſieſme,
25
Et tost ſera acheué le quatrieſme,
Qu'elle touſiours les cueurs de nous Greg'ois
Tient en ſuſpens, & tous ſans aucun chois
Fait eſperer, & a chacun tranſmet
Vn meßager, & a part luy promet:
Mais ell' a bien la penſee diuerſe,
Ayant ſongé unɇ aſtuce peruerſe
En ſon eſprit: & pour luy donner uoile,
Ell' a aßis une piece de toile
Sus le mestier menuɇ & de long œuure:
Puis tout ſoudain a nous tous ſe deſcœuure,
En nous diſant: Meßieurs mes pourſuiuans,
Puis que n'est plus au nombre des uiuans
Le preux Vlyſſɇ, un peu uous faut attendre,
Et ne laiſſez a mes noces pretendre,
Iuſques a tant qu'au bon homme Laërte
(Car ie ne ueux de mon fil faire perte)
I'ayɇ acheué un funeral habit:
Que quant uiendra le iour de ſon obit,
Ie ne ſoy' point par les matrones Grecques
Blaſmeɇ au peuplɇ, en faiſant les obſeques
Et enterrant ſans robɇ un perſonnage,
Qui fut ſi richɇ & puiſſant en ſon age.
Ainſi diſoit, & nous encor' un coup
Gens de bon cueur eſperames beaucoup.
Or bien, de iour ſa toilɇ a longs ennuiz
Elle tißoiẗ: mais puis apres les nuitz
En deſfaiſait autant a la chandelle:
Ainſi trois ans par la fineſſe d'elle
Furent les Grecs en ceſt eſpoir tenuz.
Le temps prefix, & les quatrɇ ans uenuz,
Vne ſeruantɇ aiant de tout cela
Cenainɇ eſprouuɇ, en fin la decela,
En nous diſant: nous l'auons apperceue
Qui deſfaiſoit ſa toile bien tißue,
Laquellɇ auoit finie par conireinte
Contre ſon gré. Si te diſent ſans feinte
Les Pourſuiuans, affin que n'en ignores
En ton eſprit, ny tous les Grecz encores,
Ne retien plus ta merɇ, & la renuoye,
L'auertiſſant que de brief ſe pouruoye
D'un mariagɇ au bon gré de ſon pere,
Et d'ellɇ außi, mais s'elle delibere
De trauailler long temps les filz des Grecz,
Voulant s'aider des tours fins & ſegretz,
Et du mestier, de l'eſprit, & du ſtile
Qu'ell' a appris de Miuerue ſubtile,
Voire plus grand que femme n'a oncq' eu,
Et meſmement celles qui ont ueſcu
Par cy dauant en ces cas honorees,
Femmes de Grecɇ aux perrucques dorees,
Tiron, Alcmenɇ, & Micene la blonde:
26
Le haut ſauoir dont Penelopɇ abonde
Est de beaucoup celles la ſurmontant:
Mais le uray point n'a entendu pourtant:
Car ta ſustance & tout ton reuenu
Ilz mangeront trestous par le menu,
Tant qu'elle aura ce cueur, que par doctrine
Luy ont les Dieux fiché en la poictrine.
Vray eſt qu'a ell' en uient Men grand louange,
Mais ce pendant ton reuenu ſe mange:
De nous, iamais n'irons a noz negoces,
Ny autre part, iuſqu'a tant que les noces
Conclutes ſoient, tout a ſon gré & chois
Auecques l'un de nous autres Greg'ois.
Lors le prudent Thelemacque luy dit:
O Antinois, la raiſon m'interdit
De dechaſſer, tant qu'ell' y uoudra estre,
De ma maiſon celle qui m'a fait naiſtre,
Qui m'a nourry: Mon pere pour certain,
Soit uif, ſoit mort, eſt en pais lointain:
Et pour autant me faſcheroit beaucoup
De rendrɇ ainſi pluſieurs choſes au coup
Au perɇ Icairɇ, en dechiſſant ma mere:
Et puis ie crains les noiſes de mon pere,
Et Dieu außi, lequel me punira
D'autre malheur: Car quand el' s'en ira
De la maiſon, auec ſes maurriſſons
Me donnera cent mille maudiſſons,
Dont ie ſeray enuers tous deſormais
Scandalizé: Cela fait que iamais
Ie ne pourroyɇ auoir ſi marri cueur,
De luy tenir telz termes de rigueur,
Mais ſi en uous auez dueil & émoy
De tout cela, Sus, uidez de chez moy,
Allez chercher autre part uoz banquetz,
Allez manger uos terres & acquestz,
Et uous traittez chacun ſon tour enſemble
En uoz maiſons: Mais ſi cela uous ſemble
Honneſtɇ & bon de manger la ſustance
D'un homme ſeul, ſans nulle reſiſtance,
Bien, mangez la: mais les Dieux eternelz
Protesteray auec ueuz ſolennelz,
Que ſi iamais Iupiter ueult donner,
Que uoz forfaitz ſe doiuent guerdonner,
Sans que uiuant uous puiſſe ſecourir
Ie uous feray chez moy trestous mourir.
Encor' ces mots Thelemacque acheuoit,
Que Iupiter qui tout au large uoit,
Luy a tranſmis des Aigles par les nues,
Qui du ſommet d'un haut mont ſont uenues
Tenans leur uol ſelon le uent, & elles
S'entreioignaient en demenant les ælles:
Puis quand ce uint qu'eurent fait leur deſcente,
27
Et abbordé la nobleße preſente,
Alentour d'eux elles on fait entorſe,
Et ont ſecous des plumes a grand' force:
Et ne cherchoient de tous que le uiſage,
En denotant de meurdre le preſage:
La facɇ & yeux des grifes leur poignoient,
Et tout entour le col leur empongnoient:
De la ont fait impetuoſité
Du coſté droit par toute leur cité
Et leurs maiſons: Et grand' frayeur ilz eurent,
Quand de leurs yeux ces oiſeauz apperceurent:
Et a part ſoy uindrent imaginer
A quelle fin tout deuoit terminer.
Lors a parlé le uieil princɇ Alitherſe
Filz de Maſtor, pour ce qu'en la diuerſe
Bende de ceux qui l'auoient conuerſé,
Il estoit ſeul qui s'estoit exercé
A bien iuger des oiſeauz & augures,
Et rapporter leurs ſignes & figures:
Luy qui auoit bous auis & raiſon,
Aux aßistans a fait tellɇ oraiſon:
O Ithacquois, ie uous pri' qu'on eſcoute
Ce que diray: & ma parolle toute
Expreſſement aux Pourſuiuans s'adreſſe,
Contre leſquelz un grand malheur ſe dreſſe:
Car ie uoy bien qu'Vlyſſe ne doit plus
De ſon pais estre long temps exclus:
Mais ſa uenuɇ eſtant prochainɇ & preſte
Contr'eux treſtous il bátiſt & appreſte
Grand meurdrɇ & mort: & de ce dur encombre
Se ſentira meſmement un grand nombre
De ceux d'Ithacquɇ en droit midy aßiſe:
Mais ie uous pri' qu'entre nous ſoit deciſe
Ceste matierɇ en conſultation,
Faiſons aux Dieux la ſupplication,
Pour détourner de uous la malheurté,
Et ce bien tost, pour uostre grand' ſeurté
Ie ne metz point tout cecy en auant
A la uoleɇ, ainçols comme ſauant:
Car ie uous dy que tout aura effet,
Commɇ autresfois diſcours luy en ay fait,
Quand les Greg'ois s'en allerent d'icy
Iuſques a Troyɇ, & auec eux außi
Le ſagɇ Vlyſſɇ: & luy predi comment
Il ſouffriroit grand ennuy & torment,
Et que tous ceulx de ſa bendɇ il perdroit:
Puis la uingtieſme annee reuiendroit
En ſa maiſon, incongnu de tout homme:
Or maintenant tout cela ſe conſomme
De point en point. Eurymacque ſuſdit
Filz de Polybɇ, en ce point reſpondit:
Allez uous en chez uous, o faux uieillard,
28
Allez porter a uos filz ce uieil art
De prophetiɇ, affin qu'aucun meſchef
A l'auenir ne tombe ſus leur chef:
Ie pourroi' bien mieux que uous deuiner
De tout cecy: car on uoit cheminer
Pluſieurs oiſeauz ſoubz le Soleil inſigne,
Qui n'ont pas tous auec eux certain ſigne
De bien ou mal. Par tant bien dire i'oſe
Qu'Vlyſſɇ est mort, & ce fust belle choſe
Que uous fußiez auecq' luy deſpeſché,
Vous n'eußiez pas en prophete preſché
Tant de folliɇ, & n'eußiez pas nourri
En uain eſpoir Thelemacque marri,
Penſant en uous qu'il pourra guerdonner
Vostre maiſon, s'il eſt prompt a donner:
Mais ie uous di, & ainſi le ſaurez,
Quand ce ieunɇ hommɇ enflammé uous aurez
Et irrité par parler deceuant,
Soubz la couleur que uous eſtes ſauant,
Vieil & expert, premierement en luy
Il en aura touſiours plus grand ennuy:
Et puis ſachez qu'il n'en fera rien plus
Pour tout cela: Et uous di au ſurplus,
Maiſtre uieillard, que telle penitence
Vous donnerons, laquelle par ſentenee
D'aucuns de nous, uous poiſera bien fort,
Et en aurez grief mal & deſconfort.
Quand a ma part, ie prendray bien le fais
D'amonneſter Thelemacquɇ en ſes faitz:
Qu'il face tant que ſa mere retourne
En la maiſon ou ſon pere ſeiourne:
En ce lieu la les ſiens l'eſpouſeront,
Et d'un douairɇ endtir' eux diſpoſeront
Fort ſomptueux, commɇ a leur legitime
Fillɇ appartient: Car ainſi que i'estime
Les filz des Grecz ne ceſſeront d'attendre,
Et ce faſcheux mariage pretendre,
Tant qu'il l'ait fait: car nous ne craignons rien,
Ny meſmement Thclemicque, combien
Qu'en ſon parler ſoit tout plein d'eloquence:
Et ne tirons l'augurɇ i conſequence,
Que uous uieillard de follie rempli
Auez reſué n'eſtrɇ encor' accompli:
Ce qui uous rend encores plus haineux.
Or n'auront ilz contentement en eux
D'uſer ſon bien a gros fraiz & deſpens,
Tant que tes Grecz elle tiendra ſuſpens
Au long eſpoir de ſes noces conduitz:
Puis nous estans de rechef introduitz,
De iour en iour enſemble contendons
De noz ualeurs: qui fait que ne tendons
A celles la dont y a'un grand tas
29
Que nous prendrions tous ſelon noz estatz.
Lors de rechef le ſage Thelemacque
Luy reſpondit: O amy Eurymacque,
Et uous außi Pourſuiuans de renom,
Plus ne uous ueux prier de cecy, non,
Plus ie ne ueux harengue uous en faire:
Car les Dieux ſont teſmoins de tout l'affaire,
Et tous les Giecz, ſans plus, que lon me rende
Vne nef preſtɇ, & uingt hommes de bende,
Pour me gaſcher ça & la le paſſage:
Car ie ueux fairɇ en Spartɇ un brief uoyage,
De la en Pylɇ areneuſɇ, aſſauoir
Si ie pourray de mon cher perɇ auoir
Si longuement abſent, quelque nouuelle,
Si trouueray homme que m'en réuele,
Ou ſi pourray ouir en quelque ſorte
De Iupiter la uoix, laquellɇ apporte
A tous humains touſiours gloire proſpere:
Puis ſi i'entens qu' encor' uiue mon pere,
Et qu'il retournɇ, auec tout mon ennuy
Pourray bien uiurɇ unɇ annee ſans luy:
Mais ſi le bruit de ſa mort est constant,
Ie reuiendray pardeça tout contant
Luy eriger un ſepulchre celebre,
Et par deuoir un obſeque funebre
Moult ſolennel ie lay oidonneray:
Puis a ma merɇ un mary donneray.
Tout en ce point ces propos acheua,
Puis il s'aßit & tantoſt ſe leua
Mentor qui fut compagnon familier
Du noblɇ Vlyſſɇ, & en particulier
De ſa maiſon la charge luy commit
Vn peu auant que ſus la mer ſe mit,
Ou' au uiel Laërte il ne contredist point,
Luy qui auoit bons amis & raiſon,
Aux aßiſtans a fait tellɇ oraiſon:
Eſcoutez bien ce que dire i'enteus,
O Ithacquois: Ores n'eſt plus le temps
Que doyuɇ un Roy tenant le ſceptrɇ en main
Eſtre prudent, debonnairɇ, & humain,
Ny qu'en l'eſprit ſache ce qui eſt iuste:
Mais touſiours ſoit difficilɇ & robuſte,
Gouuernant tout contre droit & police,
Puis qu'en tous ceux que le diuin Vlyſſe
A gouuernez, ne s'en trouuɇ un ſeulet
Lequel de luy un ſouuenir ſeul ait,
De luy qui fut un pere ſi bening:
Or n'ay ie point de haine ny uenin
Auk Pourſuiuans bien que pleins d'inſolence,
Qui tant & tant d'actes de uiolence
Par uolonté deprauee commettent:
30
Car en danger leurs propres uies mettent
Quand la maiſon d'Vlyſſɇ ainſi rapinent:
Et puis entr'eux ilz diſent & opinent
Qu'il ne uient point, mais trop bien ie m'anime
Encontre uous, peuple puſillanime,
Qui eſtes ſis tous muetz & paſmez,
A tout le moins qu'autrement ne blaſmez
Par quelques motz petite compaignie
De Pourſuiuans, uous ſi grande meignie.
Alors parla le ſeigneur Liocryte
Filz d'Euenor: o Mentor hypochrite,
Mutin, noiſif, foliatre, qu'as tu dit?
Nous feras tu ceſſer ſoubz ton credit?
Difficilɇ eſt quand batailler on penſe
A gens de cueur, pluſieurs, & pour la panſe:
Car ſi Vlyſſɇ Ithacquois reuenant,
Les Pourſuiuaus illustres maintenant
En ſa maiſon luy meſmɇ auoit ſurpris
Faiſans grand' cherɇ, & il euſt entrepis
De les chaſſer, ſa femme qui pieça
Deſire tant ſon retour par deça,
Pour ſon retour grand' lyeſſe n'auroit:
Car euiter ſa mort il ne ſauroit,
S'a nous pluſieurs uouloit faire bataille:
VoiV comment tu n'as rien dit qui uaille:
Sus doncq' auant, uous Peuple quon s'elongne,
Retirez uous tous a uoſtre beſongne,
Et qu'Alitherſɇ & Mentor, grans mignons
De ceſtuy cy, anciens compagnons
Du pere ſien, luy donnent le courage
De parfournir ſon entrepris uoyage.
Or ie croy bien s'il est de long ſeiour
Dedens Ithacque, il pourra quelque iour
En ouir bruit: mais iamais, pour certain,
Il ne fera uoyage ſi lointain.
Ainſi diſant ſoudain rompt le concile:
Et lors chacun ua en ſon domicile:
Les Pourſuîuans ſont allez au depart
En la maiſon d'Vlyſſe: mais apart,
Au port de mer Thelemacq' est allé
Et ſes mains lauɇ au riuagɇ ſallé:
Puis a Mineruɇ a fait tellɇ oraiſon:
Dieu qui uins hier uiſiter ma maiſon,
Et au partir me baillas par memoire
Qu'en une nef entraßɇ en la mer noire,
Pour de mon perɇ abſent faire l'enqueſte
S'il reuient point, entens i ma requeste:
Car les Greg'ois ſont bien fort eſtriuans
Contre cela, meſmes les Pourſuiuans
Gens pleins d'orgueil, l'ayant ainſi requiſe,
Pres luy Pallas s'est trouueɇ, en la guiſe
Du uieil Mentor, de corps de uoix außi:
31
Puis le nommant par ſon nom dit ainſi:
O Thelemacq' iamais tu ne ſeras
Couard ny fol, ſi en ton penſer as
De ton cher perɇ empreinte la uertu
Dont il esioit plus qu'autre reuestu,
Executeur tant en ditz qu'en eſprouue:
Et n'ayes peur que ton chemin ſe trouue
Vain ny rompu: mais ſi tu n'es celuy
Filz procreé de Penelope & luy,
Ie ne uoy point que ce preſent affaire
Qu'as entrepris, tu puiſſes bien parfaire:
Car peu de filz au pere ſemblancɇ ont,
Plus y en a qui beaucoup pires ſont,
Moins y en a de meilleurs que leur pere:
Mais pour auiant qu'l l'auenir i'eſpere
Que ne ſuiuras follie ne malice,
Et que ne t'eſt la prudence d'Vlyſſe
Du tout nieɇ, auec eſpoir & temps,
Le tout pourras conduirɇ ou tu pretens:
Et pour autant des Pourſuiuans meſpriſe
Tout le conſeil, & leur follɇ entrepriſe:
Car telles geus ſageſſe ne remord,
Ny uerité: & n'entendent la mort,
Ny l'orde Parquɇ, elle qui ſans ſeiour
Les uiendra tous deſtruire en un ſeul iour:
Et le chemin dont tu es en émoy
Ne ſera point differé: meſmes moy
Ton compagnon paternel, t'eliray
Vn bon uaiſſeau, & auec toy iray:
Mais cependant ua t'en au logis tien
Aux Pourſuiuans, & leur fay l'entretien,
Va apprester uiures & autres hardes
Que proprement en uaiſſeaux les enfardes:
Le uin es brocz, & la blanche farine
Nourriſſement d'hommes pour la marine,
Es fortes peaux: & moy de tous cartiers
Vois chercher gens qui uiendront uolontiers
T'accompaigner, or abondɇ en uaiſſeaux
Nouueaux & uieux Ithacque ceinte d'eaux:
I'en choiſiray de tous le plus entier,
Lequel dreßé ainſi qu'il eſt meſtier
Mettrons a coup ſus la mer en conduitte.
A tant Pallas de Iupiter produitte:
Et Thelemacq' quand la uoix entendit
De la Deeſſɇ, illec plus n'attendit,
Mais tout troublé en ſon doux cueur, s'en ua
En ſa maiſon, en laquellɇ il trouua
Ces Amoureux ſuperbes embrochans
Les pourceaux gras & chëures eſcorchans.
Lors Antinois gettant un ris de bouche,
S'en uient uers luy, & de la main le touche,
Et en raillant il s'est pris à luy dire:
32
O Thelemacq' plein de couragɇ & d'ire
Intolerablɇ, il te faut raualler
Ce dur ennuy, & ce faſcheux parier:
N'y penſe plus, & menons deſormais
Ioyeuſe uiɇ, außi bien que iamais:
Les Grecz pour toy en ton cas ueilleront,
N'en doute point, & ſi te bailleront
Vaiſſeaux d'elitɇ & auirons de meſme,
Pour te mener en Pyle la ſupreſme
Plus uitement, ouir quelque meſſage
Du pere tien. Thelemacque le ſage.
O Antinois, reſpondit il adoncques,
Ie ne ſauroyɇ en manieres quelzconques
Auecques uous pleins d'orgueil me contreindre
De bancqueter, ny ma penſee feindre:
Dea Pourſuiuans n'eſtes uous pas contens
D'auoir pillé de mon bien ſi long temps
Tout le meilleur ſelon uoſtrɇ appetit?
Sauez uous bien? i'eſtoyɇ encor' petit:
Mais maintenant que ſuis grand deuenu,
Et que l'auis d'autruy par le menu
Sage me rend, & que deſia s'augmente
Le cueur en moy d'unɇ ardeur uehemente,
D'orenauant ie chercheray la uoye,
Tant qu'a treſtous male mort uous enuoye,
Soit que i'en trouuɇ en Pyle les moyens,
Ou pardeça auec mes citoyens:
Ou bien i'iray (& le uoyage mien,
A mon auis, ne ſortira qu'a bien)
Comme marchant: car conducteur ne ſuis
Des auirons, ny du nauire, puis
Qu'ainſi uoulez, & uous ſemble bon estre.
Ainſi diſant, retire ſa main deſtre
De celle la d'Antinois aiſément:
Les Poutſuiuans penſoient ioyeuſement
A la cuiſinɇ, & faiſoient des mocquars,
Eu luy gettant ſornettes & brocars.
Lors l'un d'entr' eux ſe print a dirɇ ainſi:
Mais eſcoutez, ce Thelemacquɇ icy
A contre nous unɇ ire fort haineuſe:
Il pourroit bien en Pyle ſablonneuſe,
Ou bien en Spartɇ, ou en quelquɇ autre part
Trouuer ſecours: car il fait un depart
Brief & haſtif: ou il ua en Ephire
Ioyeux pais, pour des uenins confire,
Qu'en noſtre taſſɇ il miſtionnera,
Et en ce point nous empoiſonnera.
Plus l'un d'entr' eux encores a parlé,
Que ſauons nous, mais qu'il s'en ſoit allé,
Et qu'en ſa nef concaue ſe ſoit mis,
S'il mourra point au loing de ſes amis,
Apres auoir autant qu'Vlyſſɇ errɇ?
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Dont en ſeroit nostrɇ eſprit enſerré
Plus que deuant: Car penſez uous combien
Aurions de peinɇ a departir ſon bien?
Lors ſa maiſon pour ſa mere ſeroit,
Et pour celuy quiconq' l'eſpouſeroit.
Ainſi contoient: & luy qui mot n'en dit
Au bas celier d'Vlyſſe deſcendit,
Ou il trouua force precieux or
Et forcɇ erain, & robes en treſor,
Et huilɇ außi d'un odeur fort ſuaue:
Muiz de uin uieil estoient en ceste caue,
Qui contenaient, ſauez uous bien quel uin?
Doux, pur, friand, un breuuage diuin,
Tous mis par ordrɇ au long de l'apparoy,
Si quelque fois apres tout deſarroy
Et tout ennuy, uenoit a ia maiſon
Le noblɇ Vlyſſɇ. Or estoit la cloiſon
A double portɇ, & de barreaux munie
Et de iointurɇ enſemble bien unie:
Vne clauierɇ illec quotidienne
Qui de ce bien estoit la gardienne,
Songneuſɇ & ſagɇ, Euriclee reſide,
Qui fillɇ estoit d'Ope Piſenoride.
Lors Thelemacquɇ au cabinet l'appelle,
Et en ſecret parla ainſi a elle:
Nourricɇ, a coup, qu'on tire du uin doux
Dedens des brocz, & du meilleur de tous,
Apres celuy que gardez en la caue,
En attendant le preux Vlyſſɇ eſclaue
Infortuné, ſi de lieux eſtrangers
Fuyant la mort & les fataux dangers,
Pourra uenir: qu'on m'en empliſſe douze
Qui ſoient bien clos: En apres qu'on me couſe
Poches apoint: & dedens unɇ eslue
Prouiſion de Farine moulue
Iuſques a uingt meſures enſachez
Et que ſoyez ſeule qui le ſachez:
Et le tout prest enſemble ſoit tenu:
Car quand ſera le ueſpre ſuruenu,
Ie le prendray, quand ma mere ſera
Ia retireɇ: & qu'elle penſera
De ſe coucher: Car il fault que ie parte
Pour m'en aller en la cité de Sparte,
De la en Pylɇ areneuſe, chercher
Si ie pourray de mon pere treſcher
Ouir nouuellɇ, ou ſauoir ſa uenue.
Ainſi a dit: Et ne s'eſt pas tenue
Ceste nourricɇ Eurycleɇ amyable
De larmoyer, & toute pitoyable
A dit ainſi: Dea quelle fantaſie,
O filz treſcher, ta penſeɇ a ſaiſie?
Comment uas tu ſeul en eſtrange terre?
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Mon doux enfant qu'y ueux tu aller querre?
Ton perɇ eſt mort en pais incertain
Hors de ſa terrɇ entre peuple lointain:
Ceux cy ſoudain que lu ſeras parti,
Te braſſeront quelque mauuais parti:
A ton retour par fraudɇ ilz t'occiront,
Et tout ton bien entr'eux departiront.
Mieux te uaudroit demeurer en repos
Auec les tiens, que d'aller ſans propos
Mettre ta uiɇ en danger & erreur
Deſſus la mer pleine de toutɇ horreur.
Lors le prudent Thelemacque tient fort,
Diſant ainſi: Prenez bon reconfort
Chere nourricɇ, & croyez que l'empriſe
Ne ſe fait pas ſans Dieu qui l'autoriſe:
Mais iurez moy que n'en auertirez
Ma chere merɇ, ains que ſoient expirez
Les onze iours ou douze iours, depuis
Qu'elle uoudra s'enquerir ou ie ſuis,
Et qu'ell' aura mon depart peu entendre:
A celle fin que ſon corps beau & tendre
Elle ne bleſſɇ a force de pleurer.
Ces motz finiz, la uieille ua iurer
Le grand ſerment des hautz Dieux: & apres
Qu'ell' eut donné ce iurement expres
Et acheué, ſoudain elle luy perſe
Ce uin exquis, & es brocz le luy uerſe:
Et puis luy a empoché les moutures
Dedens les ſacz faitz a fortes coutures:
Puis au logis Thelemacq' eſt uenu,
Et s'eſt auec les Pourſuiuans tenu.
Lors la Deeſſɇ aux, yeux ardens, s'auiſe
D'autre moyen, car ayant pris la guiſe
De Thelemacq' uers la cité s'en part,
Et a pluſieurs s'en ua parler a part:
De s'aſſembler chacun d'eux ellɇ inuite
Deuers le ſoir uers le nauire uite:
Elle demandɇ au ſage Iouuenceau
Phedin le filz de Phrone, ſon uaiſſeau,
Et prompiement il le luy a promis.
En occident, le Soleil s'eſtoit mis,
Et en tous lieux s'eſtoit l'ombrɇ enclinee,
Lorſqu'ellɇ ayant la nef acheminee
Deſſus la mer, dedens met & affaitte
Tous instrumens qu'une nef d'ais bien faitte
Portɇ auec ſoy: & la aupres du bord
Ellɇ s'aßiet au dernier bout du port:
Les compagnons eſtoient la enuiron
Tous amaſſez pour tirer l'auiron,
Auſquelz donnoint Minerue hardieſſe.
Tout de nouueau s'auiſa la Deeſſe
D'autre moyen, & en partant de la
35
En la maiſon d'Vlyße s'en alla,
Aux Pourſuiuans doux ſommeil instiller,
Et ſi les fit en beuuant uaciller,
Tant que des mains les taſſes leur ſortirent:
Lors par la uillɇ a coup ſe departirent
Pour ſe coucher: & n'ont eſté oiſifz
Gueres long temps, estans leurs yeux ſaiſiz
De fort ſommeil, lors du palais illuſtre
Dame Mineruɇ aux yeux de flambans luſtre,
A appellé Thelemacque le ſage,
Semblant Mentor de uoix & de corſage.
O Thelemacq', ce luy uint ell' a dire,
Tes bien aimez compagnons de nauire
Sont la aßis t'attendans a bouger,
Sus donc, ſans plus le uoyagɇ allonger,
Allons nous en. Ce propos acheuant
Dime Pallas ſoudain marche deuant,
Et luy au train de la ſuiure fui prompt:
Les compagnons cheueluz trouuez ont,
Quant a la nef & la mer ont eſté,
Auſquelz a dit la haute maieſté
De Thelemacq': ça uenez, mes amis,
Pour apporter les uiures que i'ay mis
Chez moy a part, dont n'est apperceuante
Ma mere meſmɇ, & aucune ſeruante
Fors une ſeulɇ a qui declaré l'ay:
Ainſi diſant il marchɇ, & ſans delay
Tous l'ont ſuiuy: & rien ne demeura
Ainſi qu'enioint Thelemacque leur a,
Que tout ne fuſt emporté en la barcque.
Lors en la mer Thelemacque s'embarcque
Ou preſidant' Pallas par ſus la troupe,
S'aßit, & luy aupres, deſſus la pouppe
Les uns d'entr' eux les cordages maßifz
Ont deployez: les autres ſont aßis
Deſſus les bancs: Mineruɇ un doux Zephyre
Leur departit conduiſant le nauire,
Qui reſpiroit au long de la mer grande:
Il donne cueur a ſes gens, & commande
D'equiper tout: leſquelz a ſon parler
Obeiſſans, ont erigé en l'air
Le Mas concauɇ, & en hault bien tablé,
Fait de Sapin, & l'ont bien encablé:
Puis ont tiré par les cordes tortiſſes
La blanche uoilɇ: Adonc les uens propices
Par le milieu ceste uoilɇ entonnerent,
Dont a grans flotz les ondes reſonnerent
Entour le fons de la nef qui partoit,
Et de roideur la uoye deparioit.
Alors ilz ont l'equipagɇ attaché
Sus le uaißeau leger de poix taché:
Puis ont de uin les taſſes couronnees,
36
Et aux hautz Dieux leurs offrandes donnees,
Dieux eternelz & par ſus tous a celle
Fille de Dieu a l'œil qui estincelle,
Qui en ce point les alloit conduiſant
Autant la nuit comme le iour luiſant.
ἦμος δ᾽ ἠριγένεια φάνη ῥοδοδάκτυλος Ἠώς,
ὤρνυτ᾽ ἄρ᾽ ἐξ εὐνῆφιν Ὀδυσσῆος φίλος υἱὸς
εἵματα ἑσσάμενος, περὶ δὲ ξίφος ὀξὺ θέτ᾽ ὤμῳ,
ποσσὶ δ᾽ ὑπὸ λιπαροῖσιν ἐδήσατο καλὰ πέδιλα,
βῆ δ᾽ ἴμεν ἐκ θαλάμοιο θεῷ ἐναλίγκιος ἄντην.
αἶψα δὲ κηρύκεσσι λιγυφθόγγοισι κέλευσε
κηρύσσειν ἀγορήνδε κάρη κομόωντας Ἀχαιούς.
οἱ μὲν ἐκήρυσσον, τοὶ δ᾽ ἠγείροντο μάλ᾽ ὦκα.
αὐτὰρ ἐπεί ῥ᾽ ἤγερθεν ὁμηγερέες τ᾽ ἐγένοντο,
βῆ ῥ᾽ ἴμεν εἰς ἀγορήν, παλάμῃ δ᾽ ἔχε χάλκεον ἔγχος,
οὐκ οἶος, ἅμα τῷ γε δύω κύνες ἀργοὶ ἕποντο.
θεσπεσίην δ᾽ ἄρα τῷ γε χάριν κατέχευεν Ἀθήνη.
τὸν δ᾽ ἄρα πάντες λαοὶ ἐπερχόμενον θηεῦντο:
ἕζετο δ᾽ ἐν πατρὸς θώκῳ, εἶξαν δὲ γέροντες.
τοῖσι δ᾽ ἔπειθ᾽ ἥρως Αἰγύπτιος ἦρχ᾽ ἀγορεύειν,
ὃς δὴ γήραϊ κυφὸς ἔην καὶ μυρία ᾔδη.
καὶ γὰρ τοῦ φίλος υἱὸς ἅμ᾽ ἀντιθέῳ Ὀδυσῆι
Ἴλιον εἰς ἐύπωλον ἔβη κοίλῃς ἐνὶ νηυσίν,
Ἄντιφος αἰχμητής: τὸν δ᾽ ἄγριος ἔκτανε Κύκλωψ
ἐν σπῆι γλαφυρῷ, πύματον δ᾽ ὡπλίσσατο δόρπον.
τρεῖς δέ οἱ ἄλλοι ἔσαν, καὶ ὁ μὲν μνηστῆρσιν ὁμίλει,
Εὐρύνομος, δύο δ᾽ αἰὲν ἔχον πατρώια ἔργα.
ἀλλ᾽ οὐδ᾽ ὣς τοῦ λήθετ᾽ ὀδυρόμενος καὶ ἀχεύων.
τοῦ ὅ γε δάκρυ χέων ἀγορήσατο καὶ μετέειπε:
“κέκλυτε δὴ νῦν μευ, Ἰθακήσιοι, ὅττι κεν εἴπω:
οὔτε ποθ᾽ ἡμετέρη ἀγορὴ γένετ᾽ οὔτε θόωκος
ἐξ οὗ Ὀδυσσεὺς δῖος ἔβη κοίλῃς ἐνὶ νηυσί.
νῦν δὲ τίς ὧδ᾽ ἤγειρε; τίνα χρειὼ τόσον ἵκει
ἠὲ νέων ἀνδρῶν ἢ οἳ προγενέστεροί εἰσιν;
ἠέ τιν᾽ ἀγγελίην στρατοῦ ἔκλυεν ἐρχομένοιο,
ἥν χ᾽ ἡμῖν σάφα εἴποι, ὅτε πρότερός γε πύθοιτο;
ἦέ τι δήμιον ἄλλο πιφαύσκεται ἠδ᾽ ἀγορεύει;
ἐσθλός μοι δοκεῖ εἶναι, ὀνήμενος. εἴθε οἱ αὐτῷ
Ζεὺς ἀγαθὸν τελέσειεν, ὅτι φρεσὶν ᾗσι μενοινᾷ.”
ὣς φάτο, χαῖρε δὲ φήμῃ Ὀδυσσῆος φίλος υἱός,
οὐδ᾽ ἄρ᾽ ἔτι δὴν ἧστο, μενοίνησεν δ᾽ ἀγορεύειν,
στῆ δὲ μέσῃ ἀγορῇ: σκῆπτρον δέ οἱ ἔμβαλε χειρὶ
κῆρυξ Πεισήνωρ πεπνυμένα μήδεα εἰδώς.
πρῶτον ἔπειτα γέροντα καθαπτόμενος προσέειπεν:
“ὦ γέρον, οὐχ ἑκὰς οὗτος ἀνήρ, τάχα δ᾽ εἴσεαι αὐτός,
ὃς λαὸν ἤγειρα: μάλιστα δέ μ᾽ ἄλγος ἱκάνει.
οὔτε τιν᾽ ἀγγελίην στρατοῦ ἔκλυον ἐρχομένοιο,
ἥν χ᾽ ὑμῖν σάφα εἴπω, ὅτε πρότερός γε πυθοίμην,
οὔτε τι δήμιον ἄλλο πιφαύσκομαι οὐδ᾽ ἀγορεύω,
ἀλλ᾽ ἐμὸν αὐτοῦ χρεῖος, ὅ μοι κακὰ ἔμπεσεν οἴκῳ
δοιά: τὸ μὲν πατέρ᾽ ἐσθλὸν ἀπώλεσα, ὅς ποτ᾽ ἐν ὑμῖν
τοίσδεσσιν βασίλευε, πατὴρ δ᾽ ὣς ἤπιος ἦεν:
νῦν δ᾽ αὖ καὶ πολὺ μεῖζον, ὃ δὴ τάχα οἶκον ἅπαντα
πάγχυ διαρραίσει, βίοτον δ᾽ ἀπὸ πάμπαν ὀλέσσει.
μητέρι μοι μνηστῆρες ἐπέχραον οὐκ ἐθελούσῃ,
τῶν ἀνδρῶν φίλοι υἷες, οἳ ἐνθάδε γ᾽ εἰσὶν ἄριστοι,
οἳ πατρὸς μὲν ἐς οἶκον ἀπερρίγασι νέεσθαι
Ἰκαρίου, ὥς κ᾽ αὐτὸς ἐεδνώσαιτο θύγατρα,
δοίη δ᾽ ᾧ κ᾽ ἐθέλοι καί οἱ κεχαρισμένος ἔλθοι:
οἱ δ᾽ εἰς ἡμέτερον πωλεύμενοι ἤματα πάντα,
βοῦς ἱερεύοντες καὶ ὄις καὶ πίονας αἶγας
εἰλαπινάζουσιν πίνουσί τε αἴθοπα οἶνον
μαψιδίως: τὰ δὲ πολλὰ κατάνεται. οὐ γὰρ ἔπ᾽ ἀνήρ,
οἷος Ὀδυσσεὺς ἔσκεν, ἀρὴν ἀπὸ οἴκου ἀμῦναι.
ἡμεῖς δ᾽ οὔ νύ τι τοῖοι ἀμυνέμεν: ἦ καὶ ἔπειτα
λευγαλέοι τ᾽ ἐσόμεσθα καὶ οὐ δεδαηκότες ἀλκήν.
ἦ τ᾽ ἂν ἀμυναίμην, εἴ μοι δύναμίς γε παρείη.
οὐ γὰρ ἔτ᾽ ἀνσχετὰ ἔργα τετεύχαται, οὐδ᾽ ἔτι καλῶς
οἶκος ἐμὸς διόλωλε. νεμεσσήθητε καὶ αὐτοί,
ἄλλους τ᾽ αἰδέσθητε περικτίονας ἀνθρώπους,
οἳ περιναιετάουσι: θεῶν δ᾽ ὑποδείσατε μῆνιν,
μή τι μεταστρέψωσιν ἀγασσάμενοι κακὰ ἔργα.
λίσσομαι ἠμὲν Ζηνὸς Ὀλυμπίου ἠδὲ Θέμιστος,
ἥ τ᾽ ἀνδρῶν ἀγορὰς ἠμὲν λύει ἠδὲ καθίζει:
σχέσθε, φίλοι, καί μ᾽ οἶον ἐάσατε πένθεϊ λυγρῷ
τείρεσθ᾽, εἰ μή πού τι πατὴρ ἐμὸς ἐσθλὸς Ὀδυσσεὺς
δυσμενέων κάκ᾽ ἔρεξεν ἐυκνήμιδας Ἀχαιούς,
τῶν μ᾽ ἀποτινύμενοι κακὰ ῥέζετε δυσμενέοντες,
τούτους ὀτρύνοντες. ἐμοὶ δέ κε κέρδιον εἴη
ὑμέας ἐσθέμεναι κειμήλιά τε πρόβασίν τε.
εἴ χ᾽ ὑμεῖς γε φάγοιτε, τάχ᾽ ἄν ποτε καὶ τίσις εἴη:
τόφρα γὰρ ἂν κατὰ ἄστυ ποτιπτυσσοίμεθα μύθῳ
χρήματ᾽ ἀπαιτίζοντες, ἕως κ᾽ ἀπὸ πάντα δοθείη:
νῦν δέ μοι ἀπρήκτους ὀδύνας ἐμβάλλετε θυμῷ.”
ὣς φάτο χωόμενος, ποτὶ δὲ σκῆπτρον βάλε γαίῃ
δάκρυ᾽ ἀναπρήσας: οἶκτος δ᾽ ἕλε λαὸν ἅπαντα.
ἔνθ᾽ ἄλλοι μὲν πάντες ἀκὴν ἔσαν, οὐδέ τις ἔτλη
Τηλέμαχον μύθοισιν ἀμείψασθαι χαλεποῖσιν:
Ἀντίνοος δέ μιν οἶος ἀμειβόμενος προσέειπε:
“Τηλέμαχ᾽ ὑψαγόρη, μένος ἄσχετε, ποῖον ἔειπες
ἡμέας αἰσχύνων: ἐθέλοις δέ κε μῶμον ἀνάψαι.
σοὶ δ᾽ οὔ τι μνηστῆρες Ἀχαιῶν αἴτιοί εἰσιν,
ἀλλὰ φίλη μήτηρ, ἥ τοι πέρι κέρδεα οἶδεν.
ἤδη γὰρ τρίτον ἐστὶν ἔτος, τάχα δ᾽ εἶσι τέταρτον,
ἐξ οὗ ἀτέμβει θυμὸν ἐνὶ στήθεσσιν Ἀχαιῶν.
πάντας μέν ῥ᾽ ἔλπει καὶ ὑπίσχεται ἀνδρὶ ἑκάστῳ
ἀγγελίας προϊεῖσα, νόος δέ οἱ ἄλλα μενοινᾷ.
ἡ δὲ δόλον τόνδ᾽ ἄλλον ἐνὶ φρεσὶ μερμήριξε:
στησαμένη μέγαν ἱστὸν ἐνὶ μεγάροισιν ὕφαινε,
λεπτὸν καὶ περίμετρον: ἄφαρ δ᾽ ἡμῖν μετέειπε:
“‘κοῦροι ἐμοὶ μνηστῆρες, ἐπεὶ θάνε δῖος Ὀδυσσεύς,
μίμνετ᾽ ἐπειγόμενοι τὸν ἐμὸν γάμον, εἰς ὅ κε φᾶρος
ἐκτελέσω, μή μοι μεταμώνια νήματ᾽ ὄληται,
Λαέρτῃ ἥρωι ταφήιον, εἰς ὅτε κέν μιν
μοῖρ᾽ ὀλοὴ καθέλῃσι τανηλεγέος θανάτοιο,
μή τίς μοι κατὰ δῆμον Ἀχαιϊάδων νεμεσήσῃ.
αἴ κεν ἄτερ σπείρου κεῖται πολλὰ κτεατίσσας’.
“ὣς ἔφαθ᾽, ἡμῖν δ᾽ αὖτ᾽ ἐπεπείθετο θυμὸς ἀγήνωρ.
ἔνθα καὶ ἠματίη μὲν ὑφαίνεσκεν μέγαν ἱστόν,
νύκτας δ᾽ ἀλλύεσκεν, ἐπεὶ δαΐδας παραθεῖτο.
ὣς τρίετες μὲν ἔληθε δόλῳ καὶ ἔπειθεν Ἀχαιούς:
ἀλλ᾽ ὅτε τέτρατον ἦλθεν ἔτος καὶ ἐπήλυθον ὧραι,
καὶ τότε δή τις ἔειπε γυναικῶν, ἣ σάφα ᾔδη,
καὶ τήν γ᾽ ἀλλύουσαν ἐφεύρομεν ἀγλαὸν ἱστόν.
ὣς τὸ μὲν ἐξετέλεσσε καὶ οὐκ ἐθέλουσ᾽ ὑπ᾽ ἀνάγκης:
σοὶ δ᾽ ὧδε μνηστῆρες ὑποκρίνονται, ἵν᾽ εἰδῇς
αὐτὸς σῷ θυμῷ, εἰδῶσι δὲ πάντες Ἀχαιοί:
μητέρα σὴν ἀπόπεμψον, ἄνωχθι δέ μιν γαμέεσθαι
τῷ ὅτεῴ τε πατὴρ κέλεται καὶ ἁνδάνει αὐτῇ.
εἰ δ᾽ ἔτ᾽ ἀνιήσει γε πολὺν χρόνον υἷας Ἀχαιῶν,
τὰ φρονέουσ᾽ ἀνὰ θυμόν, ὅ οἱ πέρι δῶκεν Ἀθήνη
ἔργα τ᾽ ἐπίστασθαι περικαλλέα καὶ φρένας ἐσθλὰς
κέρδεά θ᾽, οἷ᾽ οὔ πώ τιν᾽ ἀκούομεν οὐδὲ παλαιῶν,
τάων αἳ πάρος ἦσαν ἐυπλοκαμῖδες Ἀχαιαί,
Τυρώ τ᾽ Ἀλκμήνη τε ἐυστέφανός τε Μυκήνη:
τάων οὔ τις ὁμοῖα νοήματα Πηνελοπείῃ
ᾔδη: ἀτὰρ μὲν τοῦτό γ᾽ ἐναίσιμον οὐκ ἐνόησε.
τόφρα γὰρ οὖν βίοτόν τε τεὸν καὶ κτήματ᾽ ἔδονται,
ὄφρα κε κείνη τοῦτον ἔχῃ νόον, ὅν τινά οἱ νῦν
ἐν στήθεσσι τιθεῖσι θεοί. μέγα μὲν κλέος αὐτῇ
ποιεῖτ᾽, αὐτὰρ σοί γε ποθὴν πολέος βιότοιο.
ἡμεῖς δ᾽ οὔτ᾽ ἐπὶ ἔργα πάρος γ᾽ ἴμεν οὔτε πῃ ἄλλῃ,
πρίν γ᾽ αὐτὴν γήμασθαι Ἀχαιῶν ᾧ κ᾽ ἐθέλῃσι.”
τὸν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“Ἀντίνο᾽, οὔ πως ἔστι δόμων ἀέκουσαν ἀπῶσαι
ἥ μ᾽ ἔτεχ᾽, ἥ μ᾽ ἔθρεψε: πατὴρ δ᾽ ἐμὸς ἄλλοθι γαίης,
ζώει ὅ γ᾽ ἦ τέθνηκε: κακὸν δέ με πόλλ᾽ ἀποτίνειν
Ἰκαρίῳ, αἴ κ᾽ αὐτὸς ἑκὼν ἀπὸ μητέρα πέμψω.
ἐκ γὰρ τοῦ πατρὸς κακὰ πείσομαι, ἄλλα δὲ δαίμων
δώσει, ἐπεὶ μήτηρ στυγερὰς ἀρήσετ᾽ ἐρινῦς
οἴκου ἀπερχομένη: νέμεσις δέ μοι ἐξ ἀνθρώπων
ἔσσεται: ὣς οὐ τοῦτον ἐγώ ποτε μῦθον ἐνίψω.
ὑμέτερος δ᾽ εἰ μὲν θυμὸς νεμεσίζεται αὐτῶν,
ἔξιτέ μοι μεγάρων, ἄλλας δ᾽ ἀλεγύνετε δαῖτας
ὑμὰ κτήματ᾽ ἔδοντες ἀμειβόμενοι κατὰ οἴκους.
εἰ δ᾽ ὑμῖν δοκέει τόδε λωίτερον καὶ ἄμεινον
ἔμμεναι, ἀνδρὸς ἑνὸς βίοτον νήποινον ὀλέσθαι,
κείρετ᾽: ἐγὼ δὲ θεοὺς ἐπιβώσομαι αἰὲν ἐόντας,
αἴ κέ ποθι Ζεὺς δῷσι παλίντιτα ἔργα γενέσθαι.
νήποινοί κεν ἔπειτα δόμων ἔντοσθεν ὄλοισθε.”
“ὣς φάτο Τηλέμαχος, τῷ δ᾽ αἰετὼ εὐρύοπα Ζεὺς
ὑψόθεν ἐκ κορυφῆς ὄρεος προέηκε πέτεσθαι.
τὼ δ᾽ ἕως μέν ῥ᾽ ἐπέτοντο μετὰ πνοιῇς ἀνέμοιο
πλησίω ἀλλήλοισι τιταινομένω πτερύγεσσιν:
ἀλλ᾽ ὅτε δὴ μέσσην ἀγορὴν πολύφημον ἱκέσθην,
ἔνθ᾽ ἐπιδινηθέντε τιναξάσθην πτερὰ πυκνά,
ἐς δ᾽ ἰδέτην πάντων κεφαλάς, ὄσσοντο δ᾽ ὄλεθρον:
δρυψαμένω δ᾽ ὀνύχεσσι παρειὰς ἀμφί τε δειρὰς
δεξιὼ ἤιξαν διά τ᾽ οἰκία καὶ πόλιν αὐτῶν.
θάμβησαν δ᾽ ὄρνιθας, ἐπεὶ ἴδον ὀφθαλμοῖσιν:
ὥρμηναν δ᾽ ἀνὰ θυμὸν ἅ περ τελέεσθαι ἔμελλον.
τοῖσι δὲ καὶ μετέειπε γέρων ἥρως Ἁλιθέρσης
Μαστορίδης: ὁ γὰρ οἶος ὁμηλικίην ἐκέκαστο
ὄρνιθας γνῶναι καὶ ἐναίσιμα μυθήσασθαι:
ὅ σφιν ἐὺ φρονέων ἀγορήσατο καὶ μετέειπε:
“κέκλυτε δὴ νῦν μευ, Ἰθακήσιοι, ὅττι κεν εἴπω:
μνηστῆρσιν δὲ μάλιστα πιφαυσκόμενος τάδε εἴρω:
τοῖσιν γὰρ μέγα πῆμα κυλίνδεται: οὐ γὰρ Ὀδυσσεὺς
δὴν ἀπάνευθε φίλων ὧν ἔσσεται, ἀλλά που ἤδη
ἐγγὺς ἐὼν τοῖσδεσσι φόνον καὶ κῆρα φυτεύει
πάντεσσιν: πολέσιν δὲ καὶ ἄλλοισιν κακὸν ἔσται,
οἳ νεμόμεσθ᾽ Ἰθάκην ἐυδείελον. ἀλλὰ πολὺ πρὶν
φραζώμεσθ᾽, ὥς κεν καταπαύσομεν: οἱ δὲ καὶ αὐτοὶ
παυέσθων: καὶ γάρ σφιν ἄφαρ τόδε λώιόν ἐστιν.
οὐ γὰρ ἀπείρητος μαντεύομαι, ἀλλ᾽ ἐὺ εἰδώς:
καὶ γὰρ κείνῳ φημὶ τελευτηθῆναι ἅπαντα,
ὥς οἱ ἐμυθεόμην, ὅτε Ἴλιον εἰσανέβαινον
Ἀργεῖοι, μετὰ δέ σφιν ἔβη πολύμητις Ὀδυσσεύς.
φῆν κακὰ πολλὰ παθόντ᾽, ὀλέσαντ᾽ ἄπο πάντας ἑταίρους,
ἄγνωστον πάντεσσιν ἐεικοστῷ ἐνιαυτῷ
οἴκαδ᾽ ἐλεύσεσθαι: τὰ δὲ δὴ νῦν πάντα τελεῖται.”
τὸν δ᾽ αὖτ᾽ Εὐρύμαχος Πολύβου πάϊς ἀντίον ηὔδα:
“ὦ γέρον, εἰ δ᾽ ἄγε νῦν μαντεύεο σοῖσι τέκεσσιν
οἴκαδ᾽ ἰών, μή πού τι κακὸν πάσχωσιν ὀπίσσω:
ταῦτα δ᾽ ἐγὼ σέο πολλὸν ἀμείνων μαντεύεσθαι.
ὄρνιθες δέ τε πολλοὶ ὑπ᾽ αὐγὰς ἠελίοιο
φοιτῶσ᾽, οὐδέ τε πάντες ἐναίσιμοι: αὐτὰρ Ὀδυσσεὺς
ὤλετο τῆλ᾽, ὡς καὶ σὺ καταφθίσθαι σὺν ἐκείνῳ
ὤφελες. οὐκ ἂν τόσσα θεοπροπέων ἀγόρευες,
οὐδέ κε Τηλέμαχον κεχολωμένον ὧδ᾽ ἀνιείης,
σῷ οἴκῳ δῶρον ποτιδέγμενος, αἴ κε πόρῃσιν.
ἀλλ᾽ ἔκ τοι ἐρέω, τὸ δὲ καὶ τετελεσμένον ἔσται:
αἴ κε νεώτερον ἄνδρα παλαιά τε πολλά τε εἰδὼς
παρφάμενος ἐπέεσσιν ἐποτρύνῃς χαλεπαίνειν,
αὐτῷ μέν οἱ πρῶτον ἀνιηρέστερον ἔσται,
πρῆξαι δ᾽ ἔμπης οὔ τι δυνήσεται εἵνεκα τῶνδε:
σοὶ δέ, γέρον, θωὴν ἐπιθήσομεν, ἥν κ᾽ ἐνὶ θυμῷ
τίνων ἀσχάλλῃς: χαλεπὸν δέ τοι ἔσσεται ἄλγος.
Τηλεμάχῳ δ᾽ ἐν πᾶσιν ἐγὼν ὑποθήσομαι αὐτός:
μητέρα ἣν ἐς πατρὸς ἀνωγέτω ἀπονέεσθαι:
οἱ δὲ γάμον τεύξουσι καὶ ἀρτυνέουσιν ἔεδνα
πολλὰ μάλ᾽, ὅσσα ἔοικε φίλης ἐπὶ παιδὸς ἕπεσθαι.
οὐ γὰρ πρὶν παύσεσθαι ὀίομαι υἷας Ἀχαιῶν
μνηστύος ἀργαλέης, ἐπεὶ οὔ τινα δείδιμεν ἔμπης,
οὔτ᾽ οὖν Τηλέμαχον μάλα περ πολύμυθον ἐόντα,
οὔτε θεοπροπίης ἐμπαζόμεθ᾽, ἣν σύ, γεραιέ,
μυθέαι ἀκράαντον, ἀπεχθάνεαι δ᾽ ἔτι μᾶλλον.
χρήματα δ᾽ αὖτε κακῶς βεβρώσεται, οὐδέ ποτ᾽ ἶσα
ἔσσεται, ὄφρα κεν ἥ γε διατρίβῃσιν Ἀχαιοὺς
ὃν γάμον: ἡμεῖς δ᾽ αὖ ποτιδέγμενοι ἤματα πάντα
εἵνεκα τῆς ἀρετῆς ἐριδαίνομεν, οὐδὲ μετ᾽ ἄλλας
ἐρχόμεθ᾽, ἃς ἐπιεικὲς ὀπυιέμεν ἐστὶν ἑκάστῳ.”
τὸν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“Εὐρύμαχ᾽ ἠδὲ καὶ ἄλλοι, ὅσοι μνηστῆρες ἀγαυοί,
ταῦτα μὲν οὐχ ὑμέας ἔτι λίσσομαι οὐδ᾽ ἀγορεύω:
ἤδη γὰρ τὰ ἴσασι θεοὶ καὶ πάντες Ἀχαιοί.
ἀλλ᾽ ἄγε μοι δότε νῆα θοὴν καὶ εἴκοσ᾽ ἑταίρους,
οἵ κέ μοι ἔνθα καὶ ἔνθα διαπρήσσωσι κέλευθον.
εἶμι γὰρ ἐς Σπάρτην τε καὶ ἐς Πύλον ἠμαθόεντα
νόστον πευσόμενος πατρὸς δὴν οἰχομένοιο,
ἤν τίς μοι εἴπῃσι βροτῶν ἢ ὄσσαν ἀκούσω
ἐκ Διός, ἥ τε μάλιστα φέρει κλέος ἀνθρώποισιν:
εἰ μέν κεν πατρὸς βίοτον καὶ νόστον ἀκούσω,
ἦ τ᾽ ἄν, τρυχόμενός περ, ἔτι τλαίην ἐνιαυτόν:
εἰ δέ κε τεθνηῶτος ἀκούσω μηδ᾽ ἔτ᾽ ἐόντος,
νοστήσας δὴ ἔπειτα φίλην ἐς πατρίδα γαῖαν
σῆμά τέ οἱ χεύω καὶ ἐπὶ κτέρεα κτερεΐξω
πολλὰ μάλ᾽, ὅσσα ἔοικε, καὶ ἀνέρι μητέρα δώσω.”
ἦ τοι ὅ γ᾽ ὣς εἰπὼν κατ᾽ ἄρ᾽ ἕζετο, τοῖσι δ᾽ ἀνέστη
Μέντωρ, ὅς ῥ᾽ Ὀδυσῆος ἀμύμονος ἦεν ἑταῖρος,
καὶ οἱ ἰὼν ἐν νηυσὶν ἐπέτρεπεν οἶκον ἅπαντα,
πείθεσθαί τε γέροντι καὶ ἔμπεδα πάντα φυλάσσειν:
ὅ σφιν ἐὺ φρονέων ἀγορήσατο καὶ μετέειπεν:
“κέκλυτε δὴ νῦν μευ, Ἰθακήσιοι, ὅττι κεν εἴπω:
μή τις ἔτι πρόφρων ἀγανὸς καὶ ἤπιος ἔστω
σκηπτοῦχος βασιλεύς, μηδὲ φρεσὶν αἴσιμα εἰδώς,
ἀλλ᾽ αἰεὶ χαλεπός τ᾽ εἴη καὶ αἴσυλα ῥέζοι:
ὡς οὔ τις μέμνηται Ὀδυσσῆος θείοιο
λαῶν οἷσιν ἄνασσε, πατὴρ δ᾽ ὣς ἤπιος ἦεν.
ἀλλ᾽ ἦ τοι μνηστῆρας ἀγήνορας οὔ τι μεγαίρω
ἔρδειν ἔργα βίαια κακορραφίῃσι νόοιο:
σφὰς γὰρ παρθέμενοι κεφαλὰς κατέδουσι βιαίως
οἶκον Ὀδυσσῆος, τὸν δ᾽ οὐκέτι φασὶ νέεσθαι.
νῦν δ᾽ ἄλλῳ δήμῳ νεμεσίζομαι, οἷον ἅπαντες
ἧσθ᾽ ἄνεῳ, ἀτὰρ οὔ τι καθαπτόμενοι ἐπέεσσι
παύρους μνηστῆρας καταπαύετε πολλοὶ ἐόντες.”
τὸν δ᾽ Εὐηνορίδης Λειώκριτος ἀντίον ηὔδα:
“Μέντορ ἀταρτηρέ, φρένας ἠλεέ, ποῖον ἔειπες
ἡμέας ὀτρύνων καταπαυέμεν. ἀργαλέον δὲ
ἀνδράσι καὶ πλεόνεσσι μαχήσασθαι περὶ δαιτί.
εἴ περ γάρ κ᾽ Ὀδυσεὺς Ἰθακήσιος αὐτὸς ἐπελθὼν
δαινυμένους κατὰ δῶμα ἑὸν μνηστῆρας ἀγαυοὺς
ἐξελάσαι μεγάροιο μενοινήσει᾽ ἐνὶ θυμῷ,
οὔ κέν οἱ κεχάροιτο γυνή, μάλα περ χατέουσα,
ἐλθόντ᾽, ἀλλά κεν αὐτοῦ ἀεικέα πότμον ἐπίσποι,
εἰ πλεόνεσσι μάχοιτο: σὺ δ᾽ οὐ κατὰ μοῖραν ἔειπες.
ἀλλ᾽ ἄγε, λαοὶ μὲν σκίδνασθ᾽ ἐπὶ ἔργα ἕκαστος,
τούτῳ δ᾽ ὀτρυνέει Μέντωρ ὁδὸν ἠδ᾽ Ἁλιθέρσης,
οἵ τέ οἱ ἐξ ἀρχῆς πατρώιοί εἰσιν ἑταῖροι.
ἀλλ᾽ ὀίω, καὶ δηθὰ καθήμενος ἀγγελιάων
πεύσεται εἰν Ἰθάκῃ, τελέει δ᾽ ὁδὸν οὔ ποτε ταύτην.”
ὣς ἄρ᾽ ἐφώνησεν, λῦσεν δ᾽ ἀγορὴν αἰψηρήν.
οἱ μὲν ἄρ᾽ ἐσκίδναντο ἑὰ πρὸς δώμαθ᾽ ἕκαστος,
μνηστῆρες δ᾽ ἐς δώματ᾽ ἴσαν θείου Ὀδυσῆος.
Τηλέμαχος δ᾽ ἀπάνευθε κιὼν ἐπὶ θῖνα θαλάσσης,
χεῖρας νιψάμενος πολιῆς ἁλὸς εὔχετ᾽ Ἀθήνῃ:
“κλῦθί μευ, ὃ χθιζὸς θεὸς ἤλυθες ἡμέτερον δῶ
καὶ μ᾽ ἐν νηὶ κέλευσας ἐπ᾽ ἠεροειδέα πόντον
νόστον πευσόμενον πατρὸς δὴν οἰχομένοιο
ἔρχεσθαι: τὰ δὲ πάντα διατρίβουσιν Ἀχαιοί,
μνηστῆρες δὲ μάλιστα κακῶς ὑπερηνορέοντες.”
ὣς ἔφατ᾽ εὐχόμενος, σχεδόθεν δέ οἱ ἦλθεν Ἀθήνη,
Μέντορι εἰδομένη ἠμὲν δέμας ἠδὲ καὶ αὐδήν,
καί μιν φωνήσασ᾽ ἔπεα πτερόεντα προσηύδα:
“Τηλέμαχ᾽, οὐδ᾽ ὄπιθεν κακὸς ἔσσεαι οὐδ᾽ ἀνοήμων,
εἰ δή τοι σοῦ πατρὸς ἐνέστακται μένος ἠύ,
οἷος κεῖνος ἔην τελέσαι ἔργον τε ἔπος τε:
οὔ τοι ἔπειθ᾽ ἁλίη ὁδὸς ἔσσεται οὐδ᾽ ἀτέλεστος.
εἰ δ᾽ οὐ κείνου γ᾽ ἐσσὶ γόνος καὶ Πηνελοπείης,
οὐ σέ γ᾽ ἔπειτα ἔολπα τελευτήσειν, ἃ μενοινᾷς.
παῦροι γάρ τοι παῖδες ὁμοῖοι πατρὶ πέλονται,
οἱ πλέονες κακίους, παῦροι δέ τε πατρὸς ἀρείους.
ἀλλ᾽ ἐπεὶ οὐδ᾽ ὄπιθεν κακὸς ἔσσεαι οὐδ᾽ ἀνοήμων,
οὐδέ σε πάγχυ γε μῆτις Ὀδυσσῆος προλέλοιπεν,
ἐλπωρή τοι ἔπειτα τελευτῆσαι τάδε ἔργα.
τῶ νῦν μνηστήρων μὲν ἔα βουλήν τε νόον τε
ἀφραδέων, ἐπεὶ οὔ τι νοήμονες οὐδὲ δίκαιοι:
οὐδέ τι ἴσασιν θάνατον καὶ κῆρα μέλαιναν,
ὃς δή σφι σχεδόν ἐστιν, ἐπ᾽ ἤματι πάντας ὀλέσθαι.
σοὶ δ᾽ ὁδὸς οὐκέτι δηρὸν ἀπέσσεται ἣν σὺ μενοινᾷς:
τοῖος γάρ τοι ἑταῖρος ἐγὼ πατρώιός εἰμι,
ὅς τοι νῆα θοὴν στελέω καὶ ἅμ᾽ ἕψομαι αὐτός.
ἀλλὰ σὺ μὲν πρὸς δώματ᾽ ἰὼν μνηστῆρσιν ὁμίλει,
ὅπλισσόν τ᾽ ἤια καὶ ἄγγεσιν ἄρσον ἅπαντα,
οἶνον ἐν ἀμφιφορεῦσι, καὶ ἄλφιτα, μυελὸν ἀνδρῶν,
δέρμασιν ἐν πυκινοῖσιν: ἐγὼ δ᾽ ἀνὰ δῆμον ἑταίρους
αἶψ᾽ ἐθελοντῆρας συλλέξομαι. εἰσὶ δὲ νῆες
πολλαὶ ἐν ἀμφιάλῳ Ἰθάκῃ, νέαι ἠδὲ παλαιαί:
τάων μέν τοι ἐγὼν ἐπιόψομαι ἥ τις ἀρίστη,
ὦκα δ᾽ ἐφοπλίσσαντες ἐνήσομεν εὐρέι πόντῳ.”
ὣς φάτ᾽ Ἀθηναίη κούρη Διός: οὐδ᾽ ἄρ᾽ ἔτι δὴν
Τηλέμαχος παρέμιμνεν, ἐπεὶ θεοῦ ἔκλυεν αὐδήν.
βῆ δ᾽ ἰέναι πρὸς δῶμα, φίλον τετιημένος ἦτορ,
εὗρε δ᾽ ἄρα μνηστῆρας ἀγήνορας ἐν μεγάροισιν,
αἶγας ἀνιεμένους σιάλους θ᾽ εὕοντας ἐν αὐλῇ.
Ἀντίνοος δ᾽ ἰθὺς γελάσας κίε Τηλεμάχοιο,
ἔν τ᾽ ἄρα οἱ φῦ χειρί, ἔπος τ᾽ ἔφατ᾽ ἔκ τ᾽ ὀνόμαζε:
“Τηλέμαχ᾽ ὑψαγόρη, μένος ἄσχετε, μή τί τοι ἄλλο
ἐν στήθεσσι κακὸν μελέτω ἔργον τε ἔπος τε,
ἀλλά μοι ἐσθιέμεν καὶ πινέμεν, ὡς τὸ πάρος περ.
ταῦτα δέ τοι μάλα πάντα τελευτήσουσιν Ἀχαιοί,
νῆα καὶ ἐξαίτους ἐρέτας, ἵνα θᾶσσον ἵκηαι
ἐς Πύλον ἠγαθέην μετ᾽ ἀγαυοῦ πατρὸς ἀκουήν.”
τὸν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“Ἀντίνο᾽, οὔ πως ἔστιν ὑπερφιάλοισι μεθ᾽ ὑμῖν
δαίνυσθαί τ᾽ ἀκέοντα καὶ εὐφραίνεσθαι ἕκηλον.
ἦ οὐχ ἅλις ὡς τὸ πάροιθεν ἐκείρετε πολλὰ καὶ ἐσθλὰ
κτήματ᾽ ἐμά, μνηστῆρες, ἐγὼ δ᾽ ἔτι νήπιος ἦα;
νῦν δ᾽ ὅτε δὴ μέγας εἰμὶ καὶ ἄλλων μῦθον ἀκούων
πυνθάνομαι, καὶ δή μοι ἀέξεται ἔνδοθι θυμός,
πειρήσω, ὥς κ᾽ ὔμμι κακὰς ἐπὶ κῆρας ἰήλω,
ἠὲ Πύλονδ᾽ ἐλθών, ἢ αὐτοῦ τῷδ᾽ ἐνὶ δήμῳ.
εἶμι μέν, οὐδ᾽ ἁλίη ὁδὸς ἔσσεται ἣν ἀγορεύω,
ἔμπορος: οὐ γὰρ νηὸς ἐπήβολος οὐδ᾽ ἐρετάων
γίγνομαι: ὥς νύ που ὔμμιν ἐείσατο κέρδιον εἶναι.”
ἦ ῥα, καὶ ἐκ χειρὸς χεῖρα σπάσατ᾽ Ἀντινόοιο
ῥεῖα: μνηστῆρες δὲ δόμον κάτα δαῖτα πένοντο.
οἱ δ᾽ ἐπελώβευον καὶ ἐκερτόμεον ἐπέεσσιν.
ὧδε δέ τις εἴπεσκε νέων ὑπερηνορεόντων:
“ἦ μάλα Τηλέμαχος φόνον ἡμῖν μερμηρίζει.
ἤ τινας ἐκ Πύλου ἄξει ἀμύντορας ἠμαθόεντος
ἢ ὅ γε καὶ Σπάρτηθεν, ἐπεί νύ περ ἵεται αἰνῶς:
ἠὲ καὶ εἰς Ἐφύρην ἐθέλει, πίειραν ἄρουραν,
ἐλθεῖν, ὄφρ᾽ ἔνθεν θυμοφθόρα φάρμακ᾽ ἐνείκῃ,
ἐν δὲ βάλῃ κρητῆρι καὶ ἡμέας πάντας ὀλέσσῃ.”
ἄλλος δ᾽ αὖτ᾽ εἴπεσκε νέων ὑπερηνορεόντων:
“τίς δ᾽ οἶδ᾽, εἴ κε καὶ αὐτὸς ἰὼν κοίλης ἐπὶ νηὸς
τῆλε φίλων ἀπόληται ἀλώμενος ὥς περ Ὀδυσσεύς;
οὕτω κεν καὶ μᾶλλον ὀφέλλειεν πόνον ἄμμιν:
κτήματα γάρ κεν πάντα δασαίμεθα, οἰκία δ᾽ αὖτε
τούτου μητέρι δοῖμεν ἔχειν ἠδ᾽ ὅς τις ὀπυίοι.”
ὣς φάν, ὁ δ᾽ ὑψόροφον θάλαμον κατεβήσετο πατρὸς
εὐρύν, ὅθι νητὸς χρυσὸς καὶ χαλκὸς ἔκειτο
ἐσθής τ᾽ ἐν χηλοῖσιν ἅλις τ᾽ ἐυῶδες ἔλαιον:
ἐν δὲ πίθοι οἴνοιο παλαιοῦ ἡδυπότοιο
ἕστασαν, ἄκρητον θεῖον ποτὸν ἐντὸς ἔχοντες,
ἑξείης ποτὶ τοῖχον ἀρηρότες, εἴ ποτ᾽ Ὀδυσσεὺς
οἴκαδε νοστήσειε καὶ ἄλγεα πολλὰ μογήσας.
κληισταὶ δ᾽ ἔπεσαν σανίδες πυκινῶς ἀραρυῖαι,
δικλίδες: ἐν δὲ γυνὴ ταμίη νύκτας τε καὶ ἦμαρ
ἔσχ᾽, ἣ πάντ᾽ ἐφύλασσε νόου πολυϊδρείῃσιν,
Εὐρύκλει᾽, Ὦπος θυγάτηρ Πεισηνορίδαο.
τὴν τότε Τηλέμαχος προσέφη θαλαμόνδε καλέσσας:
“μαῖ᾽, ἄγε δή μοι οἶνον ἐν ἀμφιφορεῦσιν ἄφυσσον
ἡδύν, ὅτις μετὰ τὸν λαρώτατος ὃν σὺ φυλάσσεις
κεῖνον ὀιομένη τὸν κάμμορον, εἴ ποθεν ἔλθοι
διογενὴς Ὀδυσεὺς θάνατον καὶ κῆρας ἀλύξας.
δώδεκα δ᾽ ἔμπλησον καὶ πώμασιν ἄρσον ἅπαντας.
ἐν δέ μοι ἄλφιτα χεῦον ἐϋρραφέεσσι δοροῖσιν:
εἴκοσι δ᾽ ἔστω μέτρα μυληφάτου ἀλφίτου ἀκτῆς.
αὐτὴ δ᾽ οἴη ἴσθι: τὰ δ᾽ ἁθρόα πάντα τετύχθω:
ἑσπέριος γὰρ ἐγὼν αἱρήσομαι, ὁππότε κεν δὴ
μήτηρ εἰς ὑπερῷ᾽ ἀναβῇ κοίτου τε μέδηται.
εἶμι γὰρ ἐς Σπάρτην τε καὶ ἐς Πύλον ἠμαθόεντα
νόστον πευσόμενος πατρὸς φίλου, ἤν που ἀκούσω.”
ὣς φάτο, κώκυσεν δὲ φίλη τροφὸς Εὐρύκλεια,
καί ῥ᾽ ὀλοφυρομένη ἔπεα πτερόεντα προσηύδα:
“τίπτε δέ τοι, φίλε τέκνον, ἐνὶ φρεσὶ τοῦτο νόημα
ἔπλετο; πῇ δ᾽ ἐθέλεις ἰέναι πολλὴν ἐπὶ γαῖαν
μοῦνος ἐὼν ἀγαπητός; ὁ δ᾽ ὤλετο τηλόθι πάτρης
διογενὴς Ὀδυσεὺς ἀλλογνώτῳ ἐνὶ δήμῳ.
οἱ δέ τοι αὐτίκ᾽ ἰόντι κακὰ φράσσονται ὀπίσσω,
ὥς κε δόλῳ φθίῃς, τάδε δ᾽ αὐτοὶ πάντα δάσονται.
ἀλλὰ μέν᾽ αὖθ᾽ ἐπὶ σοῖσι καθήμενος: οὐδέ τί σε χρὴ
πόντον ἐπ᾽ ἀτρύγετον κακὰ πάσχειν οὐδ᾽ ἀλάλησθαι.”
τὴν δ᾽ αὖ Τηλέμαχος πεπνυμένος ἀντίον ηὔδα:
“θάρσει, μαῖ᾽, ἐπεὶ οὔ τοι ἄνευ θεοῦ ἥδε γε βουλή.
ἀλλ᾽ ὄμοσον μὴ μητρὶ φίλῃ τάδε μυθήσασθαι,
πρίν γ᾽ ὅτ᾽ ἂν ἑνδεκάτη τε δυωδεκάτη τε γένηται,
ἢ αὐτὴν ποθέσαι καὶ ἀφορμηθέντος ἀκοῦσαι,
ὡς ἂν μὴ κλαίουσα κατὰ χρόα καλὸν ἰάπτῃ.”
ὣς ἄρ᾽ ἔφη, γρῆυς δὲ θεῶν μέγαν ὅρκον ἀπώμνυ.
αὐτὰρ ἐπεί ῥ᾽ ὄμοσέν τε τελεύτησέν τε τὸν ὅρκον,
αὐτίκ᾽ ἔπειτά οἱ οἶνον ἐν ἀμφιφορεῦσιν ἄφυσσεν,
ἐν δέ οἱ ἄλφιτα χεῦεν ἐϋρραφέεσσι δοροῖσι.
Τηλέμαχος δ᾽ ἐς δώματ᾽ ἰὼν μνηστῆρσιν ὁμίλει.
ἔνθ᾽ αὖτ᾽ ἄλλ᾽ ἐνόησε θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη.
Τηλεμάχῳ ἐικυῖα κατὰ πτόλιν ᾤχετο πάντῃ,
καί ῥα ἑκάστῳ φωτὶ παρισταμένη φάτο μῦθον,
ἑσπερίους δ᾽ ἐπὶ νῆα θοὴν ἀγέρεσθαι ἀνώγει.
ἡ δ᾽ αὖτε Φρονίοιο Νοήμονα φαίδιμον υἱὸν
ᾔτεε νῆα θοήν: ὁ δέ οἱ πρόφρων ὑπέδεκτο.
δύσετό τ᾽ ἠέλιος σκιόωντό τε πᾶσαι ἀγυιαί,
καὶ τότε νῆα θοὴν ἅλαδ᾽ εἴρυσε, πάντα δ᾽ ἐν αὐτῇ
ὅπλ᾽ ἐτίθει, τά τε νῆες ἐύσσελμοι φορέουσι.
στῆσε δ᾽ ἐπ᾽ ἐσχατιῇ λιμένος, περὶ δ᾽ ἐσθλοὶ ἑταῖροι
ἁθρόοι ἠγερέθοντο: θεὰ δ᾽ ὤτρυνεν ἕκαστον.
ἔνθ᾽ αὖτ᾽ ἄλλ᾽ ἐνόησε θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη.
βῆ ῤ᾽ ἰέναι πρὸς δώματ᾽ Ὀδυσσῆος θείοιο:
ἔνθα μνηστήρεσσιν ἐπὶ γλυκὺν ὕπνον ἔχευε,
πλάζε δὲ πίνοντας, χειρῶν δ᾽ ἔκβαλλε κύπελλα.
οἱ δ᾽ εὕδειν ὤρνυντο κατὰ πτόλιν, οὐδ᾽ ἄρ᾽ ἔτι δὴν
ἥατ᾽, ἐπεί σφισιν ὕπνος ἐπὶ βλεφάροισιν ἔπιπτεν.
αὐτὰρ Τηλέμαχον προσέφη γλαυκῶπις Ἀθήνη
ἐκπροκαλεσσαμένη μεγάρων ἐὺ ναιεταόντων,
Μέντορι εἰδομένη ἠμὲν δέμας ἠδὲ καὶ αὐδήν:
“Τηλέμαχ᾽, ἤδη μέν τοι ἐυκνήμιδες ἑταῖροι
ἥατ᾽ ἐπήρετμοι τὴν σὴν ποτιδέγμενοι ὁρμήν:
ἀλλ᾽ ἴομεν, μὴ δηθὰ διατρίβωμεν ὁδοῖο.”
ὣς ἄρα φωνήσασ᾽ ἡγήσατο Παλλὰς Ἀθήνη
καρπαλίμως: ὁ δ᾽ ἔπειτα μετ᾽ ἴχνια βαῖνε θεοῖο.
αὐτὰρ ἐπεί ῥ᾽ ἐπὶ νῆα κατήλυθον ἠδὲ θάλασσαν,
εὗρον ἔπειτ᾽ ἐπὶ θινὶ κάρη κομόωντας ἑταίρους.
τοῖσι δὲ καὶ μετέειφ᾽ ἱερὴ ἲς Τηλεμάχοιο:
“δεῦτε, φίλοι, ἤια φερώμεθα: πάντα γὰρ ἤδη
ἁθρό᾽ ἐνὶ μεγάρῳ. μήτηρ δ᾽ ἐμὴ οὔ τι πέπυσται,
οὐδ᾽ ἄλλαι δμωαί, μία δ᾽ οἴη μῦθον ἄκουσεν.”
ὣς ἄρα φωνήσας ἡγήσατο, τοὶ δ᾽ ἅμ᾽ ἕποντο.
οἱ δ᾽ ἄρα πάντα φέροντες ἐυσσέλμῳ ἐπὶ νηὶ
κάτθεσαν, ὡς ἐκέλευσεν Ὀδυσσῆος φίλος υἱός.
ἂν δ᾽ ἄρα Τηλέμαχος νηὸς βαῖν᾽, ἦρχε δ᾽ Ἀθήνη,
νηὶ δ᾽ ἐνὶ πρυμνῇ κατ᾽ ἄρ᾽ ἕζετο: ἄγχι δ᾽ ἄρ᾽ αὐτῆς
ἕζετο Τηλέμαχος. τοὶ δὲ πρυμνήσι᾽ ἔλυσαν,
ἂν δὲ καὶ αὐτοὶ βάντες ἐπὶ κληῖσι καθῖζον.
τοῖσιν δ᾽ ἴκμενον οὖρον ἵει γλαυκῶπις Ἀθήνη,
ἀκραῆ Ζέφυρον, κελάδοντ᾽ ἐπὶ οἴνοπα πόντον.
Τηλέμαχος δ᾽ ἑτάροισιν ἐποτρύνας ἐκέλευσεν
ὅπλων ἅπτεσθαι: τοὶ δ᾽ ὀτρύνοντος ἄκουσαν.
ἱστὸν δ᾽ εἰλάτινον κοίλης ἔντοσθε μεσόδμης
στῆσαν ἀείραντες, κατὰ δὲ προτόνοισιν ἔδησαν,
ἕλκον δ᾽ ἱστία λευκὰ ἐυστρέπτοισι βοεῦσιν.
ἔπρησεν δ᾽ ἄνεμος μέσον ἱστίον, ἀμφὶ δὲ κῦμα
στείρῃ πορφύρεον μεγάλ᾽ ἴαχε νηὸς ἰούσης:
ἡ δ᾽ ἔθεεν κατὰ κῦμα διαπρήσσουσα κέλευθον.
δησάμενοι δ᾽ ἄρα ὅπλα θοὴν ἀνὰ νῆα μέλαιναν
στήσαντο κρητῆρας ἐπιστεφέας οἴνοιο,
λεῖβον δ᾽ ἀθανάτοισι θεοῖς αἰειγενέτῃσιν,
ἐκ πάντων δὲ μάλιστα Διὸς γλαυκώπιδι κούρῃ.
παννυχίη μέν ῥ᾽ ἥ γε καὶ ἠῶ πεῖρε κέλευθον.[2]
A Monſieur Carles.
C'est bien raiſon, Carles, que ie te cedeE E) Lancelot de Carle, ca 1508-1568, fransk poet och biskop av Riez.
L'œuure que i'ay comme toy commencé,
Ta plumɇ en temps & ſtyle me precede,
Ioint que tu es plus que moy auancé:
Tu ne deuras pourtant eſtrɇ offenſé,
Si mon labeur tel qu'il eſt ie publie:
Car une languɇ en eſt plus anoblie,
Alors qu'on uoit par quelques monumens
Mis en eſcrit, que iamais on n'oublie,
Diuers eſpriz en meſmes argumens.
Fin des deux premiers liures de l'Odyſſee d'Homere.
A Monſeigneur le Reuerendißime Cardinal Duhellay.
Sonnet.
D'autant que l'Art peut moins que la Nature,F F) Jean du Bellay, 1492-1560, fransk kardinal och diplomat.
C'est œuure mien, qui ſus le uif eſl pris,
Eſt moins parfait, & moins digne de prix,
Que de Maron la diuine facture.
Mais toy auquel i'en donne la lecture,
Peux enhardir tellement mes eſpritz,
Que le labeur lequel ay entrepris
Suiura de pres la uiue protraitture.
Virgile meſmɇ onc n'y fuſt paruenu,
Si Mecenas ne l'y euſt maintenu,
Fay donc ma plumɇ aiſee, promptɇ, agile,
Qui le moyen, & le pouuoir en as:
Car ſi ie ſuis plus petit que Virgile,
Außi es tu plus grand que Mecenas.
LE PREMIER LIVRE DES Georgiques de Virgile.
CE qui les Champs enſemencez fait rire,G G)
Publius Vergilius Maro, 70-19.
Quel Signɇ en l'an, Mecenas, faut elire
Pour le labour des Terres manier,
Et aux ormeauz la Vigne marier:
Quel ſoing aux Beufz employer appartient,
Par quel moyen le bestail s'entretient:
Et la pratticquɇ a quoy ſont uſageres
Mouſches a miel chiches & ménageres,
Ie chameray des icy. Vous flambeauz
Les plus luiſans du Monde & les plus beauz,
Qui conduiſez le diſcours annuel
Tombant du Ciel par tour continuel,
Liber, & toy, plantureuſe Ceres.
Puis que la Terrɇ a le glan des foreſtz
De Chaoniɇ, au moyen de nous deux,
Iadis changé en epy ſauoureux,
Et de la grapɇ en uſage donnee
L'eau d'Achelois ell'a mistionnee:
Et uous außi, Faunes, qui des Ruſticques
Estes les Dieux priuez & domesticques,
Faunes, mettez le pié en ce lieu cy,
Et auec uous les Dryades außi,
Sont uoz bienfaitz que ie metz en lumiere.
Et toy Neptunɇ, auquel toute premiere
Crea la Terrɇ un cheual henniſſant,
Quand la frapas de ſon ſceptre puiſſant:
Et toy des bois habitant la freſcheur,
Dont trois cents beufz de nayue blancheur
Paiſſent de Ceɇ aux plantureux herbiz:
Toy meſme Pan gardien des brebiz,
Que la forest ores me ſoit laiſſée
De ta naiſſancɇ, & les bois de Lycee,
Pan de Tegeɇ, auec la faueur tiene
Approche toy, quelque ſoing qui te tiene
De ton Menal: & toy Minerue ſage,
Qui de l'Oliuɇ as inuenté l'uſage:
Et toy Enfant, qui la Charrue croche
As enſeignée: & toy Syluain, approche,
En apportant un nouuelet Cypres
Racinɇ & tout. Ie uous inuocquɇ apres
En generai, uous Deeſſes & Dieux
Qui conſeruez par uouloir ſtudieux
Les champs ſemez, & d'alimens diuers
Entretenez les fruiz encores uers,
Et qui du Ciel tranſmettez en ſaiſon
Deſſus les blez de la pluyɇ a foiſon.
Et toy Ceſar, qu'on ne peut pas ſauoir
Quel ſiegɇ en brief de Dieux le doit auoir,
Si les Citez en tutelle prendras,
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Et le ſouci des terres retiendras,
Et tout le Mondɇ adorant ta hauteur
Te recëura de tous fruiz uray auteur,
Et des ſaiſons gouuerneur eternel,
Ceignant ton chef de Myrte maternel:
Ou ſi ſeras Dieu de toute la mer,
Si que toy ſeul tu faces reclamer
Aux mariniers ta deité ſupreſme,
Et obeiſſɇ a toy Thule l'eixtreſme,
Et que Thetis pour ſon gendre t'achette,
Rendant a toy toute la mer ſugette:
Ou ſi uoudras, pour plus hault apparoiſtre,
Des mois tardifz d'un nouueau Signɇ accroiſtre,
En celle part qui la place deſigne
Entre la Viergɇ & la Liure uoiſine:
Le Scorpion deſia te deſirant,
De grand' ardeur ſes braz ua retirant,
Et ſi te fait tant d'honneur, qu'il te ccde
Du lieu au Ciel trop plus qu'il n'en poſſede:
Quoy que tu ſois (car ia eſpoir ne uiene
Au bas Enfer que pour Roy il ne tiene,
N'auienɇ außi qu'ardeur ſi uehemente
De dominer, ton courage tormente,
Combien que ſoient des Grecz ſi fort priſees
Les manſions des beaux champs Elyſees,
Et Proſerpinɇ a r'auoir pourſuiuie
D'accompagner ſa mere n'ait enuie)
Ie te ſupply' que mon cours fauoriſes,
Et ma hardiɇ entrepriſɇ autoriſes,
Et qu'auec moy quelque pitié te preſſe
Des Laboureurs, qui ne ſauent l'addreſſe:
Tien leur la main, & des cy l'approprie
Aux ueuz humains, & qu'on t'inuocquɇ & prie.
Sus le Printems, que des neiges, qui font
Les mons blanchir, la froidɇ humeur ſe fond,
Et que la motɇ eſt pourriɇ a ſuffire,
Pour ſe diſſoudrɇ au doux uent de zephyre,
Que le Taureau lors ne commencɇ a geindre
Et la Charruɇ a force de l'étreindre,
Et que le Soc s'uſant a l'exercice,
Sus les rayons du ſillon s'eſclairciſſe:
Car celle Terrɇ au deſir par effet
Du Laboureur auare ſatiffait,
Qui du Soleil a ſenti les ardeurs
Deux fois l'anneɇ, & deux fois les froideurs:
Ses moiſſons lors amaſſees ſans nombre
Deſſouz le fais les greniers ont fait rompre.
Or parauant le Soc eſtrɇ appliqué
Dedens un champ par nous non pratticqué,
Premier nous fault bien congnoistre le uent,
Et l'air außi qui uarie ſouuent,
Et du terroy la diſpoſition,
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Le naturel, & la condition:
Ce qui uient mieux en telz & telz cartiers,
Et ce qu'en telz ne uient pas uolontiers:
Icy les blez mieux appoint ſe meuriſſent:
La mieux appoint les uignes ſe nourriſſent:
Icy les fruiz des arbres ſont meilleurs.
Et de ſon gré l'herbe uerdoyɇ ailleurs.
Ne uoiz tu pas Tmole qui a la gloire
Du bon Saffran? Les Indes de l'Iuoire?
De leur encens les douilletz Sabiens?
Et du bon fer les nuz Chalybiens?
Du Biëure außi la Ponte uenimeuſe?
Et les Iumens, pour la courſe fameuſe
Vaincre en Elidɇ, Epire portɇ & cree.
Au premier temps Nature treſſacree
Ces pactions & immuables droitz
A eſtabliz dedens certains endroitz,
Lors que premier par le uuidɇ Vniuers
Deucalion ietta caillouz diuers,
Dont les humains furent produitz adoncq',
Nation durɇ: Or te deſpeche doncq'
Aux premiers mois de l'an, acoup exerce
Tes roides beufz, & le gueret renuerſe,
Quand il eſt gras, que les moles giſantes
L'Eſté poudreux ſeche d'ardeurs cuiſantes:
Mais ſi la Terrɇ eſt maigre de tiature,
Il ſuffira un peu auant l'Arcture
L'entretenir auec labour leger:
Car au premier il y auroit danger
Que l'herbe fust nuiſantɇ au ble allaigre,
Et au ſecond qu'a la terre ſi maigre
Failliſt l'humeur ſi petite qu'ell'a.
Les champs fauſchez lairras auec cela
Eſtrɇ en repos par eſchangɇ a loiſir:
Et le champ maigrɇ endurcir au moiſir:
Ou le fourment ſemer te conuiendra,
Quand la ſuiuantɇ annee reuiendra,
La ou cueuilly auras féues & pois,
Leſquelz la gouſſɇ esbranle de ſon pois,
Ou bien les grains de Veße clairs & grœlles,
Ou de l'amer Lupin les tuyaux frælles,
Fauaz bruyans. Car quant au Lin, la graine
Mange les champs, & celle de l'Aueine
Les mangɇ außi: & les mangent, en ſomme,
Les Pauotz teintz d'un obliuieux ſomme.
Et touteſfois ce n'eſt pas grand malaiſe
Que d'ſchanger, mais qu'il ne te deſplaiſe
Tant ſeulement de gras fumier confire
La terre maigrɇ autant qu'il peut ſuffire,
Ny de ietter les cendres non ſaſſees
Es champs recreuz des annees paſſees:
Par ce moyen les gueretz en portant
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Fruiz eſchangez, en repos ſont pourtant,
Et grand profit cependant demourer
D'un chāp nous peut, ſans point le labourer.
Souuent außi il nous est treſutile
Mettre le feu en un champ infertile,
Et que la flammɇ aigrettɇ & petillante
Le chaume ſec & leger ſoit grillante:
Soit que de la le terroy en amaſſe
Occulte forcɇ, ou paſture plus graſſe:
Ou meſmenient que par le feu cuiſant
Luy ſoit purgé tout le uice nuiſant,
Et que l'humeur inutilɇ a ta terre
S'en euaporɇ, ou que le chaud deſſerre
Plus de chemins & ſouſpiraux couuers,
Par ou le ſuc es blez nouueaux & uers
Puiſſe uenir: ou que plus endurciſſe,
Et les bayans conduitz il etreßiſſe:
A celle fin que la pluye menue,
Ou du Soleil l'ápreſſe ſuruenue
Ardentɇ & fortɇ, & froideur borealle
Penetratiuɇ, enfin ne l'arde, & halle.
Qui de ráteaux rōpt les motes abgettes,
Et ua traynant les clayes de uergettes,
Certes celuy fait grand bien aux gueretz:
C'eſt pour le ſeur que la blonde Ceres
Ne le regardɇ en uain du Ciel la ſus:
Celuy qui froiſſɇ außi les dos boßuz,
Sourdans alors que la Terrɇ il renuerſe,
Et au labour de rechef la trauerſe
De ſa Charruɇ, & iamais n'eſt oiſeux
Enuers ſes Champs, & commande ſus eux.
Priez, Ruraux, qu'il nous puiſſɇ arriuer
Solſticɇ humidɇ, & bien ſerain hyuer:
Pouldre d'hyuer les blez & Champs egaye:
De ſes façons Meſie n'eſt ſi gaye,
Et le Gargarɇ autant n'est admirable
Pour ſa moiſſon grandɇ & innumerable.
Que dirons nous de celuy qui apres
Auoir ſemé, ne ceſſe de ſi pres
Auec ſes Champs demener le combat,
Et les monceaux du maigre ſablɇ abbat:
Dedens les blez le fleuuɇ il introduit,
Et les ruiſſeauz s'enireſuiuans conduit:
Et quand les Champs ſi deſſechez demeurent,
Et ſi hallez, que les herbes en meurent,
Voicy du haut d'une uoye pendant',
Il attrait l'eau, laquellɇ en deſcendant',
Par les caillouz gliſſans rend un bruit ſoef,
Trempant les creux des ſillons qui ont ſoif.
Que dirons nous de celuy qui s'exerce,
A celle fin que le tuyau ne uerſe
Quand les epiz ſe mettront a großir,
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Aux blez eſpais l'abondancɇ eſclaircir
Des l'herbe tēdrɇ, au nouueau tēps qu'ilz croißēt,
Et lors qu'a fleur des ſillons apparoißent:
Et qui l'humeur d'un mareiz attireɇ
Va eſcoulant de l'areinɇ altereɇ:
Meſmes au temps incertain, s'il arriue
Que la riuierɇ enflee ſe deriue,
Et d'un limon concreé couurɇ & baigne
Les enuirons de toute la campaigne,
Dont il auient que les foſſes cauees
De tiedɇ humeur ſont moites & lauees.
Mais nonobſtant, eucores que les peines
D'hommes & beufz labourans Chāps & plaines
L'aient eſprouué, les oyes deſplaiſantes,
Et de Strymon les Grues mesfaiſantes,
La Scariolɇ au gouſt amer, & l'ombre
Aux blez ſemez ne font pas peu d'encombre.
Il n'a pas pieu a ce Pere celeſte
L'Agriculturɇ estrɇ a tous manifeſte,
Et luy premier a eſté reduiſant
Les Champs en art, de ſoucy aiguiſant
Les cueurs humains, & ceux du ſiecle ſien
Il n'a ſouffert languir ſans faire rien.
Nul n'exerçoit auant le premier age
De Iupiter, es Champs le labourage,
Et ſi n'eſtoit loiſible de donner
Mercq a un Champ ni meſme le bourner:
Tous fruiz estoient en commun amaſſez,
De ſoy la Terrɇ apportoit biens aſſez
Sans la ſemondre: Il adiouta deslors
L'infait uenin aux Serpens noirs & ords:
De rapiner aux Loupz donna courage,
Et ſus la Mer fit émouuoir l'orage:
Il fit tomber le miel des arbriſſeauz,
Cacha le feu, le uin qui es ruiſſeauz,
Couloit par tout, a coup il refreignit
Et par uſage en ſong'ant contreignit
De prattiquer ars & meſtiers diuers.
Et es ſillons les blez fit uenir uers:
Des pierres fit ſaillir les estincelles
Du feu caché dans les ueines d'icelles:
Les Aunes lors en uaiſſeauz conuerties
Furent premier par les fleuues ſenties:
Le Marinier les astres auiſa,
Deſquelz le nombre & le nom deuiſa:
Il les uoulut appeler Pleiades,
De Licaon l'Arctos clairɇ, & Hyades:
On apprint lors es retz enueloper
Beſtes des bois, & les oiſeaux tromper
Auec la gluz, & les ſpacieux bois
Enuironner de ueneurs & d'abbois:
L'un maintenant bat les fleuues parfons
42
De ſon filet, & cherche iuſqu'au fons,
Et l'autrɇ en Mer tire le ret trempé:
Lors fut le Fer es forges deſtrempé,
La lame miſɇ en cricquante ferrure:
Car on fendoit auec coings ſans ſerrure
Iadis le bois eſclatant en cartiers:
Voila comment uindrent diuers meſtiers:
Labeur ſougneux peut tout uaincrɇ & parfaire
Et pauureté urgentɇ au dur affaire.
Premierement monstra dame Ceres
Auec le Soc renuerſer les gueretz,
Lors que le Glan, & les fruiz qui ſailloient
Des Arboziers du bois ſacré failloient,
Ia ne uoulant Dodone plus offrir
Viurɇ aux humains. Puis eurent a ſouffrir
Les blez encor', uoire tell' infortune,
Que les tuyauz de Niellɇ importune
Eſtoient rongez, & le Chiardon oiſeux
Se herisoit par les Champs aupres eux:
Voicy les blez tout a coup ſe mourir,
Aſpres forestz par les blez ſe nourrir,
Glettrons, Chardons, Yurayes malheureuſes
Par le milieu des terres plantureuſes,
Auec l'Auelnɇ infertile cheminent,
Et en brief temps la ſemence dominent.
Si tu n'es prompt doncques de faire guerre
A beaux Rasteauz ſans fin contre la terre,
Si les oiſeauz d'eſpouenter tu faux
A ſons & criz & l'ombrɇ auec ta Faux
Du Champ couuert rabbattre tu ne ueux,
Si tu ne quiers la pluyɇ a criz & ueuz,
Las qu'a regret regarderas les blez
De ton uoiſin a monceaux aßemblez!
Et de la fain faudra que ſois recouz
Parmy les bois ſoubz un Cheſne ſecouz.
Ores conuient dire de quelz outilz
Durs Laboureurs doiuent estrɇ aſſortiz,
Et ſans leſquelz oncques ne peurent eſtre
Les blez ſemez, ny de la Terre naiſtre:
Deſquelz le Soc eſt le premier & proche,
Le fais peſant de la Charrue croche,
Les chariotz a ſe mouuoir tardifz,
Que fit la merɇ Eleuſine iadis,
Trainoir, Siuierɇ, & Tombereaux de bois,
Auec Raſceaux d'inegal contrepois:
Outre cela, le meuble de bas prix
D'oſier tiſſu, au Roi Celeɇ appris,
Clayes de Tremblɇ, auec le Van myſticque,
Du dieu Bacchus: Tous leſquelz, o Ruſticque,
Il te faudra d'un prudent ſouuenir
Long temps auant en reſerue tenir,
Si tu es né pour auoir ce bon heur
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D'un iour gaigner du diuin Champ l'honneur,
L'Orme des bois de bonnɇ heurɇ est courbee,
Tant qu'a la longuɇ elle ſoit ſuccombee
En façon crochɇ, & qu'ellɇ ait a grand' force
Pris le uray ply d'une Charrue torſe:
Puis le Timon des le pié procedant,
Qui n'eſt d'huit piez l'estenduɇ excedant:
Le Contrɇ ayant d'oreilles une couple
Y eſt adioint, duquel l'eſchinɇ eſt double:
Le Til leger & haut Fouteau on tranche
Pour fairɇ un Ioug: Puis font pouruoir d'un māche,
Qui par derrierɇ aux roues pour tourner
Droit par le bas aide puiſſe donner:
Et pour du bois la ualeur mieux apprendre,
A la fumeɇ au foyer le faut pendre.
Dire te puis encores maintz preceptes
Des anciens, pourueu que les acceptes,
Außi que point tu ne ſois dédeigneux
De te monſtrer en peu de cas ſongneux.
Premierement l'Aire ſoit applanie
D'un grand Bloutoir: & puis qu'on le manie
Auec les doitz, & qu'on reßoudɇ & ſerre
Auec grauois bien tenant, le parterre:
De peur que l'herbɇ y croiſſɇ, ou que la poudre
Ne la coutreignɇ en fin de ſe dißoudre:
Diuers malheurs lors uienent empeſcher:
Car le Mulot petit y uient bécher.
Taupes außi, qui d'yeux point ne iouißent,
Souuentes fois leur tainiere y fouiſſent:
Et les Crapauz dedens les creux trouuez,
Et un grand las de uerminiers couuez
Deſſoubz la terrɇ: & la Calendre traine
Dedens ſon trou un grand monceau de graine,
Et le Formy qui est ſoliciteux,
Qu'en age uieil ne ſoit neceßiteux.
Contemplɇ außi l'Amendier en foreſt,
Quand largement reueſtu de fleur eſt,
Et contrebas ſes rameaux courbes tient:
Car ſi le fruit eſchapɇ & ſe maintient,
Les blez ſeront tous de pareille ſorte,
Et s'enſuiura auecques chaleur forte
De grain en l'Airɇ un bien plantureux nombre:
Mais ſi tu uoiz qu'une plus eſpaiſſɇ ombre,
Pour la foiſon du feuillage, ſurſaille,
Lors on batra en l'Airɇ eſpiz de paille
Bien peu grainez. Certes i'en ay ueu maintz
Voulans ſemer, medeciner leurs grains,
Et leur ſembloit qu'en Nitre les lauant,
Et excremens noirs d'huilɇ auparauant,
Par ce moyen les coſſes qui deçoiuent,
Vn fruit dedans plus abondant reçoiuent,
Et meſmement qu'auecques peu d'esté
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En les hatant uienent a meureté,
I'ay ueu ſouuent la ſemence choiſir,
Et eſprouuer ce grand ſoing & loiſir,
Qui toutefois deſmentoit ſa nature,
Si tous les ans l'homme n'auoit la cure
Du plus gros grain trier auec les mains.
Ainſi par ſort fatal les cas humains
De pis en pis prennent façon diuerſe,
Et en cheant s'en uont a la renuerſe:
Ny plus ny moins que cil qui a grand' peine
Aux auirons ſon petit bateau meine
Encontre l'eau, s'il ceſſe de gaſcher,
Et ſes braz uient d'auenturɇ a laſcher,
Le fil de l'eau d'une roideur ſubite
Encontreual l'emportɇ & precipite.
Outre, il nous faut les iours & la nature
Du clair Serpent, des Boucz, & de l'Arcture
Ainſi ſauoir, que ceux, qui en leur terre
Deſſus la Mer uenteuſe, uont grand' erre,
Songneuſement les fons & détroiz ſondent,
Détroiz d'Abydɇ ou les huistres abondent.
Lors que la Liurɇ en un égal ſeiour
Aura reduit, le ſommeil & le iour,
Et par moitié ia le Cerclɇ elle part,
Aux clairtez l'une, aux ombres l'autre part,
Les beufz adoncq', en beſongne mettez,
O Laboureurs, l'Orgɇ en Terre gettez,
Iuſques au temps de la pluye finalle
Deuers l'entreɇ intraittable hybernalle:
Lors ſera temps qu'a couurir lon commence
Le Lin en Terrɇ, auecques ta ſemence
Du Cereal Pauot, & qu'on, ſe rue
Diligemment au fait de la Charrue,
Tandis qu'on a la Terre ſeichɇ a main,
Et que la pluyɇ attend d'huy a demain.
Sur le Printemps Feues ſemer ſe doiuent,
O Trefflɇ außi, en ce temps te reçoiuent
Les Champs pourriz & la curɇ annuelle
En celuy temps du Mil ſe renouuelle,
Quand le Taureau tout blanc auec ſa corne
Luiſante d'or, le Printemps ouurɇ & orne,
Et que le Chien commencɇ a ſe ſoubztraire
Estant uoiſin du Soleil ſon contraire.
Mais ſi pour blez labourer tu propoſes,
Ou pour Fourmens plus fors, & ſi tu poſes
Au grain d'epy ton but entierement,
Pour ton meilleur uoiſe premierement
A ſe cacher l'orientaile Maie,
Et meſmment la Gnoſiacquɇ image
De la Couronnɇ ardente des yeux parte,
Que le grain deu aux ſillons ſe departe,
Et ains que ſoit l'attente de l'annee
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Maugré la Terrɇ a la Terre donnee.
Maintz ſe ſont mis a faire leur ſemaille,
Ains que la Maiɇ en occident s'en aille:
Mais pour les blez l'infructueuſe aueine
A fait enfin leur eſperance uaine.
Or ſi ſemer la Veſſɇ as entrepris,
Et le Fazeau qui est de petit prix,
Et ſi tu n'as hors de tout ſeing excluſe,
La Lentillettɇ abondantɇ en Peluſe,
Tu en auras ſignɇ aſſez euident
Par le Chartier allant en Occident:
Commence doncq', & de ſemer le temps
Iuſqu'au milieu des brouees étens:
A ceſte fin par le Soleil illuſtre,
Qui chacun an les douze Signes luſtre,
L'annuel tour eſt fait & gouuerné,
Et en ſaiſons certaines diſcerné.
Cinq zones font du hault Ciel le circuit,
Deſquelles l'unɇ ardente touſiours cuit
D'aſpre ſoleil qui de feu eſtincelle,
Et en chacun coſté final d'icelle
Deſtré & ſeneſtrɇ, autres deux ont leur place,
Qui en tous temps de penetrante glace
Eſtreintes ſont, & d'ombreuſe rauine:
Deux y en a par la bonté diuine
Entre ces deux & celle du milieu,
Ou les humains miſerables ont lieu:
Enir' elles deux est le chemin bourné,
Ou l'ordrɇ oblicq' des Signes eſt tourné.
Comme le Mondɇ ardu, uers la partie
Qui tend aux mons Riphees & Scythie
Touſiours ſe hauſſɇ, ainſi ſe ua cachant
Vers le midy de Libye panchant.
Ceſtuy ſommet en tous temps nous appert
Hault eſleué: mais l'autrɇ eſt en apert
Deſſouz nos piez au noir Stygicux fons,
Et aux eſpritz des abiſmes parfons:
Vers ceſtuy Pol le grand Serpent ſe roulle
D'un ply tortu, commɇ un fleuue qui coule,
Tout alentour & parmy les deux Ourſes.
Ourſes craignans de ſe baigner es ſources
De l'Ocean: mais la, commɇ on maintient,
L'oiſeuſe nuit touſiours coye ſe tient.
Et l'air obſtant qui eſt plein de groſſeur
Sans ceſſe tient la nuit en eſpaiſſeur:
Ou bien de nous l'Aurore ſe depart.
Et le clair iour reporte celle part:
Et lorſ qu'eſtant matinalle Venus,
De ſes Cheuaux en haletant uenuz
Nous a un temps aleinez la premiere,
Se tournɇ au ueſprɇ, & puis leur fait lumiere.
De la pouons les tempeſtes apprendre,
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Lors que le temps doutteux nous peut ſurprendre,
Le iour qu'il fault les moiſſons commencer,
Le temps qu'il fault la Terrɇ enſemencer:
Et ſus la Mer infidele dirons
Le temps qu'il fault tirer aux auirons:
Ou quand il fault armer gens pour combattre
Deſſus la Mer, l'election d'abbatre
Le Pin au bois en ſa ſaiſon decente.
Nous contemplons des Signes la deſcente
Et le leuer, non ſans grandes raiſons,
Et l'an außi mis en quatre ſaiſons
D'effet contrairɇ, & qui pourtant n'eſt qu'un:
Si froide pluyɇ empeſchɇ en temps aucun
Le Laboureur, des affaires beaucoup
Peut deſpeſcher, qu'il luy faudroit acoup
Precipiter, ayant le temps luyſant:
La mouſſe dent du Soc ua aiguiſant,
Il fait le mercq du beſtail, ou il graue
Signes aux blez amaſſez, ou il caue
Petitz bateaux de bois: les uns preparent
Pauz & paliz, dont les blez ſe remparent,
Aiguiſent Brocz qui ont la pointe double,
Et font apprest pour le uignoble ſouple
Des eſchalatz de l'Ameriɇ iſſus:
Puis maintenant panniers me ſoient tiſſus
D'oſier de Rubɇ: ores les blez cuiſez
A la chaleur, or d'un caillou briſez.
Meſmes les droiz & diuins & humains
Aux iours de feſtɇ exercer œuures maintz
Permettent bien: loy ſaincte ne ſe trouue
Qui ecouler l'eau des ruiſſeauz reprouue,
Autour des blez les hayes étouper,
Et les oiſeaux auec gluauz tromper,
Bruller l'eſpinɇ, & les bestes a laine
Baigner ſouuent en la riuiere ſaine:
Souuent außi celuy qui meinɇ & bat
L'aſne muſant, luu charge ſus le baſt
De l'huilɇ a uendrɇ, ou fruiz de ualeur uille:
Ou il emportɇ au retour de la uille
La pierre durɇ accoutreɇ au marteau,
Ou quelque fois de poix noirɇ un tourteau.
La Lune fate que les iours ualent mieux
Pour ménager, ſelon les rengs & lieux:
Fuy la cinquieſmɇ, Orcque pallɇ & infait,
Auec les trois furies y fut fait,
Et a ce iour ta Terre mit au monde
D'enfantement ſacrilegɇ & immonde,
Ceɇ, Iapetɇ, & Thypheɇ inhumains
Accompagnez de leurs freres germains,
Qui le hault Ciel ruiner propoſerent:
Oſſe trois coups amaſſer ilz oſerent
Sus Pelion, o l'entrepriſe groſſe!
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Et le feuillu Olympe deſſus Oſſe:
Les mons dreſſez le Pere par trois coups
Auec ſa foudrɇ a frapez & ſecouz.
Or pour la Vignɇ en ordre bien reduire,
Et beufz d'élitɇ a la Charruɇ inſtruire,
La ſeptieſme eſt bonnɇ apres la dizieſme,
Et pour ourdir la toilɇ: & la neuuieſme
Eſt la meilleurɇ a ceux qui loing s'en uont,
Et est contrairɇ a ceux qui larcins font.
Negoces maintz s'addonnent qu'on deſpeſche
Bien mieux apoint, au temps de la nuit freſche,
Ou ſus le point que l'Aurorɇ expoſant
Nouueau Soleil, uient la Terrɇ arrouſant:
Mieux uault de nuit tondre les chaumes uides,
Mieux uault de nuit fauſcher les prez arides:
La freſchɇ humeur point ne fault a la nuit:
Puis quelcun ueillɇ a la Lampe qui luit
Ad temps d'hyuer, de la nuit la plus part,
Et en façon d'epy tranchɇ & depart
D'un fer pointu, la meche qui fait flamme:
Et ce pendant d'un chant ioyeux ſa femme
Fait moins durer ſa beſongnɇ ennuyante,
En pourmenant ſa nauette bruiante
Parmi ſa toilɇ: ou au chaudron qui bout
Au long du feu, l'humeur du nouueau mouſt
Fait amoindrir peu a peu, & en iette
L'ecume hors auec une branchette:
Mais il conuient tondre Ceres la blonde
Quand du midy la grand' chaleur abonde,
Et quand du iour le grand chaud eſt regnant,
Les blez grillez l'Airɇ ua eſgrainant.
Laboure nu, ſeme nu pour ton bien:
Les Laboureurs en hyuer ne font rien,
Des biens cueilliz le plus ſouuent iouiſſent
Au temps de froid, & entr'eux s'eiouiſſent,
Et a diſner l'un l'autre s'entredonne,
Puis que l'hyuer genial l'abandonne,
Et les eſprix de tout chagrin deſcharge:
Comme l'on uoit quant les uaiſſeaux de charge
Ont ia pris port, & la ioyeuſe troupe
Des mariniers plante deſſus la pouppe
Vins couronnez. Or toutesfois le glan
Du Cheſnɇ, on bat en ceſt endroit de l'an,
Grains de Laurier lors cueillir est utile,
L'Olyuɇ außi, & le ſanglant Myrtile:
Les pieges lors aux Grues on appreste,
Les Cerfz außi aux filetz ont arreste:
On ſuit le trac du Liëure a grand aureille:
Nɇurer les Dains le paſteur s'appareille,
En tournoyant le fouet a la ronde
Qui bruire fait la Baleare fonde,
Lors que la neigɇ est ia hautɇ amaſſee,
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Et des ruiſſeaux la glacɇ aual chaſſee.
Que dirons nous des orages uenans
Au temps d'Automnɇ, & des aſtres regnans?
Et lorſque uient le iour a s'accourſir,
Et de l'eſté le chaud a s'addouſſir?
Combien il fault lors estre uigilant?
Ou quant ſuruient le Printemps diſtillant?
Et lors außi que les blez qui floriſſent
Parmi les champs en eſpy ſe heriſſent?
Lors que le grain, qui n'eſt encor' que lait,
Vient a s'enfler au tuyau uerdelet?
Souuent i'ay ueu, deſia le païſant
Les moiſſonneurs es blez meurs conduiſant,
Et ſus le point qu'il estoit prest d'entendre
A couper l'Orgɇ au tuyau mol & tendre,
De tous les uens, s'eſmouuoir une guerre,
Qui la moiſſon ia pleine hors de terre
Des la racinɇ a grand' force froiſſoient,
Et tout an loing en hault la diſperſoient,
Tant fort l'oragɇ & le tourbillon trouble
Le leger chaumɇ agitant & l'eſtouble,
Chaſſoit en l'air par la roideur du uent.
Außi du Ciel deſcendent bien ſouuent
Rauines d'eaus, & les nues attraittes
Du hault de l'air, amaſſent longues traittes
De pluyɇ ombreuſɇ, & lempeſte treſorde:
Le Ciel ardu s'eſclattɇ & ſe déborde,
Et de delugɇ il naye par les plaines
Blez plantureux, des paouures beufz les peines:
Riuieres lors ſe ſont creuſes & groſſes
Auec haut bruit, & rempliſſent les foſſes:
La mer s'eſleuɇ & ſoufflɇ a gros bouillons:
Et au milieu des obſcurs tourbillons
Le Pere lancɇ un flamboyant tonnerre
De ſa main deſtrɇ: & la peſante terre
De la ſecouſſɇ a trembler eſt ïnduitte:
Bestes des bois ſe ſont miſes en fuite,
Humble frayeur en contree diuerſe
Les cueurs humains epouentɇ & renuerſe:
Et luy du dard ardent qui luy eſchape,
Athon, Rhodopɇ, ou les Ceraunes frape:
Adoncq' des uens recommence l'apreſſe,
Et ſe refait la pluye plus eſpaiſſe,
Les ſoufflemens qui enſemble combatent,
Ores les bois, ores les fleuues batent.
Pour de cela te mettrɇ en ſauuegarde,
Les mois du Ciel & les aſtres regarde,
En quel endroit fait ſon cours taciturne
La firoidureuſɇ eſtoile de Saturne,
A quell' planette, en quelle part & Signe,
Le feu errant de Mercure decline.
Prier les Dieux eſt ton premier office
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Et honorer d'annuel ſacrifice
La grand' Ceres, lors qu'en gaye uerdure
As fait tes blez: quand toute la froidure
Eſt abbattuɇ, & la prime ſaiſon
Eſt au ſerain: adoncq' tu as foiſon
D'aigneletz gras & de uin ſauoureux,
Alors tu as le dormir amoureux,
Et croiſt es mons un ombrageux feuillage;
Qu'en ta faueur ieunes gens de uillage
Enuers Ceres facent prieres tous:
Toy pétriz luy du miel, lait, & uin doux:
Puis que l'hoſtiɇ en bon point, alentour
Des blez nouueaux trois fois face le tour:
La Chantreriɇ & la gaye ſequelle
Des compagnons, marchɇ en toyɇ auec elle,
Et que Ceres ell' appellɇ a clameurs
En ſes greniers. Auec ce, les blez meurs
Homme n'y ait qui de lauſſille tranche,
Tant que premier d'une tortiſſe branche
De Cheſnɇ, il n'ait la teſtɇ enuironnee,
En demenant danſe non trop ornee,
Diſant parmi, carmes, chanſons, & hymnes.
Ores affin que par plus certains ſignes
Sachons comment les ſaiſons ſe demeinent,
Chaud, pluyɇ, & uens qui la froidurɇ ameinent,
Iceluy Perɇ a eſtably les lois
Qu'enſeigneroit la Lune par les mois,
A quoy les Vens on iugeroit croiſſans
Deuers midy: quoy ſouuent congnoiſſans
Les Laboureurs, ſe peuſſent ſouuenir
De leur beſtail plus pres du toit tenir.
Des que les Vens s'appreſient de ſouffler,
Les flotz eſmuz commencent a s'enfler,
Et des haultz mons un bruit tonnɇ & s'éclatte:
Ou un murmurɇ au large ſe dilate
Des reſonnans riuages qui ſe troublent,
Et des foreſtz les ſoufflemens redoublent:
Ia mal agré peuuent tes groſſes eaus
Se contenir d'entrer dans les uaiſſeaux,
Quant les Plong'ons reuolent promptement
De la mer haultɇ, & au port droittement
Portent leurs criz: & ſus la riuɇ en bas
Foucques de mer demement leurs eſbatz,
Et le Heron laiſſant les eaux congnues,
Leue ſon uol par ſus les hautes nues:
Außi uoirrez les eſtoiles ſouuent
Tomber du Ciel contrebas, quand le Vent
Se ueult leuer, & blanchir en circuit
Longs traiz d'éclairs par l'obſcur de la nuit:
Souuent uoirrez les legeres paillettes,
Et ça & la les caducques feuillettes
S'éparpiller, & les plumes nouer
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A fleur de l'eau, & enſemble iouer.
Mais quand deuers Boree le terrible
Sourd la tempeſte, & la maiſon horrible
D'Eurɇ & Zephyrɇ eſt en groſſes aleines,
Lors tous les champs nouent a foſſes pleines,
Et ſus la mer les mariniers timides
Font un amas de leurs uoiles humides.
Temps pluuieux oncques au deſpourueu
Ne nous ſorprint: ou les Grues l'ont ueu,
Voulant uenir, & de haute uollee
L'ont euité du bas d'une uallee:
Ou bien la Vachɇ auec ſon large nez,
Leué au Ciel a les uens aleinez:
Ou es mareiz la babillardɇ Ironde
Par cy par la eſt uoleɇ a la ronde:
Et au limon les grenouilles tandis
Ont gazouillé leurs tenſons de iadis:
Et bien ſouuent de ſa creuſe reiraitte
A le Fourmy par unɇ uoyɇ eſtrette
Trainé ſes œufz: ou l'Arc de rondeur grande
A humé l'eau: & les Corbeaux en bande
Tous aſſemblez du repas s'en reuont
Et pres a pres leurs celles bruire font:
Puis uous uoirrez de mer diuers oiſeaux,
Et ceux außi qui enuiron les eaus
Du doux Caiſtrɇ, es prez Aſiens fouillent,
Qui a l'ceuy de roſee ſe mouillent
Le dos ſouuent: or' la reſtɇ ilz preſentent
Aux flotz de l'eau, or deſſouz ilz s'abſentent,
Et les uoirriez par ſigne teſmoigner
L'enuiɇ en uain qu'ilz ont de ſe baigner:
Lors la Corneillɇ ennuyeuſe a plein bec
La pluyɇ appellɇ, & eſt au ſable ſec
Marchant ſeulettɇ auec ſoy amuſee.
Les filles meſmɇ en filant leur fuſee
N'ignorent pas la uenue d'icelle,
De nuit uoyans l'huile qui estincelle
Dedens la Lampɇ, & par deſſus paroiſſent
Des potirons pourriz qui y ſurcroiſſent.
Or non pas moins le beau temps peux preuoir,
Et l'air ſerain, que le temps de pleuuoir,
Et le congnoiſtrɇ a ſignes manifestes:
Car la ſplendeur des eſioiles celestes
Aux yeux alors ne ſe monstrɇ hebetee;
N'außi la Lunɇ aux rayons endettee:
Du frere ſien n'eſt bleſmɇ a ſon leuer:
Et ne uoit on parmy l'air s'eleuer
De laine blanchɇ aucuns bouchons petitz:
Les Alcyons bien aimez de Thétis
On ne uoit point leurs plumages estendre
Sus le riuagɇ au Soleil foiblɇ & tendre:
Et a l'ecart du groing les ors Pourceaux
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N'eſpandent point de fange les monceaux:
Mais les brouillars plus uiſiblement tendent
Encontrebas, & ſus le champ s'eſtendent:
Et le Hibou du hault de quelque ſouche,
Et attendant que le Soleil ſe couche,
Ses chantz adoncq' nocturnes point ne rend:
Niſɇ en l'air clair ſublimɇ est apparent,
Et Scille lors puniɇ est du peché
Du cheueu rougɇ a ſon perɇ arraché:
De quelque part que de l'ællɇ ellɇ euite
En fendant l'air, luy qui uole ſi uite,
Voicy par l'air l'ennemy plein d'aſpreſſe
D'un bat ſifflant Niſe la ſuit & preſſe:
Et de la part que Niſɇ en l'air uolɇ, elle
Fuyant ſon uol, fend ſubit l'air de l'ælle.
Lors les Corbeaux d'une gorgɇ eſtreßie
Trois fois ou quatrɇ ont leur uoix eſclaircie,
Et en leurs iuez ſouuent par les fouillars
D'un ne ſay quel paſſetemps plus gaillars
Que parauant, enſemble ſe debatent:
Apres le temps pluuieux ilz s'eſbatent
A uiſiter & aller faire chere
Dedens leurs nicz a leur lignee chere.
Qu'eſprit du Ciel leur ait eſté donné
Ie ne le croy, ou qu'aVec eux ſoit né
Tel iugement, que par quelque prudence
Soient excedans fatalle prouidence:
Mais quand ce uient que l'orage tonnant,
Et la moiteur du Ciel qui ua tournant
Changent leurs tours, & donnent lieu aux autres
Et Iupiter moitɇ au moyen des Austres
Ce qui estoit tantost clair, eſpaißit,
Ce qui estoit eſpais, il eſclaircit,
Lors les eſpriz autres formes reçoiuent,
Et dens les cueurs mouueinens ſe reçoiuent
En un instant, tous autres qu'ilz n'estoient
Lors que les uens les nues tempestoient.
De la le chant a tous oiſeaux aggree,
Et le beſtail par les champs ſe récree,
Et aux Corbeaux la gorgɇ eſt ſi gaillarde.
Or maintenant ſi tu ueux prendre garde
Au Soleil roidɇ, & aux Lunes qui uont
De iour en iour & tour ſucceßif ont,
L'heure iamais tromper ne te dëura
Du lendemain, & ne te decëura
La nuit en rien pour claire qu'elle ſoit.
Incontinent que la Lune reçoit
Le nouueau feu que le Soleil luy donne,
Si de ſa cornɇ obſcurɇ ell' enuironne
Air tenebreux, ce ſera pluyɇ extreſme
Deſſus la terrɇ & deſſus la mer meſmes,
Mais s'ell' eſpand de ſon uiſage lors
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Vne rougeur uirginalle dehors,
Ce ſera Vent: la doree Lunɇ eſt
Rouge touſiours alors que le Vent naiſt.
Et au rebours ſi ell' est purɇ & belle
En ſon quart iour (car celuy la s'appelle
L'auteur certain) & s' elle n'a les cornes
Parmi le Ciel n'hebetees ne mornes,
Tout ce iour [a, & tous autres expres
Qui iuſqu'au bout du mois uiendront apres,
Du uent ſeront & de la pluyɇ exemps:
Et ſus le port payeront leurs preſens
Les mariniers ſauuez de toute perte,
Qu'a Panopeɇ a Glauquɇ a Melicerte
Le filz d'Inon, ilz nouerent deuant.
Et le Soleil außi en ſe leuant,
Et quand au ſoir ſouz les eaus entrera,
Du temps & air ſignes nous monſtrera:
Signes treſſeurs au Soleil ſe ioindront,
Soit au matin quand ſes rayons poindront,
Soit ſus le ueſprɇ au leuer des estoiles.
Alors qu'il a deſſouz nublieux uoiles
Vn orient, de diuerſe macule
Tout uarié, & ſon globe recule
Par le milieu, c'eſt pour doutter beaucoup
D'auoir de l'eau: Car d'enhault fort acoup
L'Auſtrɇ au beſtail, blez, & arbres nuyſant:
Ou quand un peu auant le iour luiſant
Diuers rayons s'eſtendent tout au large
Souz une nuɇ eſpaiſſe qui les charge:
Ou quand l'Aurorɇ iſſant du iaune lit
De ſon Tithonɇ, a ſon leuer pallit,
Las il ſera malaiſé aux feuillettes
De garentir les grapes nouuelletes,
Tant forte Greliɇ horriblɇ petillante
Vient de roideur ſus les tuiles ſaillante.
Cecy noter encores uaudra mieux
Quand le Soleil ayant luſtré les Cieux
Se couchera: car ſouuent nous uoyons
Pluſieurs couleurs errer ſus ſes rayons.
Il nous predit la pluye s'il est pers,
Couleur de feu denote uens apers:
Mais quand & quand ſi macules diuerſes
Parmy ce feu rouge font leurs trauerſes,
Lors tu uoirras que tout ſera feruent
Tout a un coup & de pluyɇ & de uent:
Homme n'y ait qui ſon conſeil me donne
Que celle nuit ſus mer ie m'abandonne,
Ou que du port les cordes ie deſtache,
Mais ſi le Cerclɇ eſt luiſant & ſans tache
Lorſque le iour ſus terrɇ apportera,
Et que l'ayant apporté, l'ostera,
En uain craindras la pluyɇ, & pourras uoir
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D'Aquilon clair les Foreſtz ſe mouuoir.
Et brief, quel temps le tardif Veſpre braſſe,
Et d'ou le uent les claires nues chaſſe,
Et ce que l'Auſtrɇ humide nous machine,
C'est le Soleil qui le monstre par ſigne:
Ou eſt celuy qui oſerait ſonger
Que le Soleil fust en rien menſonger?
Luy qui deſcouurɇ auec ſignɇ eminent
Souuent maint troublɇ, occultɇ & imminent,
Trahiſon, guerrɇ, & coniuration:
Luy qui de Rommɇ ayant compaßion,
Lors qu'a Ceſar auint mortel meſchef,
De rouille noirɇ obſcurcit ſon clair chef:
Et du remors de la mort paternelle,
Le Sieclɇ eut peur d'auoir nuit eternelle:
Bien que la Terrɇ & la Mer, ſans cela,
Et les matins uillains en ce temps la,
Et les oiſeauz, de uolleɇ importune
Donnoient par tout ſigne de l'infortune.
Combien de fois le feu en Etne clos
Auons nou ueu par les Champs des Cyclops
Se deſgorger a bouillons ondoyans,
Ayant rompu les fourneauz flamboyans:
Gros pelotons de flamme repanduz,
Et les Rochers de grand' chaleur fonduz:
La Germaniɇ a ouy les allarmes
Par tout le Ciel des reſonnantes armes:
D'un nouueau branlɇ ont les Alpes tremblé:
Et une uoix hautainɇ a redoublé,
De loing ouyɇ es forestz taciturnes
Et par l'obſcur les fantaſmes nocturnes
Ont eſté ueuz pallir d'eſtrange forme:
Les bestes meſmɇ ont parlɇ (choſɇ enorme):
Le cours tout court des riuieres demeure,
La Terre s'ouurɇ, & par les Temples pleure
L'iuoire triſtɇ, & y ſue l'erain:
Le Pau ſeigneur de fleuues ſouuerain
S'en ua nayant les bois a la trauerſe,
Et d'un débord bruyant il les renuerſe:
Partout es champs d'une roideur tant forte
Tout le beſtail & estables emporte.
Au meſme temps n'ont les ueines hideuſes
De ſe monstrer es entrailles piteuſes
Iamais ceßé: le ſang couler des puiz:
Les loupz urlans ont fait toutes les nuitz
Loing retentir des uilles les hautz feſtes:
Oncq tant de fois ne cheurent les tempeſtes
De l'Air ſerain, ny au Ciel manifeſtes
Ardrɇ on ne uit les Comettes funeſtes.
C'eſt donq' pourtant que les Romains ſoudars
S'entr' aſſaillir auecques pareilz dars
La Philippiɇ a ueuz encore un coup:
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Et n'a ſemblé aux Dieux estre beaucoup
Que l'Emathiɇ & les Champs eſpanduz
D'Eme, deuit fois plus gras ſe ſoient renduz
De nostre ſang. Penſez que d'orenla
Les paiſans labourans ces champs la
Deſcouurironc de leurs ſocz, dars de guerre
Deſia rongez de rude rouillɇ en terre,
Et des rasteauz peſans renuerſeront
Les heaumes creux, & des grans os ſeront
En déterrant les tombes, esbahiz.
Dieux gardiens ſacrez de ce païs,
Romulɇ, & Vestɇ, ayant entre tes mains
Le Tybre Touſquɇ & les palais Rommains,
Ce ieune Princɇ, au moins, n'empeſchez pas
De ſecourir ce ſiecle foiblɇ & bas:
Receu auons pieça l'ample guerdon
Du desloyal Troyen Laomedon,
Tout au deſpens de nostre ſang & uie:
La court du Ciel pieça nous portɇ enuie
Qu'elle, ne t'a, Ceſar, & n'eſt contente
Qu'as aux mortelz triomphes ton entente:
Car puis le temps que les uertuz & crimes
Ont esté mis bout pour bout ſans deſcrimes,
Qu'en tant de lieux guerre cruelle abonde,
Tant de façons de pecher par le monde,
A la Charruɇ honneur on ne fait point
Tel qu'il conuient: les Champs ſont mal empoint:
Les Laboureurs diſtraiz de leur affaire
Des courbes faux longs estocz ont fait faire:
D'icy Euphratɇ en armes ſe remue,
D'autre coſté l'Allemaignɇ eſt eſmue:
Et les Citez proches, qui les lois ſaintes
De l'alliancɇ entr' elles ont enfreintes,
Sont aux couteaux: Mars ſans miſericorde
Par tout le Mondɇ eſpand guerrɇ & diſcorde:
Ny plus ny moins que quand de la Barriere
Les Chariotz ſe ſont mis en carriere,
Touſiours leurs cours de plus en plus prend force,
Et le Chartier qui pour'neani s'efforce
Tenir l'arreſt, des cheuaux est porté,
Sans que du char le frein ſoit eſcouté.
Quid faciat laetas segetes, quo sidere terram
vertere, Maecenas, ulmisque adiungere vitis
conveniat, quae cura boum, qui cultus habendo
sit pecori, apibus quanta experientia parcis,
hinc canere incipiam. Vos, o clarissima mundi
lumina, labentem caelo quae ducitis annum,
Liber et alma Ceres, vestro si munere tellus
Chaoniam pingui glandem mutavit arista,
poculaque inventis Acheloia miscuit uvis;
et vos, agrestum praesentia numina, Fauni,
ferte simul Faunique pedem Dryadesque puellae:
Munera vestra cano. Tuque o, cui prima frementem
fudit equum magno tellus percussa tridenti,
Neptune; et cultor nemorum, cui pinguia Ceae
ter centum nivei tondent dumeta iuvenci;
ipse nemus linquens patrium saltusque Lycaei,
Pan, ovium custos, tua si tibi Maenala curae,
adsis, o Tegeaee, favens, oleaeque Minerva
inventrix, uncique puer monstrator aratri,
et teneram ab radice ferens, Silvane, cupressum,
dique deaeque omnes, studium quibus arva tueri,
quique novas alitis non ullo semine fruges,
quique satis largum caelo demittitis imbrem;
tuque adeo, quem mox quae sint habitura deorum
concilia, incertum est, urbisne invisere, Caesar,
terrarumque velis curam et te maximus orbis
auctorem frugum tempestatumque potentem
accipiat, cingens materna tempora myrto,
an deus inmensi venias maris ac tua nautae
numina sola colant, tibi serviat ultima Thule
teque sibi generum Tethys emat omnibus undis,
anne novum tardis sidus te mensibus addas,
qua locus Erigonen inter Chelasque sequentis
panditur—ipse tibi iam bracchia contrahit ardens
Scorpius et caeli iusta plus parte reliquit—
quidquid eris,—nam te nec sperant Tartara regem
nec tibi regnandi veniat tam dira cupido,
quamvis Elysios miretur Graecia campos
nec repetita sequi curet Proserpina matrem—
da facilem cursum atque audacibus adnue coeptis
ignarosque viae mecum miseratus agrestis
ingredere et votis iam nunc adsuesce vocari.
Vere novo, gelidus canis cum montibus humor
liquitur et Zephyro putris se glaeba resolvit,
depresso incipiat iam tum mihi taurus aratro
ingemere et sulco attritus splendescere vomer.
Illa seges demum votis respondet avari
agricolae, bis quae solem, bis frigora sensit;
illius inmensae ruperunt horrea messes.
At prius ignotum ferro quam scindimus aequor,
ventos et varium caeli praediscere morem
cura sit ac patrios cultusque habitusque locorum
et quid quaeque ferat regio et quid quaeque recuset.
Hic segetes, illic veniunt felicius uvae,
arborei fetus alibi, atque iniussa virescunt
gramina. Nonne vides, croceos ut Tmolus odores,
India mittit ebur, molles sua tura Sabaei,
at Chalybes nudi ferrum, virosaque Pontus
castorea, Eliadum palmas Epiros equarum.
Continuo has leges aeternaque foedera certis
inposuit natura locis, quo tempore primum
Deucalion vacuum lapides iactavit in orbem,
unde homines nati, durum genus. Ergo age, terrae
pingue solum primis extemplo a mensibus anni
fortes invertant tauri glaebasque iacentis
pulverulenta coquat maturis solibus aestas;
at si non fuerit tellus fecunda, sub ipsum
Arcturum tenui sat erit suspendere sulco:
illic, officiant laetis ne frugibus herbae,
hic, sterilem exiguus ne deserat humor harenam.
Alternis idem tonsas cessare novalis
et segnem patiere situ durescere campum;
aut ibi flava seres mutato sidere farra,
unde prius laetum siliqua quassante legumen
aut tenuis fetus viciae tristisque lupini
sustuleris fragilis calamos silvamque sonantem.
Urit enim lini campum seges, urit avenae,
urunt Lethaeo perfusa papavera somno:
sed tamen alternis facilis labor, arida tantum
ne saturare fimo pingui pudeat sola neve
effetos cinerem inmundum iactare per agros.
Sic quoque mutatis requiescunt fetibus arva;
nec nulla interea est inaratae gratia terrae.
Saepe etiam sterilis incendere profuit agros
atque levem stipulam crepitantibus urere flammis:
sive inde occultas viris et pabula terrae
pinguia concipiunt, sive illis omne per ignem
excoquitur vitium atque exsudat inutilis humor,
seu pluris calor ille vias et caeca relaxat
spiramenta, novas veniat qua sucus in herbas,
seu durat magis et venas adstringit hiantis,
ne tenues pluviae rapidive potentia solis
acrior aut Boreae penetrabile frigus adurat.
Multum adeo, rastris glaebas qui frangit inertis
vimineasque trahit cratis, iuvat arva, neque illum
flava Ceres alto nequiquam spectat Olympo;
et qui, proscisso quae suscitat aequore terga,
rursus in obliquum verso perrumpit aratro,
exercetque frequens tellurem atque imperat arvis.
Humida solstitia atque hiemes orate serenas,
agricolae; hiberno laetissima pulvere farra,
laetus ager: nullo tantum se Mysia cultu
iactat et ipsa suas mirantur Gargara messis.
Quid dicam, iacto qui semine comminus arva
insequitur cumulosque ruit male pinguis harenae
deinde satis fluvium inducit rivosque sequentis
et, cum exustus ager morientibus aestuat herbis,
ecce supercilio clivosi tramitis undam
elicit. illa cadens raucum per levia murmur
saxa ciet, scatebrisque arentia temperat arva.
Quid qui, ne gravidis procumbat culmus aristis,
luxuriem segetum tenera depascit in herba,
cum primum sulcos aequant sata. quique paludis
collectum humorem bibula deducit harena.
Praesertim incertis si mensibus amnis abundans
exit et obducto late tenet omnia limo,
unde cavae tepido sudant humore lacunae.
Nec tamen, haec cum sint hominumque boumque labores
versando terram experti, nihil inprobus anser
Strymoniaeque grues et amaris intiba fibris
officiunt aut umbra nocet. Pater ipse colendi
haud facilem esse viam voluit, primusque per artem
movit agros curis acuens mortalia corda
nec torpere gravi passus sua regna veterno.
Ante Iovem nulli subigebant arva coloni;
ne signare quidem aut partiri limite campum
fas erat: in medium quaerebant ipsaque tellus
omnia liberius nullo poscente ferebat.
Ille malum virus serpentibus addidit atris
praedarique lupos iussit pontumque moveri,
mellaque decussit foliis ignemque removit
et passim rivis currentia vina repressit,
ut varias usus meditando extunderet artis
paulatim et sulcis frumenti quaereret herbam.
Ut silicis venis abstrusum excuderet ignem.
Tunc alnos primum fluvii sensere cavatas;
navita tum stellis numeros et nomina fecit,
Pleiadas, Hyadas, claramque Lycaonis Arcton;
tum laqueis captare feras et fallere visco
inventum et magnos canibus circumdare saltus;
atque alius latum funda iam verberat amnem
alta petens, pelagoque alius trahit humida lina;
tum ferri rigor atque argutae lamina serrae,—
nam primi cuneis scindebant fissile lignum
tum variae venere artes. Labor omnia vicit
inprobus et duris urgens in rebus egestas.
Prima Ceres ferro mortalis vertere terram
instituit, cum iam glandes atque arbuta sacrae
deficerent silvae et victum Dodona negaret.
Mox et frumentis labor additus, ut mala culmos
esset robigo segnisque horreret in arvis
carduus; intereunt segetes, subit aspera silva,
lappaeque tribolique, interque nitentia culta
infelix lolium et steriles dominantur avenae.
Quod nisi et adsiduis herbam insectabere rastris,
et sonitu terrebis aves, et ruris opaci
falce premes umbras votisque vocaveris imbrem,
heu magnum alterius frustra spectabis acervum,
concussaque famem in silvis solabere quercu.
Dicendum et, quae sint duris agrestibus arma,
quis sine nec potuere seri nec surgere messes:
vomis et inflexi primum grave robur aratri
tardaque Eleusinae matris volventia plaustra
tribulaque traheaeque et iniquo pondere rastri;
virgea praeterea Celei vilisque supellex,
arbuteae crates et mystica vannus Iacchi.
Omnia quae multo ante memor provisa repones,
si te digna manet divini gloria ruris.
Continuo in silvis magna vi flexa domatur
in burim et curvi formam accipit ulmus aratri.
Huic a stirpe pedes temo protentus in octo,
binae aures, duplici aptantur dentalia dorso
caeditur et tilia ante iugo levis altaque fagus,
stivaque, quae currus a tergo torqueat imos,
et suspensa focis explorat robora fumus.
Possum multa tibi veterum praecepta referre,
ni refugis tenuisque piget cognoscere curas.
Area cum primis ingenti aequanda cylindro
et vertenda manu et creta solidanda tenaci,
ne subeant herbae neu pulvere victa fatiscat,
tum variae inludant pestes: saepe exiguus mus
sub terris posuitque domos atque horrea fecit,
aut oculis capti fodere cubilia talpae,
inventusque cavis bufo et quae plurima terrae
monstra ferunt, populatque ingentem farris acervum
curculio atque inopi metuens formica senectae.
Contemplator item, cum se nux plurima silvis
induet in florem et ramos curvabit olentis.
Si superant fetus, pariter frumenta sequentur
magnaque cum magno veniet tritura calore;
at si luxuria foliorum exuberat umbra,
nequiquam pinguis palea teret area culmos.
Semina vidi equidem multos medicare serentis
et nitro prius et nigra perfundere amurca,
grandior ut fetus siliquis fallacibus esset,
et, quamvis igni exiguo, properata maderent.
Vidi lecta diu et multo spectata labore
degenerare tamen, ni vis humana quot annis
maxima quaeque manu legeret. Sic omnia fatis
in peius ruere ac retro sublapsa referri,
non aliter, quam qui adverso vix flumine lembum
remigiis subigit, si bracchia forte remisit,
atque illum in praeceps prono rapit alveus amni.
Praeterea tam sunt Arcturi sidera nobis
Haedorumque dies servandi et lucidus Anguis,
quam quibus in patriam ventosa per aequora vectis
pontus et ostriferi fauces temptantur Abydi.
Libra die somnique pares ubi fecerit horas
et medium luci atque umbris iam dividit orbem,
exercete, viri, tauros, serite hordea campis
usque sub extremum brumae intractabilis imbrem;
nec non et lini segetem et Cereale papaver
tempus humo tegere et iamdudum incumbere aratris,
dum sicca tellure licet, dum nubila pendent.
Vere fabis satio; tum te quoque, Medica, putres
accipiunt sulci et milio venit annua cura,
candidus auratis aperit cum cornibus annum
Taurus et averso cedens Canis occidit astro.
At si triticeam in messem robustaque farra
exercebis humum solisque instabis aristis,
ante tibi Eoae Atlantides abscondantur
Gnosiaque ardentis decedat stella Coronae,
debita quam sulcis committas semina quamque
invitae properes anni spem credere terrae.
Multi ante occasum Maiae coepere; sed illos
exspectata seges vanis elusit avenis.
Si vero viciamque seres vilemque phaselum
nec Pelusiacae curam aspernabere lentis,
haud obscura cadens mittet tibi signa Bootes:
incipe et ad medias sementem extende pruinas.
Idcirco certis dimensum partibus orbem
per duodena regit mundi Sol aureus astra.
Quinque tenent caelum zonae; quarum una corusco
semper sole rubens et torrida semper ab igni;
quam circum extremae dextra laevaque trahuntur
caeruleae, glacie concretae atque imbribus atris;
has inter mediamque duae mortalibus aegris
munere concessae divom, et via secta per ambas,
obliquus qua se signorum verteret ordo.
Mundus, ut ad Scythiam Rhipaeasque arduus arces
consurgit, premitur Libyae devexus in austros.
Hic vertex nobis semper sublimis; at illum
sub pedibus Styx atra videt Manesque profundi.
Maximus hic flexu sinuoso elabitur Anguis
circum perque duas in morem fluminis Arctos,
Arctos Oceani metuentis aequore tingui.
Illic, ut perhibent, aut intempesta silet nox,
semper et obtenta densentur nocte tenebrae,
aut redit a nobis Aurora diemque reducit;
nosque ubi primus equis Oriens adflavit anhelis,
illic, sera rubens accendit lumina Vesper.
Hinc tempestates dubio praediscere caelo
possumus, hinc messisque diem tempusque serendi,
et quando infidum remis inpellere marmor
conveniat, quando armatas deducere classis,
aut tempestivam silvis evertere pinum.
Nec frustra signorum obitus speculamur et ortus,
temporibusque parem diversis quattuor annum.
Frigidus agricolam si quando continet imber,
multa, forent quae mox caelo properanda sereno,
maturare datur: durum procudit arator
vomeris obtunsi dentem, cavat arbore lintres,
aut pecori signum aut numeros inpressit acervis.
Exacuunt alii vallos furcasque bicornis
atque Amerina parant lentae retinacula viti.
Nunc facilis rubea texatur fiscina virga,
nunc torrete igni fruges, nunc frangite saxo.
Quippe etiam festis quaedam exercere diebus
fas et iura sinunt; rivos deducere nulla
religio vetuit, segeti praetendere saepem,
insidias avibus moliri, incendere vepres,
balantumque gregem fluvio mersare salubri.
Saepe oleo tardi costas agitator aselli
vilibus aut onerat pomis, lapidemque revertens
incusum aut atrae massam picis urbe reportat.
Ipsa dies alios alio dedit ordine Luna
felicis operum. Quintam fuge: pallidus Orcus
Eumenidesque satae; tum partu Terra nefando
Coeumque Iapetumque creat saevumque Typhoea
et coniuratos caelum rescindere fratres.
Ter sunt conati inponere Pelio Ossam
scilicet, atque Ossae frondosum involvere Olympum;
ter pater exstructos disiecit fulmine montis.
Septima post decimam felix et ponere vitem
et prensos domitare boves et licia telae
addere: nona fugae melior, contraria furtis.
Multa adeo gelida melius se nocte dedere,
aut cum sole novo terras inrorat Eous.
Nocte leves melius stipulae, nocte arida prata
tondentur, noctes lentus non deficit humor.
Et quidam seros hiberni ad luminis ignis
pervigilat ferroque faces inspicat acuto;
interea longum cantu solata laborem
arguto coniunx percurrit pectine telas,
aut dulcis musti Volcano decoquit humorem
et foliis undam trepidi despumat aeni.
At rubicunda Ceres medio succiditur aestu
et medio tostas aestu terit area fruges.
Nudus ara, sere nudus; hiems ignava colono.
Frigoribus parto agricolae plerumque fruuntur
mutuaque inter se laeti convivia curant.
Invitat genialis hiems curasque resolvit,
ceu pressae cum iam portum tetigere carinae,
puppibus et laeti nautae inposuere coronas.
Sed tamen et quernas glandes tum stringere tempus
et lauri bacas oleamque cruentaque myrta,
tum gruibus pedicas et retia ponere cervis
auritosque sequi lepores, tum figere dammas,
stuppea torquentem Balearis verbera fundae,
cum nix alta iacet, glaciem cum flumina trudunt.
Quid tempestates autumni et sidera dicam,
atque, ubi iam breviorque dies et mollior aestas,
quae vigilanda viris. vel cum ruit imbriferum ver,
spicea iam campis cum messis inhorruit et cum
frumenta in viridi stipula lactentia turgent.
Saepe ego, cum flavis messorem induceret arvis
agricola et fragili iam stringeret hordea culmo,
omnia ventorum concurrere proelia vidi,
quae gravidam late segetem ab radicibus imis
sublimem expulsam eruerent; ita turbine nigro
ferret hiems culmumque levem stipulasque volantis.
Saepe etiam inmensum caelo venit agmen aquarum
et foedam glomerant tempestatem imbribus atris
collectae ex alto nubes; ruit arduus aether
et pluvia ingenti sata laeta boumque labores
diluit; inplentur fossae et cava flumina crescunt
cum sonitu fervetque fretis spirantibus aequor.
Ipse pater media nimborum in nocte corusca
fulmina molitur dextra; quo maxuma motu
terra tremit; fugere ferae et mortalia corda
per gentis humilis stravit pavor; ille flagranti
aut Athon aut Rhodopen aut alta Ceraunia telo
deicit; ingeminant austri et densissimus imber;
nunc nemora ingenti vento, nunc litora plangunt.
Hoc metuens caeli menses et sidera serva,
frigida Saturni sese quo stella receptet,
quos ignis caelo Cyllenius erret in orbis.
In primis venerare deos atque annua magnae
sacra refer Cereri laetis operatus in herbis
extremae sub casum hiemis, iam vere sereno.
Tum pingues agni et tum mollissima vina,
tum somni dulces densaeque in montibus umbrae.
Cuncta tibi Cererem pubes agrestis adoret;
cui tu lacte favos et miti dilue Baccho,
terque novas circum felix eat hostia fruges,
omnis quam chorus et socii comitentur ovantes,
et Cererem clamore vocent in tecta; neque ante
falcem maturis quisquam supponat aristis,
quam Cereri torta redimitus tempora quercu
det motus incompositos et carmina dicat.
Atque haec ut certis possemus discere signis,
aestusque pluviasque et agentis frigora ventos,
ipse Pater statuit, quid menstrua Luna moneret,
quo signo caderent austri, quid saepe videntes
agricolae propius stabulis armenta tenerent.
Continuo ventis surgentibus aut freta ponti
incipiunt agitata tumescere et aridus altis
montibus audiri fragor aut resonantia longe
litora misceri et nemorum increbrescere murmur.
Iam sibi tum a curvis male temperat unda carinis,
cum medio celeres revolant ex aequore mergi
clamoremque ferunt ad litora, cumque marinae
in sicco ludunt fulicae notasque paludes
deserit atque altam supra volat ardea nubem.
Saepe etiam stellas vento inpendente videbis
praecipitis caelo labi noctisque per umbram
flammarum longos a tergo albescere tractus;
saepe levem paleam et frondes volitare caducas
aut summa nantis in aqua colludere plumas.
At Boreae de parte trucis cum fulminat et cum
Eurique Zephyrique tonat domus: omnia plenis
rura natant fossis atque omnis navita ponto
humida vela legit. Numquam inprudentibus imber
obfuit: aut illum surgentem vallibus imis
aëriae fugere grues, aut bucula caelum
suspiciens patulis captavit naribus auras,
aut arguta lacus circumvolitavit hirundo
et veterem in limo ranae cecinere querelam.
Saepius et tectis penetralibus extulit ova
angustum formica terens iter et bibit ingens
arcus et e pastu decedens agmine magno
corvorum increpuit densis exercitus alis.
Iam variae pelagi volucres et quae Asia circum
dulcibus in stagnis rimantur prata Caystri,
certatim largos umeris infundere rores:
nunc caput obiectare fretis, nunc currere in undas
et studio incassum videas gestire lavandi.
Tum cornix plena pluviam vocat inproba voce
et sola in sicca secum spatiatur harena.
Ne nocturna quidem carpentes pensa puellae
nescivere hiemem, testa cum ardente viderent
scintillare oleum et putris concrescere fungos.
Nec minus ex imbri soles et aperta serena
prospicere et certis poteris cognoscere signis:
nam neque tum stellis acies obtunsa videtur,
nec fratris radiis obnoxia surgere Luna,
tenuia nec lanae per caelum vellera ferri;
non tepidum ad solem pinnas in litore pandunt
dilectae Thetidi alcyones, non ore solutos
inmundi meminere sues iactare maniplos.
At nebulae magis ima petunt campoque recumbunt,
solis et occasum servans de culmine summo
nequiquam seros exercet noctua cantus.
Adparet liquido sublimis in aëre Nisus
et pro purpureo poenas dat Scylla capillo:
quacumque illa levem fugiens secat aethera pinnis,
ecce inimicus, atrox, magno stridore per auras
insequitur Nisus; qua se fert Nisus ad auras,
illa levem fugiens raptim secat aethera pinnis
Tum liquidas corvi presso ter gutture voces
aut quater ingeminant, et saepe cubilibus altis
nescio qua praeter solitum dulcedine laeti
inter se in foliis strepitant; iuvat imbribus actis
progeniem parvam dulcisque revisere nidos;
haud equidem credo, quia sit divinitus illis
ingenium aut rerum fato prudentia maior;
verum ubi tempestas et caeli mobilis humor
mutavere vias et Iuppiter uvidus austris
denset, erant quae rara modo, et, quae densa, relaxat,
vertuntur species animorum et pectora motus
nunc alios, alios, dum nubila ventus agebat,
concipiunt: hinc ille avium concentus in agris
et laetae pecudes et ovantes gutture corvi.
Si vero solem ad rapidum lunasque sequentis
ordine respicies, numquam te crastina fallet
hora neque insidiis noctis capiere serenae.
Luna, revertentis cum primum colligit ignis,
si nigrum obscuro conprenderit aera cornu,
maxumus agricolis pelagoque parabitur imber;
at si virgineum suffuderit ore ruborem,
ventus erit; vento semper rubet aurea Phoebe.
Sin ortu quarto, namque is certissimus auctor,
pura neque obtunsis per caelum cornibus ibit,
totus et ille dies et qui nascentur ab illo
exactum ad mensem pluvia ventisque carebunt,
votaque servati solvent in litore nautae
Glauco et Panopeae et Inoo Melicertae.
Sol quoque et exoriens et cum se condet in undas
signa dabit; solem certissima signa sequuntur,
et quae mane refert et quae surgentibus astris.
Ille ubi nascentem maculis variaverit ortum
conditus in nubem medioque refugerit orbe,
suspecti tibi sint imbres; namque urget ab alto
arboribusque satisque Notus pecorique sinister.
Aut ubi sub lucem densa inter nubila sese
diversi rumpent radii aut ubi pallida surget
Tithoni croceum linquens Aurora cubile,
heu male tum mitis defendet pampinus uvas:
tam multa in tectis crepitans salit horrida grando.
Hoc etiam, emenso cum iam decedit Olympo,
profuerit meminisse magis; nam saepe videmus
ipsius in voltu varios errare colores:
caeruleus pluviam denuntiat, igneus Euros;
sin maculae incipient rutilo inmiscerier igni,
omnia tum pariter vento nimbisque videbis
fervere. Non illa quisquam me nocte per altum
ire, neque a terra moneat convellere funem.
At si, cum referetque diem condetque relatum,
lucidus orbis erit, frustra terrebere nimbis
et claro silvas cernes Aquilone moveri.
Denique quid vesper serus vehat, unde serenas
ventus agat nubes, quid cogitet humidus Auster,
sol tibi signa dabit. Solem quis dicere falsum
audeat. Ille etiam caecos instare tumultus
saepe monet fraudemque et operta tumescere bella.
Ille etiam exstincto miseratus Caesare Romam,
cum caput obscura nitidum ferrugine texit
inpiaque aeternam timuerunt saecula noctem.
Tempore quamquam illo tellus quoque et aequora ponti
obscenaeque canes inportunaeque volucres
signa dabant. Quotiens Cyclopum effervere in agros
vidimus undantem ruptis fornacibus Aetnam
flammarumque globos liquefactaque volvere saxa!
Armorum sonitum toto Germania caelo
audiit, insolitis tremuerunt motibus Alpes.
Vox quoque per lucos volgo exaudita silentis
ingens et simulacra modis pallentia miris
visa sub obscurum noctis, pecudesque locutae,
infandum! sistunt amnes terraeque dehiscunt
et maestum inlacrimat templis ebur aeraque sudant.
Proluit insano contorquens vertice silvas
fluviorum rex Eridanus camposque per omnis
cum stabulis armenta tulit. Nec tempore eodem
tristibus aut extis fibrae adparere minaces
aut puteis manare cruor cessavit et altae
per noctem resonare lupis ululantibus urbes.
Non alias caelo ceciderunt plura sereno
fulgura nec diri totiens arsere cometae.
ergo inter sese paribus concurrere telis
Romanas acies iterum videre Philippi;
nec fuit indignum superis, bis sanguine nostro
Emathiam et latos Haemi pinguescere campos.
Scilicet et tempus veniet, cum finibus illis
agricola incurvo terram molitus aratro
exesa inveniet scabra robigine pila
aut gravibus rastris galeas pulsabit inanis
grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris.
Di patrii, Indigetes, et Romule Vestaque mater,
quae Tuscum Tiberim et Romana Palatia servas,
hunc saltem everso iuvenem succurrere saeclo
ne prohibete! Satis iam pridem sanguine nostro
Laomedonteae luimus periuria Troiae;
iam pridem nobis caeli te regia, Caesar,
invidet atque hominum queritur curare triumphos;
quippe ubi fas versum atque nefas: tot bella per orbem,
tam multae scelerum facies; non ullus aratro
dignus honos, squalent abductis arva colonis
et curvae rigidum falces conflantur in ensem.
Hinc movet Euphrates, illinc Germania bellum;
vicinae ruptis inter se legibus urbes
arma ferunt; saevit toto Mars inpius orbe;
ut cum carceribus sese effudere quadrigae,
addunt in spatia et frustra retinacula tendens
fertur equis auriga neque audit currus habenas.[3]
FIN DV PREMIER LIVRE des Georgiques de Virgile.
AVTRES MENVES traductions de l'Autheur.
Sonnet.
QVI d'un poëtɇ entend ſuiure ta trace
En traduiſant, & proprement rimer,
Ainſi qu'il faut la diction limer,
Et du François garder la bonne grace,
Par un moyen luy conuiendra qu'il face
Egalɇ au uif la peinturɇ eſtimer,
L'art en tous pointz la Naturɇ exprimer
Et d'un corps naiſtrɇ un corps de meſme face:
Mais par ſus tout met ſon honneur en gage,
Et de grand' peinɇ emporte peu d'estime,
Qui fait parler Petrarquɇ autre langage,
Le tranſlatant en uers rime pour rime:
Que pleuſt aux Dieux & Muſes conſentir
Q'il en uinst un qui me peuſt deſmentir.
DOVZE Sonnetz de Petrarque: Sauoir eſt ſept de ceux qu'il fit du uiutāt de ſa dame Laure: & cinq autres depuis la mort d'icelle.[4]
PER FAR VNA leggiadra ſua uendetta.
Second ſonnet de la premiere partie.
Amour pour fairɇ une ueng'ancɇ appoint,H H) Francesco Petrarca, 1304-1374, italiensk lyriker och historieskrivare.
Et en, un iour millɇ offenſes me rendre,
Reprint ſon arc, commɇ un qui fait attendre
D'aguet pour nuirɇ, & l'endroit & le point.
Ma forcɇ' au cueur s'estoit rettraitiɇ', empoint
De ſe pouoir la & es yeux défendre,
Quand uint la bas le coup mortel deſcendre,
On rebouſchoit tout dard qui les cueurs point.
Pourtant troubleɇ en ſoy de prime face,
Oncques n'eut tant de uigueur ny d'eſpace,
Qu'au beſoing peuſt des armes ſe ſaiſir:
Ou au haut tertrɇ & facheux me retraire
Hors de l'ennuy, dont auiourdhuy deſir
I'ay de m'aider, & m'auient le contraire.
Per fare una leggiadra sua vendetta
et punire in un dí ben mille offese,
celatamente Amor l’arco riprese,
come huom ch’a nocer luogo et tempo aspetta.
Era la mia virtute al cor ristretta5
per far ivi et ne gli occhi sue difese,
quando ’l colpo mortal là giú discese
ove solea spuntarsi ogni saetta.
Però, turbata nel primiero assalto,
non ebbe tanto né vigor né spazio10
che potesse al bisogno prender l’arme,
overo al poggio faticoso et alto
ritrarmi accortamente da lo strazio
del quale oggi vorrebbe, et non pò, aitarme.[5]
IO SON GlA ſtancho di penſar ſicome.
LV.
Ia de penſer ſuis las dou uient, madame,
Que ne ſont las les penſers qu'en nous fais,
Et que ie n'ay, pour fuir le grief fais
De ces ſouſpirs, ia abandonné l'ame:
Et qu'en parlant de ce ris qui m'embáme,
Cheueui, & yeux, tous les ſons & effetz,
De ceſte languɇ, en moy ne ſont deffaitz,
Qui uoſtre nom iour & nuit tant reclame:
Et que mes piez, quand apres uous ilz uont
En toutes pars, ne ſont tous aggrauez,
Perdans en uain cent mille pas qu'ilz font,
Et dou uient l'ancrɇ, & les eſcritz grauez
A uoſtre loz: ou, s'il y a default,
C'eſt Amour ſeul, & non pas l'art qui fault.
Io son già stanco di pensar sí come
i miei pensier’ in voi stanchi non sono,
et come vita anchor non abbandono
per fuggir de’ sospir’ sí gravi some;
et come a dir del viso et de le chiome
et de’ begli occhi, ond’io sempre ragiono,
non è mancata omai la lingua e ’l suono
dí et notte chiamando il vostro nome;
et che’ pie’ miei non son fiaccati et lassi
a seguir l’orme vostre in ogni parte
perdendo inutilmente tanti passi;
et onde vien l’enchiostro, onde le carte
ch’i’ vo empiendo di voi: se ’n ciò fallassi,
colpa d’Amor, non già defecto d’arte.[6]
I BEGLIOCCHI ond' i fui percoſſo in guiſa.
LVI.
Ces yeux tant beauz, dont fu nauré, en ſorte
Que de ma playɇ eux-meſmes ſeroient tente,
Nō uertu d'herbɇ, ou art qu'enchanteur tēte
Ou d'outre mer quelque pierre qui ſorte,
M'ont d'autrɇ amour tellement clos la porte,
Qu'un doux penſer ſeul mon ame contente:
Et ſi la languɇ a le ſuiure a entente,
Sa guide bien, non elle blaſmɇ en porte.
Sont ces beauz yeux par qui les entrepriſes
De mon Seigneur uictorieuſes ſont
En tous endroiz, mais plus ſus mon costé:
Sont ces beauz yeux, qui touſiours leur placɇ ont
Dedens mon cueur auec flammes eſpriſes,
Doncq' parler d'eux ne fu oncq' deſgouſté.
I begli occhi ond’i’ fui percosso in guisa
ch’e’ medesmi porian saldar la piaga,
et non già vertú d’erbe, o d’arte maga,
o di pietra dal mar nostro divisa,
m’ànno la via sí d’altro amor precisa,
ch’un sol dolce penser l’anima appaga;
et se la lingua di seguirlo è vaga,
la scorta pò, non ella, esser derisa.
Questi son que’ begli occhi che l’imprese
del mio signor victorïose fanno
in ogni parte, et piú sovra ’l mio fianco;
questi son que’ begli occhi che mi stanno
sempre nel cor colle faville accese,
per ch’io di lor parlando non mi stanco.[7]
S'AMOR NON é, che dunque é quel ch'iſento?
CIII.
Que ſens iɇ en moy, s'amour ne ſuis ſentant?
Si c'eſt amour, quel peut il eſtrɇ, & quoy?
Si bon, dou uient l'effet mortel de ſoy?
Si non, dou uient que le mal m'en plaiſt tant?
Si i'ars a gré, que uois ie lamentant?
Si a mal gré qu'en uaut le triſtɇ eſmoy?
O uiue mort! doux mal, as tu ſus moy
Tant de pouoir, ſi n'y ſuis conſentant?
Si i'y conſens, a grand tort ie me deux:
Sans gouuernail ie me trouue en mer plaine,
En nef fragilɇ, entre uens ſi diuers,
De ſauoir uuide, & d'erreur ſi fort pleine.
Que ie ne ſay moymeſme que ie ueux:
L'eſté ie tremble, & brulle les hyuers.
S’amor non è, che dunque è quel ch’io sento?
Ma s’egli è amor, perdio, che cosa et quale?
Se bona, onde l’effecto aspro mortale?
Se ria, onde sí dolce ogni tormento?
S’a mia voglia ardo, onde ’l pianto e lamento?
S’a mal mio grado, il lamentar che vale?
O viva morte, o dilectoso male,
come puoi tanto in me, s’io no ’l consento?
Et s’io ’l consento, a gran torto mi doglio.
Fra sí contrari vènti in frale barca
mi trovo in alto mar senza governo,
sí lieve di saver, d’error sí carca
ch’i’ medesmo non so quel ch’io mi voglio,
et tremo a mezza state, ardendo il verno.[8]
PACE non trouo, & non ho da far guerra.
CV.
Paix ie ne trouuɇ, & n'ay dont faire guerre:
I'eſperɇ & crains, ie brullɇ, & ſi ſuis glace:
Ie uolɇ au Ciel, & gis en baſſe place:
I'embraſſe tout, & rien ie ne tien ſerre.
Tel me lient clos, qui ne m'ouure n'enſerre,
De moy na curɇ, & me tourne la face:
Vif ne me ueut, & l'ennuy ne m'efface,
Et ne m'occit Amour ny ne defferre.
Ie uoy ſans yeux, ſans langue uois criant:
Perir deſire, & d'ayde i'ay enuie:
Ie hay moymeſmɇ, autruy i'aimɇ & careſſe:
De deuil me pais, ie lamentɇ en riant:
Egalement me plaiſent mort & uie:
En ceſt estat ſuis pour uous ma maistreſſe.
Pace non trovo, et non ò da far guerra;
e temo, et spero; et ardo, et son un ghiaccio;
et volo sopra ’l cielo, et giaccio in terra;
et nulla stringo, et tutto ’l mondo abbraccio.
Tal m’à in pregion, che non m’apre né serra,
né per suo mi riten né scioglie il laccio;
et non m’ancide Amore, et non mi sferra,
né mi vuol vivo, né mi trae d’impaccio.
Veggio senza occhi, et non ò lingua et grido;
et bramo di perir, et cheggio aita;
et ò in odio me stesso, et amo altrui.
Pascomi di dolor, piangendo rido;
egualmente mi spiace morte et vita:
in questo stato son, donna, per voi.[9]
AMOR che uedi ogni penſiero aperto.
CXXXI.
Amour, qui uoiz tous mes penſers a nu,
Et les durs pas ou ſeul guide tu m'es,
Iusques au fons de mon cueur tes yeux metz
A toy ouuert, a tout autre incongnu:
En te ſuiuant ſaiz ce qu'ay ſouſtenu,
Et toy qui cours de ſommetz en ſommetz,
De iour en iour, ne t'auiſes iamais
De moy ſi las, en chemin ſi cornu.
Bien de loing ce doux feu qui m'allume,
La ou ton ueuil m'eſperonnɇ & me uire:
Mais, comme toy, ie n'ay pour uoler plume.
Tu rens content mon deſir a ſuffire,
Bien qu'en deſirs iuſtes ie ne conſume,
S'el' n'a deſpit que pour el' ie ſouſpire.
Amor, che vedi ogni pensero aperto
e i duri passi onde tu sol mi scorgi,
nel fondo del mio cor gli occhi tuoi porgi,
a te palese, a tutt'altri coverto.
Sai quel che per seguirte ò già sofferto:
et tu pur via di poggio in poggio sorgi,
di giorno in giorno, et di me non t'accorgi
che son sí stanco, e 'l sentier m'è troppo erto.
Ben veggio io di lontano il dolce lume
ove per aspre vie mi sproni et giri,
ma non ò come tu da volar piume.
Assai contenti lasci i miei desiri,
pur che ben desïando i' mi consume,
né le dispiaccia che per lei sospiri.[10]
HOR CHE'L Ciel el la terra e'l uento tace.
CXXXII.
Or que le Ciel, Terre, & Vent eſt paiſible,
Et que ſommeil tout animal demeine,
La nuit le char eſtellé en tour meine,
Qu'en ſon lit eſt la mer ſans flotz taiſible,
Ie ueillɇ, ars, penſɇ, & pleure: & m'eſt uiſible
Ce qui m'occit, pour ma tresdouſſe peine:
Mon eſtat eſt guerre d'irɇ & deuil pleine,
Et paix trouuer, qu'y penſant, n'eſt poßible.
Doncq' ſeulement d'une ſource tresuiue
Doux & amer ſort, dont me uois paiſſant:
Vne main ſeulɇ, & me guerit & point:
Et puis affin que mon mal n'aillɇ a riue,
Cent fois le iour ſuis mourant & naiſſant,
Tant loing ie ſuis de mon ſalut deſioint.
Or che ’l ciel et la terra e ’l vento tace
et le fere e gli augelli il sonno affrena,
Notte il carro stellato in giro mena
et nel suo letto il mar senz’onda giace,
vegghio, penso, ardo, piango; et chi mi sface
sempre m’è inanzi per mia dolce pena:
guerra è ’l mio stato, d’ira et di duol piena,
et sol di lei pensando ò qualche pace.
Cosí sol d’una chiara fonte viva
move ’l dolce et l’amaro ond’io mi pasco;
una man sola mi risana et punge;
e perché ’l mio martir non giunga a riva,
mille volte il dí moro et mille nasco,
tanto da la salute mia son lunge.[11]
Cinq Sonnetz de ceux que fit Petrarque depuis la mort de ſa dame Laure.
OIME IL BEL uiſo, oime il dolce ſguardo.
Premier Sonnet de la ſeconde partie.
Las beau uiſagɇ, helas yeux aux doux trait,
Las gentil port diuin, las lacond dire,
Qui rēndoit hūblɇ un cueur rude & plein d'ire,
Et le plus lourd, gaillard par ſon attrait:
Las plaiſant ris, duquel partoit le Trait,
Dont plus, o Mort, a nul bien ie n'aſpire:
Eſprit royal, & bien digne d'empire,
Si tard uers nous ne te fuſſes retrait.
Par nous conuient qu'ardɇ & reſpirɇ en uous,
Qui fu tant voſtre: & de vous departi,
Tout autre mal moins que cela m'affolle.
Plein me faiſiez d'eſpoir & deſirs doux,
Lors que du uif plaiſir ie me parti:
Mais quoy? le uent emportoit la parolle.
Oimè il bel viso, oimè il soave sguardo,
oimè il leggiadro portamento altero;
oimè il parlar ch’ogni aspro ingegno et fero
facevi humile, ed ogni huom vil gagliardo!
et oimè il dolce riso, onde uscío ’l dardo
di che morte, altro bene omai non spero:
alma real, dignissima d’impero,
se non fossi fra noi scesa sí tardo!
Per voi conven ch’io arda, e ’n voi respire,
ch’i’ pur fui vostro; et se di voi son privo,
via men d’ogni sventura altra mi dole.
Di speranza m’empieste et di desire,
quand’io partí’ dal sommo piacer vivo;
ma ’l vento ne portava le parole.[12]
DATE MI PACE O DVRI miei penſieri.
VI.
Donnez moy paix, o mes penſers ardens,
Ne ſuffit il qu'Amour, Fortune, & Mort
Me font autour & aux portes effort,
Sans que ie trouuɇ autre guerre dedens?
Et toy, mon cueur, es comme de tout temps,
Traitrɇ a moy ſeul, qui reçoiz en ton fort
La bandɇ aduerſe, & ton aide & confort
Aux ennemis promps & legers estens.
En toy Amour ſecretz ambaſſadeurs,
En toy Fortunɇ aßiet toute ſa pompe:
Et en toy Mort met la memoire dure
Du coup, dont faut que ma uie ſe rompe:
En toy d'erreur s'arment mes grans ardeurs:
Parquoy tu es ſeul cauſe que i'endure.
Datemi pace, o duri miei pensieri:
non basta ben ch’Amor, Fortuna et Morte
mi fanno guerra intorno e ’n su le porte,
senza trovarmi dentro altri guerreri?
Et tu, mio cor, anchor se’ pur qual eri,
disleal a me sol, che fere scorte
vai ricettando, et se’ fatto consorte
de’ miei nemici sí pronti et leggieri?
In te i secreti suoi messaggi Amore,
in te spiega Fortuna ogni sua pompa,
et Morte la memoria di quel colpo
che l’avanzo di me conven che rompa;
in te i vaghi pensier’ s’arman d’errore:
perché d’ogni mio mal te solo incolpo.[13]
POI CHE LA VISTA angelica ſerena.
VIII.
Puis que la facɇ angeliquɇ ſereine
Par un ſubit partir, en grand ſouci
A laiße l'amɇ, & en clos obſcurci,
En parlant tachɇ a addoußir ma peine.
Certes deuil iuſtɇ a lamenter me meine:
Cil qui de tout eſt cauſɇ, Amour außi,
Sait que mon cueur n'auoit autre merci
Contre les maux dont ceste uiɇ eſt pleine.
Ta main, o Mort, iceluy m'a oſté:
Et toy qui clos & gardes auec toy,
Heureuſe terrɇ, une telle beauté,
M'as bien laiße aueuglɇ & plein d'eſmoy,
Puis que n'est plus ceste douſſe clairté
Bellɇ & luiſant de mes yeux, auec moy,
Poi che la vista angelica, serena,
per súbita partenza in gran dolore
lasciato à l’alma e ’n tenebroso horrore,
cerco parlando d’allentar mia pena.
Giusto duol certo a lamentar mi mena:
sassel chi n’è cagione, et sallo Amore,
ch’altro rimedio non avea ’l mio core
contra i fastidi onde la vita è piena.
Questo un, Morte, m’à tolto la tua mano;
et tu che copri et guardi et ài or teco,
felice terra, quel bel viso humano,
me dove lasci, sconsolato et cieco,
poscia che ’l dolce et amoroso et piano
lume degli occhi miei non è piú meco?[14]
ANIMA bella da quel nodo ſciolta.
XXXVII.
Ame gentillɇ estant du las deſceinte
Tel que Naturɇ ourdir oncq' n'en ſeut mieux,
Tu uoiz ma uiɇ obſcure des haux Cieux
De ſi grand' ioyɇ a lamtenter contreinte.
La fauſſɇ eſtimɇ eſt de ton cueur esteinte,
Qui pour un tēps me fit aſprɇ en maintz lieux
Ta douſſe ueuɇ: or' me tournes les yeux
Toutɇ aſſeureɇ, & eſcoutes ma plainte.
Voy au grand Roc duquel Sorguɇ eſt naiſſant,
Vn entre l'herbɇ & l'eau, ſeul ſe paiſſant
De ta memoire, & de deuil & malaiſe:
Et l'aiße la l'endroit, ou au cercueil
Eſt mis ton corps, & dont uint noſtre accueil,
Pour ne uoir rien es tiens qui te deſplaiſe.
Anima bella da quel nodo sciolta
che piú bel mai non seppe ordir Natura,
pon’ dal ciel mente a la mia vita oscura,
da sí lieti pensieri a pianger volta.
La falsa opinïon dal cor s’è tolta,
che mi fece alcun tempo acerba et dura
tua dolce vista: omai tutta secura
volgi a me gli occhi, e i miei sospiri ascolta.
Mira ’l gran sasso, donde Sorga nasce,
et vedra’vi un che sol tra l’erbe et l’acque
di tua memoria et di dolor si pasce.
Ove giace il tuo albergo, et dove nacque
il nostro amor, vo’ ch’abbandoni et lasce,
per non veder ne’ tuoi quel ch’a te spiacque.[15]
MENTE mia che preſaga de tuoi danni.
XLVI.
Ame, qui fus de tes pertes preſage:
Au temps ioyeux ia triſtɇ & déguiſee,
Qui tant cherchois en la face priſee
Aux maux futurs de repos quelquɇ uſage,
Aux faitz, aux ditz, a l'habit, au uiſage,
A la pitié de douleur attiſee,
Dire pouois, ſi fuſſes auiſee
De tout, ce iour est fin de mon doux age.
Quelle douſſeur fut cellɇ, o dolmentɇ ame,
Et quellɇ ardeur, alors que de ma Dame
Ie ui les yeux que ne deuoy' plus uoir!
Quand au partir, commɇ a deux chers amis,
Mes doux penſers, mon cueur, qui eſt l'auoir
Plus noble & beau, en leur garde ie mis!
Mente mia, che presaga de’ tuoi damni,
al tempo lieto già pensosa et trista,
sí ’ntentamente ne l’amata vista
requie cercavi de’ futuri affanni,
agli atti, a le parole, al viso, ai panni,
a la nova pietà con dolor mista,
potêi ben dir, se del tutto eri avista:
Questo è l’ultimo dí de’ miei dolci anni.
Qual dolcezza fu quella, o misera alma!
come ardavamo in quel punto ch’i’ vidi
gli occhi i quai non devea riveder mai,
quando a lor come a’ duo amici piú fidi
partendo in guardia la piú nobil salma,
i miei cari penseri e ’l cor, lasciai![16]
De Martial, Vitam quæ faciunt battiorem, Iucundißime Martialis, hæc ſunt.
Bien par labeur non acqueſté,I I) Marcus Valerius Martialis, 40-103 eller 104, romersk poet känd för sina epigram.
Mais delaiſſé de perɇ a filz:
Terre rendant loyaux profitz,
Bon foyer hyuer & eſte:
Eſtrɇ a faire la court tardif,
Nulz proces, eſprit ſans querelle,
Et uiue force naturelle
Dedens un corps non maladif:
Vne ſage ſimplicité,
Amis de nature ſortable,
Entre gens facilɇ & traittable.
Repas ſans curioſité:
La nuit ou l'homme ne ſoit yure,
Toutesfois nul ſoing apportant:
Ménage chaſte, qui pourtant
Soit de chagrin franc & deliure:
Sommeil qui ſoit de tel plaiſir,
Que b nuit face moins durer:
Eſtre ce qu'on eſt endurer,
Et n'auoir point plus haut deſir:
Ne craindre le iour qu'on mourra,
Außi ne le ſouhaiiter point,
Sont les moyens de point en point
Commɇ heureux uiure l'on pourra.
Vitam quae faciant beatiorem,
Iucundissime Martialis, haec sunt:
Res non parta labore, sed relicta;
Non ingratus ager, focus perennis;
Lis numquam, toga rara, mens quieta;
Vires ingenuae, salubre corpus;
Prudens simplicitas, pares amici;
Convictus facilis, sine arte mensa;
Nox non ebria, sed soluta curis;
Non tristis torus, et tamen pudicus;
Somnus, qui faciat breves tenebras:
Quod sis, esse velis nihilque malis;
Summum nec metuas diem nec optes.[17]
La XVI Ode du premier liure des Carmes d'Horace: Contre ceux qui regrettent tranquillité, apris l'auoir de leur bon gré laißé.
Otium diuos, &c.
Des que la nuɇ obſcurɇ a la Lune couuerte,J J) Horatius, 65-8, romersk poet.
Et n'eſt aux mariniers certainɇ estoilɇ ouuerte,
Celuy qui eſt ſurpris en mer Egeɇ aperte,
60
Repos uers le Ciel crie:
La furieuſe Thracɇ a la guerre ſugette,
Et les Medois ornez de trouſſɇ & de ſagette,
Crient repos, repos, qui pour or ne s'achette,
Pourpre ny pierrerie:
Car les riches treſors, n'huißiers des preſidens,
N'appaiſent ce grand troublɇ enraciné dedens,
Lequel uolɇ alentour des logis euidens
Aux lambriſſees ſalles.
Celuy de peu uit bien, auquel ſus courte table
Luit la ſalliere qu'eut le ſien perɇ acceptable:
Son doux ſommeil ne rompt frayeur eſpouuētable,
Ne couuoitiſes ſalles.
En cest age ſi brief que couuoitons nous tant?
Pourquoy en terrɇ eſtrangɇ ainſi ua lon hantant?
Ou eſt celuy de tous du pais s'abſentant,
Qui pour cela ſe fuye?
Le ſoing immoderé les nauires conuoye,
Ny des fors eſquadrons des genſdarmes deſuoye:
Car il eſt plus leger que Cerf, ni uent qu'on uoye
Chaſſer la nuɇ & pluye.
L'eſprit gay du content, ne ſoit point deſireux
De ce qui est plus grand, & les cas doloreux,
Melle d'un ris moyen: car rien n'eſt qui heureux
Du tout en tout demeure:
Auant ſes iours est mort Achille de renom,
Longue uieilleſſɇ osta de Tithone le nom:
I'auray peut estrɇ außi quelque choſe, & toy nō,
Ainſi que uoudra l'heure.
Pres de toy cent troupeauz & uaches de sicile
Brayent, & la iument au chariot docile
Tu eſcoutes hennir, & d'auoir t'eſt facile
Laines teintes deux fois
En eſcarlatte uiuɇ, & i'ay petiz pourpris,
Et la Parque non fauſſɇ un ſtyle m'a appris
De la Muſe Lyricque, & auoir a meſprix
Du faux peuple la uoix.
Otium divos rogat in patenti
prensus Aegaeo, simul atra nubes
condidit lunam neque certa fulgent
sidera nautis,
otium bello furiosa Thrace,
otium Medi pharetra decori,
Grosphe, non gemmis neque purpura ve-
nale nec auro.
non enim gazae neque consularis
submovet lictor miseros tumultus
mentis et curas laqueata circum
tecta volantis
vivitur parvo bene cui paternum
splendet in mensa tenui salinum
nec levis somnos timor aut cupido
sordidus aufert.
quid brevi fortes iaculamur aevo
multa? quid terras alio calentis
sole mutamus? patriae quis exsul
se quoque fugit?
scandit aeratas vitiosa navis
Cura nec turmas equitum relinquit
ocior cervis et agente nimbos
ocior Euro.
laetus in praesens animus quod ultra est
oderit curare et amara lento
temperet risu: nihil est ab omni
parte beatum.
abstulit clarum cita mors Achillem,
longa Tithonum minuit senectus
et mihi forsan tibi quod negarit
porriget hora.
te greges centum Siculaeque circum
mugiunt vaccae, tibi tollit hinnitum
apta quadrigis equa, te bis Afro
murice tinctae
vestiunt lanae: mihi parva rura et
spiritum Graiae tenuem Camenae
Parca non mendax dedit et malignum
spernere volgus.[18]
Ode XXXI dudit premier liure: Que c'eſt qu'un Poëte demandɇ, a Phebus.
Quid dedicatum &c.
Qu'eſt ce qu'un Poëte prie
A Phebus conſacré?
Et qu'eſt ce qu'il lui crie,
Des uins nouueauz a gré
Es laſſes reſpandant?
La moyßon plantureuſe
De Sardeigne l'heureuſe
Point ne ua demandant:
Des graßes bergeries
De Calabrɇ endroit chaud,
D'iuoirɇ ou pierreries
61
Des Indes ne luy chaut,
Des champs il ne s'émoye
Que ta Lyre qui dort,
Souuent arrouſɇ & mord
De ſon eau ſombre & coye.
A qui fortune baille
Des uignes, qu'il y boute
La ſerpe qui bien taille:
Le marchant richɇ égoutte
Taſſes d'or a rechange
Des uins de friandiſe
Pris pour la marchandiſe
De Syriɇ, en eſchange,
Bien le doiuent aimer
Les Dieux, qui ua s'ébatre
En l'Atlanticque mer
Trois fois l'an, uoire quatre,
Et reuient bagues ſauues:
A part moy tout en paix
D'Oliues ie me pais,
Cichiorees, & Mauues.
Fay moy, filz de Latonne,
Des biens que i'ay, ſans plus,
Iouir en ſanté bonne:
Donne moy au ſurplus
Sain eſprit & entier,
Vieilleſſe ſans ordure,
Et a qui touſiours dure
Le Lyricque meſtier.
Quid dedicatum poscit Apollinem
vates? quid orat de patera novum
fundens liquorem? non opimae
Sardiniae segetes feracis,
non aestuosae grata Calabriae
armenta, non aurum aut ebur Indicum,
non rura, quae Liris quieta
mordet aqua taciturnus amnis.
premant Calenam falce quibus dedit
fortuna vitem, dives ut aureis
mercator exsiccet culillis
vina Syra reparata merce,
dis carus ipsis, quippe ter et quater
anno revisens aequor Atlanticum
inpune. me pascunt olivae,
me cichorea levesque malvae.
frui paratis et valido mihi,
Latoe, dones et precor integra
cum mente nec turpem senectam
degere nec cithara carentem.[19]
L'Ode ſeconde de l'Epode d'Horace, Des louanges de la uie Ruſticque.
Beatus ille qui procul negotijs &c.
Bienheureux ie repute l'homme
Lointain d'affaires, ainſi comme
Iadis noz peres ſouloient uiure,
De ſes beufz les champs cultiuant
Que ſon perɇ eut en ſon uiuant,
D'uſure tout franc & deliure.
Il ne s'éueillɇ aux fiers alarmes
Des trompettes, ſuiuant les armes,
Et ne craint Neptunɇ irrité:
Fuit le Palais tumultueux,
Et les hautz logis ſomptueux,
Des grands Seigneurs de la cité.
Doncq' les prouins de grandeur bonne
Tantoſt en mariagɇ il donne
Aux Peupliers qui ont hautz coupeaux:
Ou a l'ecart ſe ua retraire
En la ualleɇ, & entend braire
El uoit foilatrer ſes troupeaux.
62
Tantoſt de ſa Serpette tranche,
Pour y enter greffe plus franche,
Le ſion qui est inutile:
Ou tond ſes foiblettes brebiz:
Ou dedens uaiſſeaux bien fourbiz
Le Miel de frais tiré diſtille.
Puis quand l'Autonnɇ est retourné
Dreſſant aux champs ſon chef orné
De fruiz qui a manger ſont preſtz,
Qu'il est fier de cueuillir la poire
Enteɇ, ou le beau raiſin, uoire
Qui fait hontɇ au Pourpre de pres!
Pour t'honorer, o Dieu Priape,
Et toy, Syluain, d'icelle grape,
Syluain tuteur des ruraux termes.
Maintenant il prend ſon plaiſir
Deſſouz un uieux Cheſne geſir,
Ou ſus l'herbɇ aux racines fermes.
Tandis du hault rocher les eaus
Il oit couler, & les oiſeaux
Qui ſus les branchettes fredonnent:
Il oit les fontaines bruyantes
Des claires eaus aual fuyantes,
Qui deſir de doux ſommeil donnent.
Mais quand le Dieu de la tempeste
La ſaiſon hybernallɇ appreste,
Neiges, pluyes, & temps uenteux,
Les Sengliers apres ça & la
Chaſſɇ a force de chiens qu'il a
Dens les retz tenduz deuant eux.
Ou il tend a la droitte perche
Ses clairs filetz, & illec cherche
Deceuoir la Griue friande:
Liëures paoureux au trac ſurprend,
La Grue paſſagere prend,
Tant pour plaiſir que pour uiande,
Ou est l'hommɇ entre ces ébatz,
Qui ne miſt le malaiſe bas
Que ce faſcheux Amour procure?
Et puis ſi [a femme pudicque
Soutient part du fais domeſticque,
El de ſes chers enfans a cure,
Commɇ une Sabine peut eſtre,
Ou femme d'un Pouillois addestre,
Hallee des eſtez paſſez:
Qui dans le ſacré foyer tiene,
Ains que ſon las mary reuiene,
Fagotz de long temps amaſſez,
Et qui au parc tiſſu de clayes
Clouant les beſtes toutes gayes,
Le pair bien amouillé égoutte:
Apres qui tire du doux muy
63
Du uin d'une feuillɇ, & pour luy
Dreſſɇ un ſouper qui rien ne couſte,
Il n'eſt Lucrinɇ huitrɇ en ecalle
Dont i'euſſe uolupté egalle,
Turbot, ny poiſſon eſtranger,
Quant l'orage qui fort s'entonne
Des flotz d'Orient, nous en donne
En ceſte mer pour en manger.
De Numidie la Geline,
Ny l'Ionicque Francoline
Ne ſont ſi delicatz morſeaux,
Que pour mon manger ie les priſe,
Tant que l'Oliue, qui eſt priſe
Es branches des gras arbriſſeaux.
Ou l'Ozeille qui es prez naiſt,
Ou la Mauue, qui fort bonnɇ eſt
Contre le uentrɇ appeſanti:
Ou la Brebiz entrɇ autres bestes
Occiſɇ aux Terminalles feſtes,
Ou l'aignau du Lou garenti.
Quel plaiſir entre ces repeues
Voir les Brebiz ſaoulles & peues
Retourner droit a leur ſeiour!
Voir traîner le ſoc renuerſé
D'un col recreu & rabaiſſé
Aux Beufz laſſez de tout le iour!
Voir autour du foyer luiſant
Des filz de noz ſerfz, ſuffiſant
Teſmoignage de maiſon riche!
Cependant qu'ainſi ie deuiſe,
Alphɇ uſurier ſoudain s'auiſe,
Et aux champs tout ſon eſprit fiche:
Aux Ides cueult ſa dettɇ: & miſe
Mais aux Calendes il eſt preſt
De refaire tout nouueau preſt.
Beatus ille qui procul negotiis,
ut prisca gens mortalium,
paterna rura bubus exercet suis
solutus omni faenore
neque excitatur classico miles truci
neque horret iratum mare
forumque vitat et superba civium
potentiorum limina.
ergo aut adulta vitium propagine
altas maritat populos
aut in reducta valle mugientium
prospectat errantis greges
inutilisque falce ramos amputans
feliciores inserit
aut pressa puris mella condit amphoris
aut tondet infirmas ovis.
vel cum decorum mitibus pomis caput
Autumnus agris extulit,
ut gaudet insitiva decerpens pira
certantem et uvam purpurae,
qua muneretur te, Priape, et te, pater
Silvane, tutor finium.
libet iacere modo sub antiqua ilice,
modo in tenaci gramine:
labuntur altis interim ripis aquae,
queruntur in Silvis aves
frondesque lymphis obstrepunt manantibus,
somnos quod invitet levis.
at cum tonantis annus hibernus Iovis
imbris nivisque conparat,
aut trudit acris hinc et hinc multa cane
apros in obstantis plagas
aut amite levi rara tendit retia
turdis edacibus dolos
pavidumque leporem et advenam laqueo gruem
iucunda captat praemia.
quis non malarum quas amor curas habet
haec inter obliviscitur?
quodsi pudica mulier in partem iuvet
domum atque dulcis liberos,
Sabina qualis aut perusta Solibus
pernicis uxor Apuli,
sacrum vetustis exstruat lignis focum
lassi Sub adventum viri
claudensque textis cratibus laetum pecus
distenta siccet ubera
et horna dulci vina promens dolio
dapes inemptas adparet:
non me Lucrina iuverint conchylia
magisve rhombus aut scari,
siquos Eois intonata fluctibus
hiems ad hoc vertat mare,
non Afra avis descendat in ventrem meum,
non attagen Ionicus
iucundior quam lecta de pinguissimis
oliva ramis arborum
aut herba lapathi prata amantis et gravi
malvae salubres corpori
vel agna festis caesa Terminalibus
vel haedus ereptus lupo.
has inter epulas ut iuvat pastas ovis
videre properantis domum,
videre fessos vomerem inversum boves
collo trahentis languido
positosque vernas, ditis examen domus,
circum renidentis Laris.’
haec ubi locutus faenerator Alfius,
iam iam futurus rusticus,
omnem redegit idibus pecuniam,
quaerit kalendis ponere.[20]
VERS LYRIQVES de l'inuention de l'Auteur.
A Madame Margueritte.
Huittain.
Voſtre Printemps est floriſſant aſſez,
Dieu doint qu'ayez un plantureux Eſté,
Et des doux fruiz en l'Autonnɇ amaſſez
L'Hyuer iouir auec ioyeuſeié:
C'est pour le corps qu'au cela ſouhaitté:
Quant a l'eſprit, il n'en a point meſtier
Pource qu'il eſt, ſera & a eſté
En ſon Printemps perdurablɇ & entier.
Deſcription du Printemps.
LA SAISON gayɇ a Venus conſacree,
Qui a Naturɇ entre toutes aggree,
Apres le temps obſcur est reuenue:
L'Air tout puiſſant qui toutes choſes cree
Deſcend d'enhault, affin qu'il ſe recree
Dens le giron de ſon eſpouſe nue
Deſirant ſa uenue.
Ia par amour l'un auec l'autre rit,
Et ce grand corps baiſɇ, embraſſɇ, & cherit
De ſa roſeɇ un corps non gueres moindre:
Et la liqueur infuſe ſe pourrit,
Donc toute eſpecɇ augmentɇ & ſe nourrit:
Ia les ſions & plantes on uoit poindre,
Tout par ce doux conioindre.
A l'arriuer de Flore gracieuſe
Maint beau bouton & pierre precieuſe,
Terre ſecondɇ engendre de ſon uentre:
De l'Aquilon l'aleinɇ audacieuſe,
Aux Arbriſſeaux & fleurs pernicieuſe,
Quitte la placɇ au douz zephyrɇ, & rentre
En ſon tenebreux centre.
L'herbe des champs maintenant ſortir oſe,
Et au nouueau Soleil elle s'expoſe:
Naturɇ es prez de couleur iaune, blanche,
Bleue & uermeillɇ, un beau tapiz compoſe:
La uignɇ heureuſe a porter ſe diſpoſe
Feuillɇ & bourg'ons auec nouuelle branche,
De l'hyuer ſauuɇ & franche.
D'autre coſté par ce grand Vniuers
Les animaux de la terre diuers
Tous d'un accord a leurs amours s'émeuuent,
Tant ceux de l'air, que des bois deſia uers:
Les poiſſons meſmɇ en la grand'mer couuers
Dedens leurs eaus eſteindre pas ne peuuent
Les flammes qu'ilz eſpreuuent.
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Deux fiers Taureaux d'œil felon & hideux,
L'un contre l'autrɇ au combat hazardeux
Toute leur forcɇ & courage abandonnent:
Amour les rend plus agiles tous deux
Que de couſtume, & a l'approche d'eux
Les creux rochers iuſqu'au Ciel en reſonnent,
Du choc qu'ilz s'entredonnent.
Le doux Pig'on auecques ſa femelle
Bec contre bec mignardement ſe melle
Et d'un murmurɇ enroué la muguette:
Progne gemit ſon Ithis: Philomelle
En regrettant ſa fortune commɇ elle,
Contre Tereɇ inceſtueux cacquette
De ſa neuue languette.
Au clair ſerain les oiſillons gentilz
Sont a leurs chantz amoureux ententifz,
Et par accord font mariages maintz:
Puis es buiſſons dreſſent leurs nicz faittifz,
Pour y couuer & nourrir leurs petitz,
Las qui ſeront auant temps proyɇ aux mains
Des bergers inhumains!
Tarins, Linotz, & Cliardonnetz ioliz
Font ſauteler les cueurs melancholicz,
Et retourner les ſens du corps iſſuz:
Par les bosſquetz les herbages poliz
Aux paſtoureaux de iour ſeruent de litz,
Garniz de uers pauillons au deſſus,
Que Nature a tiſſuz.
Mouſches a miel des ruſches ſe ſeparent,
Et les deux Roys au combat ſe preparent,
Accompagnez du peuple courageux:
Le aigneletz qui le troupeau reparent
Par les herbiz folatrent & s'egarent:
Et le pasteur du rocher ombrageux
Leur uoit faire leurs ieuz.
Les freſches nuitz croiſt la rouſee tendre,
Qui peut encor' l'aube uermeillɇ attendre:
Mais ce luy est force d'éuanouir
Aux premiers raiz que Phebus uiēt eſtēdre,
Qui fait, du chaud tēperé qu'il uient rendre,
A ſon leuer la roſɇ épanouir,
Pour Venus reſiouir.
O quel plaiſir en ce temps ſi heureux
Gouſter la fleur & le fruit ſauoureux
De ſes amours ſus la gayɇ uerdure!
O quel malheur n'estre point amoureux,
Encor' plus grand, de uiure langoureux
Par la rigueur de ſa maistreſſe dure,
Tant que ce beau temps dure!
Ceſtuy Printemps luiſoit lors que le Monde
Premierement print ceste forme ronde,
Et lors que print ſa naiſſance premiere
66
Tout animal dont ceste terrɇ abonde,
Oiſeaux de l'air, monſtres uiuans ſouz l'onde:
Quand le Ciel eut ſa regle couſtumlere,
ET les Aſtres lumiere.
Car la tendreur des corps uegetatifz
N'euſt enduré les raiz penetratifz
Du chaud Soleil, ny des ucns la froideur:
Mais en tous lieux les zephyres natifz
Reiouiſſoient l'air, l'eau, bois, & pátiz,
Faiſans regner une douſſe tiedeur,
Entre froid & ardeur.
L'Eſté.
Phebus par ſes ioumelz trauaux
Monte au Tropicquɇ eſtiual,
Deſia attele ſes cheuaux
Pour s'en retourner contreual:
Et d'autant qu'il deſcend
D'unɇ allure fort lente,
De plus en plus ſe ſent
Sa force uiolente.
L'ardeur penetratiuɇ & forte
A cuit la uerdelette humeur
Du tuyau, qui a peine porte
Le fais de l'eſpi gros & meur:
Le beau iour uient ſemondre
La champestre famille,
Pour des champs l'honneur tondre
De la croche Faußille.
Le ſeur & euident effet
De ſi plantureuſe rencontre
De point en point a ſatisfait
A la fleur & premiere monſtre:
Ceres aux blons cheueux
Son uſure rendant
A exauſſé les ueuz
Du Ruſticque attendant.
Il fait bon uoir la gaye troupe
En faiſant la moiſſon nouuelle,
Qui en chemiſe le blé coupe,
Et le met par ordrɇ en iauelle:
A chaſque bout du champ
Des barriz qui gargouillent
Par ſe chaud deſſechant
Le goſier tari mouillent.
Margot pour tous les compagnons
Chargɇ une friture de pois,
Auecques ſerfuuil & oignons
Sus ſa testɇ en un plat de bois:
Pas n'oubliɇ a porter
Pain, uin, & lard pour eux:
67
Et ſus tous pour traitter
Theuot ſon amoureux.
Conſequemment uont le blé batre
Auecques meſure & compas,
Coup apres coup, & quatrɇ a quatre,
Sans ſe deuancer d'un ſeul pas:
Le grain au uan purgé
Se meſurɇ au boiſſeau
Puis ſus l'Aſne est chargé
Pour porter au monceau.
Toy Pales qui la gardɇ as priſɇ
Des prez & plantureux herbiz,
Et toy Berger qui pres d'Amphryſe
D'Admete gardas les brebiz:
Et uous Dieux des foreſtz
Auez en cest Eſté
Außi bien que Ceres
Voſtre propriete.
Car c'est le temps que le fauſcheur
S'en ua de ſa faux aceree
A la matinal le freſcheur
Tondre la præeriɇ alteree:
Et de ſon bras robuste
A grans traiz fait ſa taſche,
Ains que le hallɇ aduste
Le rende uain & laſche.
Que dirons nous des paſtoureaux
Qui enflent leurs douſſes muſettes,
En uoyant paistre leurs taureaux:
Chëures & brebiz camuſettes?
Pres les eaus qui inuitent
D'un murmure bruyant,
La chaleur ilz euitent
Du Soleil ennuyant.
Aucunesfois ſus le muguet
Tenans leurs amours aupres d'eux,
Tandis que le chien est au guet,
Deſrobent un baiſer ou deux:
C'eſt aſſez d'un petit:
Car en ſi grand' chaleur
On a plus d'appetit
Que non pas de ualeur.
Entr'eux ilz font a qui premier
Trouuera le nic au bocage
De la Tourtrellɇ ou du Ramier,
Ou de la Canɇ au marecage:
Es creuz les Sanſonnetz,
Cailleteauz es ſillons,
El par les buiſſonnetz
Les autres oiſillons.
En Eſté ſouuent ſe courrouſſe
Iupiter encontre la Terre
68
Et de main foudroyante pouſſe
Ca bas un eſelatani tonnerre:
Ou coup es uoiſins lieux
Le peuple fait trembler,
Penſant que terrɇ & Cieux
Se doiuent aſſembler.
Alors en l'air horriblɇ & trouble
Les uents & les tourbillons croiſſent
Auec pluyɇ epaiſſɇ, & l'etouble
Agitent, renuerſent, & froiſſent:
C'eſt alors que la peur
Fait les laboureurs bleſmes,
De perdre le labeur
De leurs beufz & d'eux meſmes.
Pourcɇ a la premiere ſaiſon
La famille quotidienne
Doit faire ſon humblɇ oraiſon
A la ſacree gardienne:
Car le labeur moleste,
Quoy que lon ſe trauaille,
Sans la faueur celeſte
Ne uient a rien qui uaille.
Eſté tant aimé des paſteurs,
Qui tes biēs cueuillent & perçoiuent,
Tu es contrairɇ aux uiateurs
Qui des chemins la poudre boyuent,
Ilz ſeroient en peril
De mortellɇ auenture
Si n'eſtoil le baril
Pendu a leur ceinture.
Toutesfois en ſi fort enoimbre,
Qui rend les corps uains & failliz,
On recouure uigueur en l'ombre
Au milieu des bois & tailliz,
En ce plaiſant ſeiour
Le Soleil ſi peu luit,
Qu'au plus hault point du iour
Il y ſemblɇ eſtre nuit.
On oit bruire les eaux clairettes,
Qui gliſſent du pié d'une roche
Par ſus les polies pierrettes,
La ou le beſtail point n'approche:
Maintes Nymphes s'y baignent
Seurement toutes nues,
Sans que point elles craignent
D'estre de nul congnues.
Souuent les bergers a l'emblee
Auec amoureuſes ſequelles
Sont allez pour uoir l'aſſemblee,
Ce pendant qu'il n'y auoit qu'elle:
Mais oncques aux yeux d'ame
Ne s'offrirent enſemble
69
Fors a ceux de ma Dame,
Pour ce qu'el leur reſſemble.
L'Autonne.
L'Aſtrɇ annuel gouuerneur des ſaiſons
En diſcourant les celeſtes maiſons
Laiſſe la Viergɇ Aſtree,
Et fait l'egal ſeiour
De la nuit & du iour,
Ayant la Liurɇ entree:
Bacchus qui regnɇ en ſon uineux Autonne
Fait apprester preſſoir, cuuier & tonne.
Ses brodequins, le uendangeur deſpouille,
Des piez trepignɇ, & de moust il les fouille:
Le grain qu'il ua foullant
A grand torrent degoutte
Ceste premiere goutte
En la cuue coulani'.
Et puis le fuſt ſus le marc on fait geindre,
Pour iuſqu'au ſec le geiner & estreindre.
Taons & bourdons murmurent a lentour:
Du doux raiſin d'alleɇ & de retour:
Et la gueſpɇ aſſouuie
De la fleurantɇ odeur
Perd par trop grand' ardeur
En pleine mer ſa uie:
Le mouſcheron qui du fumet s'enyure
Meurt au milieu de ce qui le fait uiure.
Muiz & tonneauz peuuent ſuffirɇ a peine
Pour receuoir ceſte uinee pleine:
Le uin qui bout & fume
De chaleur tant abonde
Qu'il fait ſaillir la bonde,
Pour getter ſon eſcume:
O combien eſt aſſeuré le cerueau,
Que n'eſtourdit ce breuuage nouueau!
Les iours & nuitz ſe ſentent maintenant
Moins de l'Esté que de l'Hyuer uenant:
Ce temps ſi uariable
Auec quatre diſcors,
A la ſante du corps
Est bien peu amyable:
Chacun ſe gardɇ alors que ne l'accueille
Le mal qui l'hommɇ emportɇ auec la feuille.
Eſtre tu doiz Pomonne icy preſente:
Ceſte ſaiſon n'eſt de tes dons exempte:
Les arbres appuyez
D'autre que de leur bois,
De porter ce grief pois
Sont deſia ennuyez:
Le iaune Coing, la Pomme uermeillette
70
Monſtrent a l'œil qu'ilz ſont en leur cueillette,
Ceſt arbre la mon grand perɇ a planté,
Cest autre icy moymeſme i'ay enté:
L'arbre s'esbahit bien
De ſa nouuelle branche,
Et la ſouche non franche
D'un fruit qui n'est pas ſien.
L'homme par art a Nature commande
Que ſon aſpreßɇ en douſſeur ell' amende.
Tu as l'honneur, Autonne, de tous fruitz,
Fors quelque peu que l'Eſté a deſtruiz:
Car beſoing a eſté
Sa force immoderee
Eſtré un peu temperee
Par contrarieté:
Mais toy, d'autant que la cueillette tarde,
Faiz que les fruiz ſont du meilleure garde.
Les ſoufflemens des uens froidz, lens & ſecz
Hument l'humeur d'arbres, plantes, & ſeps:
Vulturne qui toui pille
Les bois a ſa uenue
De leur feuille deſnue:
Et en l'air l'eparpille:
Toute la terrɇ en lieu de robe uerte
De grans monceauz de feuilles eſt couuerte.
L'Hyuer.
Le flambeau qui les Cieux orne
Deſcendant au Capricorne
Double les nuitz, & differe
Les iours en noſtrɇ hemiſphere:
Voicy l'Hyuer triſtɇ & morne.
Bacchus, Ceres & Venus
Ont chacun leurs rengs tenuz:
Eolɇ a preſent gouuerne
Et laſche de ſa cauerne
Les Vens long temps detenuz.
De leur clos a foullɇ ilz partent,
Et de grand' roideur s'eſcartent,
En la mer, foreſtz & plaines,
Et leurs bruyantes aleines
Par les quatre coings departent.
Leur uiolence ſubite
Par la terre ſe deſpite,
Et les arbres, qui n'ont pas
La racine fermɇ en bas,
Rompt, renuerſɇ, & precipite.
Le Cheſne uieux ilz aßaillent,
Et par entr'eux ilz bataillent:
Eurɇ & Boreɇ a grand' force
Ça et la branſlɇ & entorſe
Auec Zephyre luy baillent.
71
Son age, force, & groſſeur
Ne l'euſſent peu tenir ſeur
Qu'a eux il n'euſt ſuccombé,
Si le feuillage tombé
N'euſt eſclaircy l'eſpaiſſeur.
Des fleuues le cours hátif
Eſt arreſté tout captif:
El les eaus estreint & lie
De glacɇ eſpaiſſɇ & polie
L'Aquilon penetratif.
Les poiſſons ſont eſtonnez
De ſe uoir empriſonnez,
Qui au largɇ eſtre ſouloient:
Et ou les bateauz couloient,
Les Chariotz ſont tournez.
Du nez coule la roupie
A la bergerɇ accropie,
Qui maugré la Biſɇ eſſaye
En uain au pié d'une haye
Souffler la flammɇ aſſopie.
Quelque beſte qui puiſſɇ eſtre,
Ou domeſticquɇ, ou champeſtre,
Toutes eſpeces d'oiſeauz
Es bois, es rochers, es eaus
Ne trouuent rien a repaiſtre.
Puis les neiges aſſemblees,
Qui ont les foſſes comblees,
Et couuert chemins & places,
Les accoustumees traces
Aux cheminans ont emblees.
Ce blanc poli eſclattant
Contre la nuit combatant,
Parmy le nocturne uoile
Plus que Lunɇ ou auſtrɇ eſtoile
De lueur ua departant.
Le Liëure querant repas
Se rend decouuert aux pas
Qu'il fait ça & la marchant,
Et en ſa uie cherchant,
Est cauſe de ſon treſpas:
Car quand le iour eſt luiſant,
Au trac ſe ua conduiſant
Le paſteur qui s'en déuoye,
Tant qu'en fin l'endroit il uoye
La ou la proyɇ eſt giſant.
Hyuer uenteux, ſombrɇ & nu,
Tranſi, frilleux & chenu,
Si eſt ce que maint plaiſir,
A qui l'a ſeu choiſir,
En ta ſaiſon eſt uenu.
On chaſſe par mons & uaux
Cerfz auec chiens & cheuaux:
72
Ou lon prend l'oyɇ estrangere,
Et la grue paſſagere,
Doux butins de ſes trauaux.
Le laboureur qui eſpere
L'an auenir plus proſpere
Que n'ont esté les paſſez,
Deſpend les biens amaſſez
En ioyɇ auec ſon compere.
Les ſoeues & longues nuitz,
Et le uin des nouueauz muiz
Deſia pur & eſcumé,
El le beau feu allumé
Des cueurs chaſſent les ennuiz.
AV SEIGNEVR PIERRE DE Ronsart, l'inuitant aux champs.
Ie ſuis las de la uilleK K) Pierre de Ronsard, 1524-1585, den mest betydande franske renässanspoeten.
Qui bruit comme tempeſte,
Ceſte tourbe ciuile
M'allourdit & enteſte:
Allons cueillir la guigne,
Allons uoir les champs uers
Les arbres tous couuers,
Et la fleur en la uigne.
Pour auoir attendu
Vn petit trop long temps,
Ie crains qu'ayons perdu
Maintz ioyeux paſſetemps:
Les roßignolz gentilz
Ayans leurs eufz eſclos,
Ont ia le goſier clos,
Songneux de leurs petitz.
Les fleurs d'odeur naïue
Des arbres ſont ſaillies:
Roſes de couleur uiue
Sont ia preſque cueillies:
Ces fauſſes Bergerettes,
Par les prez & boſquetz
Pour faire leurs boucquetz,
Ont pillé les fleurettes.
Sus doncq, allons, a coup,
Ce peu de temps durant,
Ce nous ſera beaucoup
D'auoir leur demeurant:
Le grain eſt deu a ceux
Que diligence guide,
La paille toute uide
Eſt pour les pareſſeux.
Maintz plaiſirs ſans cela
Se monſtreront a nous,
Nous uerrons ça & la
L'herbɇ iuſqu'aux genoux:
Chardonnetz & Linotes,
73
Tourtres es hautz ormeauz
Tarins ſus les rameauz
Sonneront gayes notes.
La nous iugerons bien
Des fruitz de cestɇ annee,
Et pourrons uoir combien
Montera la uinee:
Car au dit de tous hommes
Ce qui eſt en la grape
Est force qu'il eſchape,
Veu le temps ou nous ſommes.
Nous uerrons es uergers
Fruitz uerileletz ſans nombre:
D'autre part les Bergers
Se repoſer en l'ombre:
Et les Chëures barbues
Les buißons brouteront,
Les Cheureauz ſauteront
Es præries herbues.
Nous uerrons le ruiſſeau
Es prez faiſant ſon tour,
Auec maint arbriſſeau
Planté tout alentour:
Mais tant ſoit clair & ſoef,
Si n'en beurons nous point,
De bon uin mieux appoint
Eſtancherons la ſoif.
Vne bouteille pleine
De ce bon uin bourg'ois
Nous ostera de peine
En ces lieux uillag'ois:
Autrement que ſeroit ce?
Le gendarmɇ endurci
De bourg ny de paroiſſe.
Le rauage ſans regle
A desfonſé les muiz,
Orge, fourment & ſegle
Leur ont eſté destruiz:
Portons doncq' des poulletz,
Et quelque gras iambon,
Pour trouuer le uin bon
Dedens les gobeletz.
Ce temps d'estrange ſorte
Bien doit eſtre tenu,
Puis qu'aux champs on reporte
Ce qui en est uenu:
Iadis, tout au rebours,
Laboureurs florißoient,
Allors qu'ilz foumißoient
La uillɇ & les forbours.
Or le temps reuiendra
74
En deſpit de rigueur,
Qu'aux champs on ſe tiendra
En ioyɇ & en uigueur:
Nous y ferons ſeiour
Lors ſans melancholie,
Mais ores c'est follie
D'y estre plus d'un iour.
Le Chant du deſeſperé.
O la malɇ heurɇ ou ie fu né!
O que ie ſuis înfortuné!
Ie me ſen odieux
Aux hommes & aux Dieux.
Ie nu puis plairɇ a mes amis,
Ny deſplairɇ a mes ennemis:
Mes ſouhaitz tant diuers
S'en unot tous a l'anuers.
Mon amy uſe d'inſolence,
Mon ennemy de uiolence:
Qui ueut m'aider ne peut,
Et ſi me nuit qui ueut.
Mon corps ſe conſumɇ, & ſe ronge,
Mon eſperit trauaillɇ & ſonge:
Endurer ie ne puis
D'eſtre ce que ie ſuis.
L'eſprit n'eſt iamais a ſon gré,
Qu'il ne montɇ a plus haut degré:
Mais tant plus il eſpere
Et tant moins il proſpere.
O que le Ciel ne me fit eſtre
Le filz d'un bonhomme champeſtre!
Toute choſe i'euſſɇ eue
Außi tost que conceue.
D'auoir des biens ne m'euſt chalu,
Sinon ce qu'il m'en euſt fallu,
Et i'euße de petit
Contenté l'appetit.
I'euße touſiours eu ce bon heur
De uiurɇ en paix ſans deſhonneur,
Iouir entre les miens
Seurement de mes biens:
Ou que ie ne fu heritier
De quelquɇ autrɇ homme de mestier,
Ayani continuel
Le trauail manuel.
I'eußɇ eu ma penſeɇ aſſouuie,
Qui iamais n'eust esté rauie
A uaincre l'inuincible
N'a faire l'impoßible.
I'euße mon mestier exercé,
Et ſans enuie conuerſé
75
Sans triſteſſe n'eſmoy,
Amis pareilz a moy.
Mais de uiurɇ il m'eſt neceßaire
Aupres de mon proprɇ aduerſaire:
Mon mal eſt ſon grand bien,
Son bien est le mal mien.
Le pis est de uoir & congnoiſtre
Bon gré mal gré mon malheur croistre:
Las combien gaigné i'euſſe,
S'au berſeau mort ie fuſſe!
O tresennuyeux deſconfort,
Que mon cueur tormentez ſi fort,
Ceßez malheurs, ceßez,
Ou mourir me laiſſez.
Il eſt temps que prouue ie face
Si la mort les ennuiz efface:
Oste moy hors d'icy,
O mort, s'il eſt ainſi.
Mais ie ceſſe de me douloir,
Attendant des Cieux le uouloir:
Car tant plus ie me lamente,
Et plus mon mal s'augmente.
A VN SIEN AMY, Contre un médiſant.
Tous les eſcriz iniurieux
Que t'a tranſmis un furieux
Ne meritent reſponſe:
Toutesfois ſeulemoni pour rire,
Tu luy peux quelque choſɇ eſcrire,
Digne de ſa ſemonce.
Souhaitte que le ſens luy faille,
Que ſon ſauoir rien ne luy uaille
Ny en ditz ni en faitz:
S'il s'entremet de quelquɇ affaire,
Iamais ne le puiſſe parfaire,
Mais tombe ſoubz le fais.
En mille lieux ſon penſer mette,
Faueur, Amour, biens ſe promette
A part en ſon courage:
Puis tout ſoudain a ſoy reuiene,
Et ſi deſesperé ſe tiene,
Qu'il en creue de rage.
Qu'il ſe peignɇ en ſon cerueau crex
Sage, riche, ſauant & preux
Brauɇ, & plein de uertu:
Veuille fraper, mordre, tuer:
Mais quand uiendra aux coups ruer,
Soit le premier batu
Perde tout le bien qu'il poſſede,
Rien qu'a rebours ne luy ſuccede,
Quoy qu'il puiſſe eſperer:
En ſes amis point ne ſe fie,
76
Tous ceux auſquelz il portɇ ennuie
Il uoye proſperer.
De tous empruntz qu'il pourra faire,
Soit a tous coups pour ſatiffaire
Aiourné ou cité:
Si quelcun uient a luy deuoir,
Iamais n'en puiſſe rien auoir
A ſa neceßité.
De proces iamais il ne ſorte,
Mais maugré luy en quelque ſorte,
De l'un en l'autre tombe:
Et puis auant bien attendu,
Tout ſon temps & bien deſpendu,
A la fin il ſuccombe.
Qu'il ait quand il ira par uoye,
Touſiours la pluyɇ, ou ſe foruoye,
Courant toute la courſe,
Sans que nul le chemin luy monſtre:
Et au ſoir le brigant rencontre,
Qui luy oſte la bourſe.
Homme n'y ait que le racueille,
Ou quiconque loger le ueuille,
N'entende ſon langage:
Le lendemain tout mal traitté,
De ſon hoſte ſoit arreſté,
S'il ne luy laiſſe gage.
Et puis apres longue ſaiſon
En entrant dedens ſa maiſon,
Y trouue le ſergent:
Petitz enfans mourans de fain,
En la huche morſeau de pain,
Au coffre point d'argent.
Femme qui luy cacquette & grongne,
Valet larron, ioueur, yurongne,
Menſonger & ſuperbe:
Foyer obſcur & enfumé,
Auec un pot mal eſcumé,
Sans ſel, ſaueur ny herbe.
Sialle coucher, mal a ſon aiſe
Aupres d'une femme punaiſe,
Que peu ou point ne dorme:
De ſes ſonges tous les plus beauz
Soient tenebres, priſons, corbeauz,
Et toute choſe enorme.
S'il fait quelquɇ aggreable ſonge,
Qu'il ſe conuertißɇ en menſonge,
Et ce bien brieuement:
Et s'il en fait d'eſpouentables,
Qu'ilz ſe treuuent tous ueritables
Conſecutiuement.
En esté ne trouue point d'ombre,
Les mouſches loy facent encombre,
77
De chaud & de ſoif meure:
Puis quand l'hyuver ſera uenu,
A la gelee pauurɇ & nu
Rn la Beauſſe demeure.
De iour, ſoit qu'il entrɇ ou qu'il ſorte,
Se heurte la teſtɇ a la porte,
Souz merci de barbier:
La nuit il trouue pour embuſche
Vne charrettɇ ou une buſche,
Ou tombɇ en un bourbier.
S'il est a l'amour addonné,
Des dames il ſoit blaſonné,
Sans qu'il s'en apperçoiue:
D'une uieille de laideur pleine,
Encor' que ce ſoit a grand'peine,
Son paſſetemps reçoiue.
Si pour iouer ſe met en bende,
De ſon bien tant il y deſpende
Qu'il n'en demeure plus:
S'il a uint & un & demy,
Auiene que ſon ennemy
Rencontrɇ un petit flus.
En pauureté puiſſe uieillir,,
La fiëure le uienɇ accueuillir,
Ne meure ne gueriſſe:
Ne trouue point de meilleur lieu,
Qu'un eſtablɇ ou un Hoſtel dieu,
Quand faudra qu'il periſſe.
Ou pour un larcin ou forfait,
Encores qu'il ne l'ail pas fait,
En priſon ſoit trainé:
La ou ayant long temps ueſcu,
A la fin il ſoit conuaincu,
Et au gibet mené.
Tout cela ſeras ſouhaittant
A celuy la qui te hait tant,
Et qui te fait la guerre:
Ou ſi ton ſouhait trop le griëue,
Meure de mort ſubitɇ & brieue
En eau, feu, air, ou terre.
A ceulx qui blament les Mathematiques.
Tant plus ie uoy que uous blamez
Si noble diſcipline,
Plus a l'aimer uous enflammez
Ma uolonté encline:
Car ce qui a moins de ſuiuans
D'autant plus est il rare,
Et est la choſɇ entrɇ uiuans
Dont on est plus auare.
Il n'est pas en uoſtre puiſſance
Qu'y ſoyez addonnez:
78
Car le Ciel des uostre naiſſance
Vous en a deſtournez:
Ou ayans perſuaſion
Que tant la peinɇ en couſte,
Eſt la meilleure occaſion
Qui tant nous en deſgouſte.
Le Ciel orné de telz flambeaux
N'est il point admirable?
La notice de corps ſi beaux
N'eſt elle deſirable?
Du celeſtɇ ouurage l'obget
Si uray & regulier,
N'eſt il ſus tout autre ſuget
Beau, noblɇ, & ſingulier?
N'eſt ce rien d'auoir peu preuoir
Par les cours ordinaires
L'Eclipſe que doit receuoir
L'un des deux Luminaires?
D'auoir ſeu par urayes pratticques
Les aſpectz calculer?
Et congnoiſtre les Erraticques
Marcher ou reculler?
Touteffois il n'est ia beſoing
Que tant fort ie la loue,
Veu que ie n'ay uouloir ny ſoing
Que de ce lon m'avoue:
Car que chaut il a qui l'honore
Qu'elle ſoit contennee?
Science de cil qui l'ignore
Eſt touiours condannee.
Aſſez regarde l'indoctɇ homme
Du Ciel rond la ceinture,
Mais il s'y congnoit ainſi comme
L'aueuglɇ en la peinture.
Celuy qui a l'ame rauie
Par les Cieux ua & paſſe,
Et ſouuent uoit durant' ſa uie
D'enhault la terre baſſe.
Ceste ſcience l'hommɇ éueille
Alors qu'il imagine
La facturɇ & grande merueille
De la ronde machine.
C'eſt celle par qui mieux s'appreuve
L'immenſe Deité,
Et qui des Athees repreuue
L'erreur & uanité.
DES GRANS chaleurs de l'annee 1547.
L'Humeur de terrɇ est conſumee,
Les champs ſont fenduz & ouuers,
Et la liqueur du chaud humee
79
Laiſſe les poiſſons découuers:
Les Naïades craintiues
A Phebus ſe marriſſent
Que des fontaines uiues
Les ſources ſe tariſſent.
Phebus auteur de medecine,
Qui toutes choſes doiz nourrir,
Tu grilles iuſqu' a la racine
Les plantes preſtes a mourir:
Or maintenant croit on
Qu'as mis ton Char es mains
D'un autre Phaëton,
Pour bruller les humains,
Tes cheuaux de leur uoyɇ obticque
Se ſemblent estre détournez,
Et eſtre ſortiz duTropicque,
Ou leurs paſſages ſont bournez:
Ou lu es deuallé
En la demiere ſphere,
Pour rendrɇ ainſi hallé
Noſtre bas hemiſphere.
Si nous te ſommes odieux,
Et contre nous ueux conſpirer,
Pourquoy ueux tu außi les Dieux
Et les Deeſſes martirer?
Maint fleuuɇ en ua plaignant,
Bacchus encore pis,
Des ſeps la mort craignant,
Et Ceres des eſpiz.
Iunon de l'Air haute princeſſe,
Enuoye nous ta meſſagere,
Qui a ces ardeurs donne ceſſe,
En attirant pluye legere:
Et affin que mieux pleuues,
De Neptunɇ il fault prendre
Les humeurs, & les Fleuues,
Pour au double les rendre.
ODE DE PIERRE DE RONSART A Iacques Peletier, Des beautez qu'il uoudroit en s'Amie.
Quand ie ſeroy' ſi heureux de choiſirL L) Pierre de Ronsard, 1524-1585, den mest betydande franske renässanspoeten.
Maiſtreſſe ſelon mon deſir,
Saiz lu quelle ie la prendroye,
Et a qui ſuget me rendroye,
Pour la ſeruir, conſtant, a ſon plaiſir?
L'age non meur, mais uerdelet encore:
C'est celuy ſeul qui me deuore
Le cueur d'impatiencɇ atteint:
Noir ie ueux l'œil, & brun le teint,
Bien que l'œil uerd le François tant adore.
80
I'aime la bouchɇ imitante la roſe
Au lent Soleil de May deſcloſe:
Vn petit Tetin nouuelet,
Qui ſe fait deſia rondelet,
Et s'esleuer deſſus l'Albaſtre s'oſe.
La taille droiftɇ, a la beaute pareille,
Et deſſouz la coeffɇ une oreille
Qui toute ſe monstre dehors:
En cent façons les cheueux tors:
La ioue egallɇ a l'Aurorɇ uermeille.
L'eſtomac plain, la iambe longuɇ & grelle,
D'autant que moins ſemblerait elle
A celles qui l'ont uolontiers
Plus groſſe qu'il ne faut d'un tiers:
Le flant hauſſé, la cuiſſe rondɇ & belle,
La dent d'iuoirɇ, odorante l'aleine,
A qui s'egalleroient a peine
Toutes tes fleurs de la Sabee,
Ou toute l'odeur deſrobee
Que l'Inde richɇ heureuſement ameine.
L'eſprit naif, & uaine la grace:
La main laſciuɇ, ou qu'ellɇ embraſſe
L'amy en ſon giron couché,
Ou que ſon Luc en ſoit touché,
Et une uoix qui meſme ſon Luc paſſe,
Qu'el' ſeuſt par cueur tout cela qu'a chanté
Petrarcquɇ en Amours tant uenté,
Ou ia Roſe par Meun decritte:
Et contre les femmes deſpite
Auecques qui ieune i'auroy' hanté.
Quand au maintien, inconſtant & uolage,
Follatrɇ, & digne de tel age:
Le regard errant ça & la,
Et une douſſeur ſus cela
Qui plus cent fois que la beaute ſoulage.
Ie ne uoudroyɇ auoir en ma puiſſance
A tous coups, d'elle iouiſſance:
Souuent le nier un petit
En amour donne l'appetit,
Et donnɇ encor' la longuɇ obeiſſance.
Quand eſt de moy, ie ne uoudroy' changer
Femme tellɇ a l'or eſtranger,
Ny a tout cela qui arriue
De l'Orient en noſtre riue,
Ny a la Lotɇ heureux fruit a manger.
Lors que ſa bouchɇ a un baiſer tendroit,
Ou que tendre ne la uoudroit,
Feignant la cruelle faſchee:
Ou quand en quelque coing cachee,
A l'impourueu accoler me uiendroit.
RESPONSE PAR PELETIER, Des beautez & accompliſſemens d'un Amant.
EN contemplant ceste ieune femelle,
Sa grace, ſa ronde mammelle,
Elle me ſemblɇ estre marrie
Si bien toſt ne la marie
A un Amy außi gentil commɇ elle.
Et en cela ſi mon eſprit ne faut,
Ie ſay bien quel il le lui faut:
Et puis ell' eſt ſi bien appriſe,
Qu'impoßiblɇ est qu'elle ne priſe
Vn tel preſent, y euſt il du defaut.
Ie ueux qu'au plus de dix ans il la paſſe,
Stature ny haute ny baſſe:
Le grand eſt ſuget au mocqueur,
Et le petit n'a que le cueur:
Le ſeul moyen toutes choſes compaſſe.
Les deux yeux noirs ſous deux arcs noirs aßis,
Ny trop felons ny trop laſcifz:
Large front, nez de long pourtrait:
Bouche bien cloſe a petit trait:
Membres nerueux, bien charnuz & maßifz.
Teſtɇ & menton de noire cheuelure,
La ou n'y ait rien de mellure:
Col muſculeux et large dos:
Cuiſſe de chair rempliɇ & d'os:
Iambɇ uideɇ, & meſureɇ allure.
Ie ne luy ueux la chere ſi iolie,
Qu'il n'ait rien de melancholie:
Vne ſage ſimplicité,
Aueques douſſe grauité:
Trop grandɇ ioyɇ eſt trop toſt abolie.
De la beauté ie ne puis tout enſemble
Rien declairer ce qu'il m'en ſemble:
Mais ie le ueux de telle monstre,
Que de la premiere rencontre
Les cueurs de tous par douſſe forcɇ il emble:
Aux armes ſoit hardi & bienheuré,
A cheual droit & aſſeuré:
Soit terriblɇ aux audacieux,
Et aux humbles ſoit gracieux:
Cueur de meſurɇ en corps bien meſuré.
Ie ueux qu'auſſi Nature l'ait fait naiſtre
A tous exercices addestre:
Car les Dames plus hardiment
Iugent au plaiſant maniment
Combien ailleurs habilɇ il pourroit eſtre.
En la Muſiquɇ il pregne paſſetemps,
Pour faire deux eſpritz contens:
Qu'il ſache toucher l'Epinette
Auec le Luc de ſa Brunette
82
D'un bon accord, gardant meſurɇ & temps.
Pour ſon maintien & ſon parler exquis,
Il ſoit des plus belles requis:
Affin que par leur grand' attente
Face ſa Dame plus contente
De ce qui est a elle ſeulɇ acquis.
De ialouſiɇ oncq' n'ait eſté uaincu,
Tant qu'auec ellɇ aura ueſcu:
Lors elle ſera ſans excuſe,
Si parauenturɇ on l'accuſe
Que quelque fois elle l'ait fait cocu.
A une Dame.
DV DIEU d'Amours ie n'eſcri point
Que tout chacun ua honorant,
Non pas que ie ſoyɇ ignorant
Quel il eſt & comment il point.
Ie ſay que droit au cueur il frape,
Ie ſay qu'il uiſe droit ſans yeux,
Ie ſay que des hommes & Dieux
Il n'eſt celuy qui en eſchape.
Ie ſay qu'il eſt agilɇ & uite,
Ie ſay qu'il met guerrɇ entre deux,
Dont ſouuent ne bleſſe qu'un d'eux,
Et qu'il ſuit celuy qui l'euite.
Mais ie uoy que de tous noz criz
Les Dames ne ſe font que rire:
Doncques que pourront elles dire
De noz plumes & noz eſcriz?
Que me ſert que ie pleurɇ & crie
Lors que ie ſuis de uous abſent?
Et que mon eſprit rien ne ſent
Du fruit que par eſcrit ie prie.
Que ſi en preſence s'allume
Mon feu caché aucunesfois,
Les yeux, le uiſagɇ & la uoix
Le teſmoignent mieux que ta.
Si uous traittiez ma loyauté
Miſericordieuſement,
Alors melodieuſement
Ie chanteroy' uoſtre beauté:
Mais ſi touiours uous m'eſtes dure,
Mieux uaut beaucoup que ie le cache,
Que de par moy tout chacun ſache
La peine que pour uous i'endure.
A VN POETE QVI n'eſcriuoit qu'en Latin.
I'eſcri en langue maternelle,
El taſchɇ a la mettrɇ en ualeur:
83
Affin de la rendrɇ eternelle,
Comme les uieux ont fait la leur:
Et ſouſtien que c'eſt grand malheur
Que ſon propre bien meſpriſer
Pour l'autruy tant fauoriſer.
Si les Grecz ſont ſi fort fameux,
Si les Latins ſont außi telz,
Pourquoy ne faiſons nous cōmɇ eux,
Pour estre commɇ eux immortelz?
Toy qui ſi fort exercé t'es,
Et qui en Latin eſcriz tant,
Qu'es tu ſinon qu'un imitant?
Croiz tu que ton Poemɇ approche
De ce que Virgilɇ eſcriuoit?
Certes non pas (tout ſans reproche)
Du moindre qui du temps uiuoit,
Mais le François est ſeul qui uoit
Ce que i'eſcri: & ſi demeure
En la Francɇ, or i'ay peur qu'il meure.
Ie reſpons, quoy que tu eſcriues
Pour l'enuoyer en lointains lieux,
Sans ce que les tiens tu en priues,
On penſe touſiours que des uieux
Le ſtyle uaut encore mieux:
Puis noſtre langue n'eſt ſi lourde,
Que bien haulte elle ne ſe ſourde.
Longtemps y a qu'ellɇ est congnue
En Italiɇ & en Eſpagne,
Et eſt deſia la bien uenue,
En Angleterrɇ & Allemaigne:
Puis ſi en l'honneur on ſe baigne,
Mieux uault estrɇ icy des meilleurs,
Que des mediocres ailleurs.
Or pource qu'es Latins & Grecz
Les ars ſont reduiz & compris,
Auec les Naturels ſegretz,
C'est bien raiſon qu'ilz ſoient appris:
Mais comme d'un riche pourpris,
Tout le meilleur il en faut prendre,
Pour en noſtre langue le rendre:
La ou tout peut estre traitté,
Pourueu que bien tu te diſpoſes:
S'il y a de la pauureté,
Qui garde que tu ne compoſes
Nouueaux motz aux nouuelles choſes?
Si meſmɇ a l'exemple te mires
De ceulx la que tant tu admires?
A la Royne de Nauarre.
IE NE uous oſɇ en mes eſcritz coucher:M M) Margareta av Navarra eller Margareta av Angoulême, 1492-1549, var hertiginna av Alençon och senare drottning av Navarra. Hon var även litterärt verksam.
Car quād ie ueux uoz louāges toucher,
84
Tant plus ie ueux, moins ie puis approcher
De uoſtre grand merite.
Lors que ie metz la Prudencɇ en lumiere,
La Chaſteté ueut marcher la premiere:
Puis la Conſtancɇ en douſſeur coustumiere,
Veut dauant estrɇ ecritte.
Et quand ma Muſɇ addreſſe ſes appreſtz
Pour les reduirɇ ou dauant ou apres,
Se trouue loing de ce qui est plus pres,
Et au moins de ſon plus.
Incontinent qu'a dirɇ elle commence,
Enueloppeɇ en ſi pleine ſemence,
Se refroidit, en ſa grand'uehemence
D'acheuer le ſurplus.
Bref, ne pouuant en ſi grand' eau nouer,
Ne ſauroit mieux uoz grand's ualeurs louer
Fors en uenant l'impuiſſancɇ auouer,
Et ſe tient a ſon moins.
Mais uoz eſcritz d'une armoniɇ extreſme,
Par qui uaincriez Pindare le ſupreſme
Mieux qu'oncq' Corinnɇ en ſeront par uous meſme
La trompettɇ & teſmoins.
CONGRATVLATION SVR LE nouueau regne de Henry deuzieſme de ce nom.
FRANCE qui as de tes yeux abbaiſſezN N) Henrik II av Frankrike, 1519-1559, kung av Frankrike från 1547 till 1559. Han var av ätten Valois, gift med Katarina av Medici och bror till Margareta av Frankrike.
Par cy dauant tant de ruiſſeaux fait croiſtre,
Ceſſe tes pleurs, tes malheurs ſont ceſſez
Par un grand heur qui te uient d'apparoiſtre:
Mais en pleurant tu ne le peux congnoistre:
Car ce qui a ioyeux commencement,
Et qui promet ioyeux auancement,
Ne ſe doit point qu'un ioyɇ apperceuoir:
Ton bien est tel, qu'un triste penſement
Ne le pourroit iuger ny conceuoir.
Pren le loyſir a ton aiſe, de uoir
Ton nouueau Roy, ton nouueau gouuerneur,
Auquel feras par un loyal deuoir
Premierement reuerencɇ & honneur:
Puis tu ſauras partie de ton heur.
Tu as un Roy de ton ſang procedé,
Et filz d'un Roy nagueres decedé,
Apres t'auoir gouuernee long temps:
Vn filz qui eſt au pere ſuccedé,
Pour fairɇ a coup tous ſes ſubgetz contens.
Deux freres ſiens ſont mons des leur Printemps,
Chacun deſquelz bien pouoit estrɇ tien:
Ce ſont ſegretz diuins: mais lu entens
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Que ſans raiſon les hautz Cieux ne font rien.
Ilz les auoient enuoyez pour ton bien,
Tous trois estans filz d'un Roy & d'un pere,
Tous trois ayans ce qu'il faut qu'on eſpere
D'enfans Royaux. Si eſt cɇ, affin que d'eux
La uolonté immuable t'appere,
L'un t'ont laiſſé, & t'ont osté les deux.
Ce n'eſt doncq' point par un ſort hazardeux,
Que de Henry tu as eu iouiſſance,
Le ueuil celeſtɇ a esté l'entredeux
Qui a Fortune a osté la puiſſance:
Le iour fatal auquel il print naiſſance
De Iuppiter ſon nom heureux tenant,
Qu'eſtoit Phebus en ſon Mouton regnant,
Au nombre d'ans de uingt huit parfait,
Vn meſme nom, ordrɇ & mois reprenant,
Regner Henri, France renaiſtrɇ a fait.
L'hyuer finy, l'an qui neuf ſe refait,
Le temps monstrant plus gracieux uiſage,
Prez, blez, bourg'ons & oyſeauz, en effet,
Donnent par tout de ioye le preſage,
Nous promettans encor' meilleur uſage
A l'auenir, des trois autres ſaiſons.
O bel accord des occultes raiſons
A celles la, qu'euidence nous donne!
Doncq' a bon droit grand' feſte nous faiſons,
Puis que le Ciel & la terre l'ordonne.
Il a atteint pour prendrɇ une couronne
L'age qui est a regner plus decent,
Lors que le corps qui l'eſprit enuironne
Plus uigoureux & addeſtre ſe ſent,
Et s'au dehors le dedens ſe conſent
Par les communs & naturelz accors,
Vertu d'eſprit iointɇ a celle du corps
Si fort requiſɇ a ſi hautain affaire,
Fait qu'il ſaura, estant d'elle recors,
Bien commander, & encorcs mieux faire.
Le Ciel, Naturɇ & le Temps pour parfaire,
De tous ſes pointz notre felicité,
Y ont uoulu a loiſir ſatiſfaire
Nous le donnant ſagɇ & exercité,
Par le moyen de la diuerſité
D'euenemens qu'il a ueuz loing & pres:
Ainſi uoit on que par les longs appreſtz
Les choſes ont bonnɇ & longue duree,
Et les plaiſirs qui tardent, font apres
Fuir plus loing la triſteßɇ enduree.
O noble Roy, ta France bienheuree
Deſmaintenant entre tes bras ſe gette,
Et ſi ſe tient certainɇ & aſſeuree
Qu'eſtre ne peut a meilleur Roy ſugette,
Ne s'estimant de ſa part ſi abgette,
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Qu'egalement priſer tu ne la doyues:
Puis te requiert que d'elle tu conçoyues
Opinion entierɇ en tous endroiz,
Si ne faudra que d'autre tu reçoyues
Pour ſoutenir ta puiſſancɇ & tes droiz.
Les Roys premiers gouuerneurs des François
Les ont fait ſuiurɇ, & en honneur florir:
Mais nous croyons que donné tu nous ſois
Pour nous garder de languir & mourir:
Le temps peruers nous a fait encourir
Tant de malheurs, affin que plus de fruit
Il nous en uienɇ, & a toy plus grand bruit,
Et a Dieu plus de graces & de gloire,
Lors que ſera bien reglé & inſtruit
Ce qu'auant toy on ne pouuoit pas croire.
Or Dieu te doint des ennemis uictoire,
Par force moins que par douſſɇ amitie,
Biens plantureux par tout ton territoire,
Aider uertu, repriner mauuaitié,
Eitremeller iuſticɇ auec pitié:
Puis ſi tu es contreint de faire guerre,
Que le tout ſoit pour briëue paix acquerre:
Tenir cent ans ton peuple ſans ſouffrance:
Estre ſeigneur ſeul de toute la terre,
Dont tu es dignɇ außi bien que de France.
AVCVNS EPIGRAMMES du dit autheur.
A ma Dame Marguerite.
S'IL s'en trouuoit une qui eust la graceO O) Margareta av Navarra eller Margareta av Angoulême, 1492-1549, var hertiginna av Alençon och senare drottning av Navarra. Hon var även litterärt verksam.
Telle que uous, tel eſprit, tel ſauoir,
Et ne fuſt ellɇ encor' de telle race,
On la dirolt grand Princeſſɇ a la uoir:
Quel iugement de uous doit on auoir?
S'il y auoit ça bas Deeſſɇ aucune,
Vous a bon droit en eußiez esté l'une:
Mais puis qu'en terrɇ il ny en a de telle,
En terrɇ aurez l'honneur par ſus chacune,
En attendant d'eſtre au Ciel immortelle.
Blaſon du Cueur.
Cueur gracieux, cueur loyal & benin
Sis au milieu du gent corps feminin,
Cueur amoureux ennemy de rigueur,
Cueur qui maintiens le mien en ſa uigueur:
Cueur qui uouluz a mon bien conſentir,
Cueur qui gardas la langue de mentir,
Quand elle dit, O amy languiſſant,
Du bien d'Amours tu ſeras iouiſſant.
Cueur, noble cueur, gentil cueur de la belle,
Cueur franc & net, cueur mien, & non pas d'elle:
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Mien ie te di, & ay bien ce credit:
Car tu es mien, puis qu'elle me l'a dit,
Cueur qui ſaiz bien guerdonner quand il faut,
Et ton Amour donner a qui le uaut:
Cueur qui ne peux aſsigner ton deſir
En quelque lieu, s'il n'eſt a ton plaiſir:
Cueur qui ne peux departir l'amitié,
Sans empirer le tout & la moitié:
Cueur qui ſaiz bien congnoiſtre par compas
Celuy qui t'aime, & qui ne t'aime pas:
Tu es celuy duquel plaindre ne s'oſe
Celuy qui t'a, bien qu'il n'ayt autre choſe.
Cueur en Amour ſi propre & ſi docile,
Que Cupido y fait ſon domicile:
Cueur qui contreins la langue de parler,
Les yeux de uoir, & les deux piez d'aller:
Cueur duquel eſt ſi grande la puiſſance,
Que tout le corps te doit obeiſſance,
Commande luy, puis qu'ainſi le peux bien,
Faire touſiours ton uouloir & le mien.
Cueur par lequel le feu en moy s'allume,
Tant qu'il ne fait de la main choir la plume,
Puis que tu m'as a toy ſi fort lié,
Iamais de moy ne ſeras oublié.
Estreines a une Dame, d'eſeuz en peinture.
MIL eſcuz d'or a la couronne
Pour uoz estreines ie uous donne:
Du pois ie n'en ſuis pas trop ſeur:
Car ilz n'ont pas grand' eſpaiſſeur:
Mais ie uous iure par ſaint G'orge,
Qu'ilz ſont tous uenans de la forge:
Et ſi n'en ay point de meilleurs,
Sinon qu'ilz me uienent d'ailleurs:
Mais toutesfois, quoy qu'il en aille,
Vous ſauez bien qui les uous baille.
Dizain pour un baiſer.
IE l'ay promis, il faut que ie le tiene,
Et n'ay point peur que matiere me faille:
De me payer ce pendant uous ſouuiene:
Car en baillant ie ueux que lon me baille:
Ie payeray tout contant, ne uous chaille:
Ne penſez point que ſoye menſonger:
Mais laißer moy encor' un peu ſonger,
Et uous uerrez que mon cas ira bien,
Si ie le puis d'un ſeul uers allonger:
Ca baiſez moy, il ne s'en faut plus rien.
Huittain.
PVIS qu'il uous plaiſt de moy eſtre ſeruie,
Et de mon cueur l'amitié receuoir,
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Maugré rapport qui a ſus moy enuie,
De bien aimer ie feray mon deuoir:
Et uous außi faittes moy aſſauoir
Que le deſir que uous auez, n'est moindre:
Car urayɇ amour qui ne peut deceuoir,
Doit deux Amans egalement conioindre.
Autre Huittain.
TOVS les malheurs que i'ay pour l'amour d'elle
De la laiſſer ne me ſauroient contreindre:
Car mon deſir en la uoyant ſi belle,
Reprend uigueur quand il ſe ueut eſteindre:
Du dieu d'Amours ſeulement nie ueux plaindre,
Qui ſouffre & ueut qu'un Amant conuoiteux
Touſiours pretendɇ ou il ne peut atteindre:
Voyla pourquoy mon cueur eſt deſpiteux.
Autre Huittain.
PARDONNEZ moy ſi ie me ſuis meſpris
Vous deſcouurant de mon cueur la penſee:
Le faux ſemblant de uoz yeux m'a ſurpris,
Dont mon amour eſt mal recompenſee:
De la rigueur uous eſtes diſpenſee:
Mais ſi fault il congnoiſtre uerité,
Que ne uous ay grandement offenſee
En demandant ce qu'auoy merité.
LE CONTREBLASON du Cueur.
CVEVR deſloyal, ennemy de pitié,
Cueur qui dedeos nourriz inimitié,
Cueur qui tranſmetz a la langue le miel,
Et qui retiens pour ta part tout le fiel.
Cueur reforgé ſus l'iinfernallɇ enclume,
Et retrempé en ſtygiallɇ eſcume,
Cueur traitre & feint, qui guettes & deçoiz
Celuy duquel plus de bien tu reçoiz.
Cueur uariablɇ & leger, qui depars
Ton faux uouloir en plus de mille pars.
Cueur pris du cueur de rochers tous mamßifz,
Pour de trauers eſtrɇ en ce corps aßis.
Cueur que le corps enladiz & empires,
Qui failz les yeux rire quand tu ſoupires:
Cueur qui d'enuiɇ & chagrin te repais,
Et qui ne peux ſouffrir qu'on uiuɇ en paix.
Cueur malheureux qui de ioye ſautelles,
Quant tu peux mettrɇ a effet les cautelles,
Et toy qui es de matiere ſi dure,
Qu'eſtrɇ entameɇ ai nulle part n'endure,
Si peux tu bien de deſpit te creuer,
Quant tu ne peux ton proprɇ amy greuer.
Cueur, digne cueur d'une telle femelle,
Et d'estrɇ aßis ſoubz ſi laide mamelle:
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Cueur detestable, ingrat, plein de uenin,
Qui fais uergongnɇ a l'honneur feminin:
Mais tu es cueur ſi uillain & infame,
Que tu n'es point, ce croy ie, d'une femme,
Ainçois le cueur d'unɇ enragee Louue,
Proprɇ & tout fait pour celle la qui couue
Souz ſon aiſſellɇ une pleine pochee
De tetins pris d'une Cheurɇ eſcorchee.
Te plaiſt il bien, Marot, en ceſte forme?
Pourrois tu bien faire un cueur plus enorme?
A un Poetɇ eſcriuant obſcurement.
Tes uers obſcurs donnent a maintz eſpriz
En les liſant, faſcherie & torment:
Pource qu'on croit que tu les a eſcriz
Pour parapres y faire le comment,
Ou bien affin, & ie ne ſay s'on ment,
Qu'en eux ne ſoit ta penſee choiſie:
Or s'il y a fruit en ta Poeſie,
On le deust lire a clair ſans commentaire:
Mais ſi tu ueux cacher ta fantaiſie,
Il ne faudroit ſeulement que te taire.
A celuy qui port conſtamment ſa fortune.
Tu as uaincu celle par ta constance,
Qui les humains bat, dominɇ & degette,
Et as monſtré par ferme reſistance,
Que Fortunɇ est a Fortune ſugette,
O ſotz humains, o nation abgette,
Si deſormais a elle uous rendez!
C'eſt une femmɇ, ayant les yeux bendez,
Qui en uoulant liurer ſes durs allarmes
A ce uieillard que bien uous entendez,
Y a perdu & le camp & les armes.
De la Royne de France, parlant a Italie.
PAR ton moyen, est heureuſɇ & ioyeuſeP P) Katarina av Medici, 1519-1589, var drottning av Frankrike.
Francɇ, qui a Royne de toy extraitte:
Mais ſi tu es deſſus ell' enuieſe
Pour deuers ſoy ta fillɇ auoir diſtraitte,
Contente toy d'un offre qu'on te traitte:
Pren la pour Roynɇ, & auec nous t'allie,
Affin qui: ſoit de Francɇ & d'Italie
Vn ſeul Royaumɇ, une Roynɇ, & un Roy:
Et que ce neu etroittement la lie,
Pour demeurer preſentɇ auccques toy.
De Madame la grand' Seneſchalle.
NE uente plus, o Romme, ta Lucrece, Q Q) Diane de Poitiers, 1499/1500-1566, var mäträss och rådgivare till Henrik II av Frankrike smat känd för sitt stora inflytande på politiken.
Ceſſez Thebains, pour Corinne combattre:
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Taire te faut de Penelopɇ, o Grece,
Encore moins pour Heleine debatre,
Et toy Egyptɇ, oſie ta Cleopatre:
La France ſeulɇ a tout cela & mieux,
En quoy Dianɇ a l'un des plus beaux lieux,
Soit en uertu, beaute, faueur; & race:
Car ſi cela elle n'auoit des Cieux,
D'un ſi grand Roy n'eust merité la grace.
Du deuil de Madame Marguerite.
FILLE de Roy, fille qui fais renaiſtreR R) Margareta av Navarra eller Margareta av Angoulême, 1492-1549, var hertiginna av Alençon och senare drottning av Navarra. Hon var även litterärt verksam.
Le perɇ en meurs, eſprit, gracɇ & hauteſſe.
Qu'est il beſoing que pour luy doiues estre
Si longuement en habit de triſteſſe?
Ne te deux plus, ſouueraine Princeſſe,
Veux tu porter de toymeſme le deuil?
Attens le iour que le celeste ueuil,
Apres cent ans, auec luy te raſſemble:
Alors eſtant ton corps ſouz le cercueuil,
Vn deuil ſera de toy & luy enſemble.
Au reuerendißime Cardinal Dubellay.
LE CLAIR Soleil aux eſtoilles departS S) Jean du Bellay, 1492-1560, fransk kardinal och diplomat.
De ſa ſplendeur, ſans qu'ell' en diminue:
Maint beau ruiſſeau d'une fontaine part,
Sans que la ſourcɇ en rien diſcontinue:
Sus cest égard ma uoyɇ i'ay tenue
Vers uous, auquel les lettrez ont recours,
Pour impetrer faueur, gracɇ & ſecours:
Affin qu'un iour ie uous nommɇ a uoix claire
La ſource uiuɇ ou commence mon cours,
Et le Soleil qui a ma nuit eſclaire.
A monſieur Caſtellanus.
TV AS eſté treſaggreablɇ au pere:T T) Pierre Duchâtel, ca 1480-1552, fransk lärd, kunglig biblotekarie och biskop av Tulle, Maçon och Orleans.
Tu es au filz, apres luy, encor' cher:
Eſt ce faueur de Fortune proſpere
Qui de deux Roys t'a peu fairɇ approcher?
On ne ſauroit cela te reprocher:
C'est la uertu coniointɇ au grand ſauoir,
Qui ce credit & bien t'a fait auoir,
Et t'a rendu digne d'y paruenir:
Et par cela il est aiſé a uoir,
Que tu es fait pour Roys entretenir.
Epitaphe de feu meßire Guillaume Dubellay ſeigneur de Langé.
CEST homme grand repoſɇ en lieu petit, U U) Guillaume du Bellay, 1491-1543, fransk general diplomat, historieskrivare.
Qui fut ſans fin pour France trauaillant,
Le plus lettré qui oncq'armes ueſtit,
Et des lettrez le plus fort & uaillant:
Son uif eſprit pour François bataillant
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Vainquit Fortune, en camp clos de uertu,
Tant que la mort du corps l'a deſuestu,
Faiſant a tous, fors a luy ſeul, ennuy:
Las c'est Lange, paſſant, l'ignores tu?
Telles ualeurs oncq' ne furent qu'en luy.
Epitaphe de François de Vallois Roy de France premier de ce nom.
CE riche marbrɇ en peu d'eſpace ſerreV V) Frans I, 1494-1547, kung av Frankrike 1515–1547.
Le Roy François des François gouuerneur,
Premier du nom en Francɇ, & ſeul en terre
De maieſte & de royal honneur:
Le Ciel qui fut de ſes graces donneur,
Voyant que plus a noſtre humanité
N'appartenoit ſi grand' felicité,
L'a retiré, n'en laiſſant que l'exemple
Proirait au uif par l'Immortalité,
Affin qu'en luy chacun Roy ſe contemple.
LES LOVANGES de la Court, Contre la uie de repos. L'homme de Court.
IA n'est beſoing que mon ſauoir i'employe,
Encore moins que mes forces deſploye,
Pour ſoutenir par art ou par combat
Ce qui uiuant ne me met en debai,
Fors ſeulement le bonhomme des champs:
Mais ie congnoy ſes coups, ſi peu tranchans,
Et ſay qu'il est d'une telle foibleſſe,
Que ie ne doy auoir peur qu'il me bleſſe,
Et parainſi l'ayant pour tel congnu,
Ce m'eſt aſſez d'entrer en camp tout nu,
Laiſſant de l'art & des armes l'appuy,
Pour maintenir mes ualeurs contre luy.
Car tout premier, c'eſt choſe ſeure, qu'en ce
Si ie uouloy' parler par eloquence,
Que i'ay touſfours iuſques icy appriſe,
Et qui est l'un des dons que plus ie priſe,
Ie lui feroyɇ a croirɇ en ceſt endroit,
Si i'auoy' tort, qu'encor' i'auroy' bon droit.
Ie ne ueux doncq' de Rhetoriquɇ uſer
Pour me dffendrɇ, & moins pour l'accuſer:
Car quel honneur pourroy' ie bien acquerre,
En apportant quelque baſton en guerre,
Que l'ennemy n'eſt couſiumier de prendre,
Et l'ayant pris ne s'en ſauroit deffendre?
Ce m'est aſſez pour prouuer par raiſon
Qu'entre nous deux n'y a comparaiſon,
Qu'il ſoii priué d'un ſi grand benefice,
De me ſauoir parler par artifice:
Et quand ſus luy ie n'auroyɇ autre choſe,
Encor' faut il ainſi bien dire i'oſe,
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Qu'autant diuers preſque lon nous repute
Comme est un hommɇ & une beſte brute:
Car ſi les motz, telz commɇ on les profere,
Font qu'en parlant des bestes on differe,
Le bien parlant autant differera
D'auec celuy qui mal proferera:
Mais de uouloir mettrɇ en fait ou en prouue
Le don diuin qu'en eloquencɇ on trouue,
Cela feroit un peu malauenant,
S'on me uoyoit art par art ſouſtenant.
D'autre coſté, en ce que ie recite,
Le maniment d'armes ne m'eſt licite:
Car ce ſeroit a mon honneur toucher,
Par ſus lequel nul bien ne m'est plus cher.
Les armes ſont honorables & belles,
Mais elles ſont faites pour les rebelles:
Et quand a moy i'en fay profeßion,
Non pour en fairɇ aucunɇ oppreßion
Aux ſimples gens qui n'y ſont uſitez:
Mais i'en deffens Royaumes & citez,
Les Iuſticiers en leur entier ie tien,
L'Egliſe ſimplɇ en ſeureté maintien,
Par mon moyen traficquent les Marchans,
Les uillag'ois labourent en leurs champs:
Brief, tous eſtatz me ſont maugré enuie
De tous leurs biens tenuz & de leur uie.
Voila pourquoy ie me feroyɇ offenſe
De m'en aider contre gens ſans deffenſe,
Il me ſuffit que chacun ſachɇ & uoye,
Qu'en tout le monde il n'eſt meilleure uoye
Pour apres mort faire l'hommɇ uiuant,
Que d'estrɇ icy le fait d'armes ſuyuant.
Il est bien uray que tout ua en oubli,
Sinon qu'il ſoit par eſcrit ennobli:
Si n'eust eſté le Greg'ois eſcriuain,
Le preux Achillɇ eust trauaillé en uain:
Eneɇ aißi, quoy qu'il eust merité,
Ne fust uenu a la poſterité,
Si de Maron la Muſe d'excellence
Ne l'euſt uengé de l'enuieux ſilence:
Mais les uertuz le premier reng poſſedent,
Et par apres les eſcritz en procedent.
Or qui ſeroit des Poeticques carmes
Plus haut ſuget & meilleur que les armes?
Qui pourroit mieux les eſcritz faire uiure,
Que de traitter les armes en ſon liure?
Les armes doncq' aux uers portent bon heur,
Et puis les uers aux armes font honneur:
Mais comme ſont fairɇ & dire diuers,
Ainſi esſt il des armees & des uers.
Or i'aimɇ autant tous ces propos laiſſer,
Craignant plus toſt mon honneur rabaiſſer,
93
En deuiſant d'armes & de bataille,
Quand il n'y a perſonne qui m'aſſaille:
Ie congnoy bien auec qui i'ay affaire,
Ie ſay comment il luy faut ſatiffaire:
Les hautz propos, diſcretz & raiſonnables
Ne ſont icy pour les plus conuenables:
Ce ne ſeroyent que parolles perdues,
Qui ne ſeroyent du Ruſticquɇ entendues.
Voila comment de mon droit ie lui cede
Deux pointz, par qui & luy & tous i'excede.
Mais d'autre part il me faſchɇ & me poiſe,
Veu qu'il n'eſchet a moy rien qui ne poiſe,
Et que ie fay tout œuure hautement,
Que ſoy' contreint parler petitement:
Il uaut doncq' mieux, en enſuiuant ma mode,
Que ſi ie puis, a tous ie m'accommode:
Gens d'eſperit, de uertu & ſauoir,
Qui pourront bien la congnoiſſance auoir
De mes propos entre' eux en iugeront,
Et a bon droit ilz les corrigeront,
Si ie ne dy quelque choſe qui ſonne
Selon l'eſtat & prix de ma perſonne.
Il me faut doncq' contenter tout le monde,
Soit par raiſons, ſoit par gracɇ ou faconde:
Et premier ceux qui ſe diſent pourueuz
D'eſprit & ſens, qui tant d'hommes ont ueuz,
Tant de pais & de diuerſes meurs,
Qu'ilz en ſont faitz, ce leur ſemble, tous meurs.
Ilz uont diſant qu'en ceſte uiɇ humaine,
Quelque meſtier & eſtat qu'on demeine,
Il n'eſt rien tel que de uiurɇ en repos:
Ie trouueroi' raiſon en leurs propos,
Qui ſemblent uraiz plus de loin que de pres,
Si ce n'eſtoit qu'ilz diſent tout expres,
Autre repos en tout le monde n'eſtre
Que celuy la de la uie champeſtre:
Et au rebours que nul homme n'encourt
Plus grand trauail & malaiſſe qu'en Court.
Premierɇment, ie dy que ceſt abus
De mettre auant ſeulement ces deux butz:
Car s'on uouloit bien peſer chacun d'eux,
On y pourroit trouuer quelquɇ entredeux.
N'eſt il poßiblɇ un autre lieu choiſir,
Qui de leurs Champs ſurmonte le plaiſir?
Et d'en trouuer quelcun qui tant deſplaiſe,
Que de la Court ſurpaſſe le malaiſe?
Voirɇ & encor' i'accordɇ & ie conſens,
Que le plaiſir ſe meſurɇ a leur ſens.
Non: ilz diront finement alencontre,
Qu'en quelque lieu que plaiſir ſe rencontre,
Il ſe doit tout aux champs attribuer,
Qui ont pouoir de le distribuer:
94
Semblablement tout le mal qu'on ſoustient
Ailleurs qu'en Court, ſeulement de Cour uient:
Mais les ennuiz tant durs qui en deſpendent
Preſquɇ en tous lieux leur ſemence reſpandent:
Ie uoudroy' bien ſauoir, s'il eſt ainſi,
Pourquoy aux Champs ne s'eſpandeni außi:
Et ſi les Champs ſont ſi francs, d'estrɇ exemps
De tant de maux en tant de lieux preſens.
Si n'eſt ce la encor' que ie m'arreſte:
Car de donner iuſqu'au fons ie m'appreste:
Puis que ie uoy le grand chemin tout droit,
Ie ne ueux point tourner par autrɇ endroit,
Deſia me ſens de la uictoire proche,
Ayant trouué argument de reproche
Contre ceux la qui en leurs ſubtilz termes
Sont a leur gré ſi reſoluz & fermes,
Puis quand uiendra que leur atiray fait honte,
Plus ne fiiudra des autres tenir conte,
Comme n'ayans force ni reſistance.
C'eſt doncques uous, o gens pleins d'inconſtance,
(Voſtrɇ inconſtancɇ est telle pour le moins,
Qu'elle nous rend incapables teſmoins)
C'eſt doncques uous qui faittes des ruſez,
Apres auoir uoz ieunes ans uſez
Suiuans la Court, & plus de bien receu
Que n'en auiez eſperé, ny conceu:
Apres auoir pratticqué les offices,
Et obtenu eſtatz & benefices
Par le ſeul bien des Princes liberaux,
Vous les fuyez pour deuenir ruraux:
Vous y auez acquis tout uoſtrɇ auoir,
Appris l'honneur que uous pouez ſauoir:
Que du iɇ appris? on me deuroit reprendre,
I'entens l'honneur que uous deuiez apprendre:
Ou bien celuy que uous uous promettez,
Quand a reſuer quelques fois uous mettez:
Mais pour cela bien meritez qu'on die,
Que uous auez la ceruellɇ estourdie:
Et que tant plus uoſtrɇ age continue,
Plus uoſtre ſens s'aueuglɇ & diminue.
Faut il qu'ainſi uoſtre eſperit ſe ſente
De ce plaiſir corporel qui s'abſente?
Vous reſſemblez ceux qui du port departent,
Leſquelz tant plus en haute mer s'écartent,
Voyent fuir, ce leur ſemble, la terre:
Mais ell' eſt ſtablɇ, & ilz s'en uont grand' erre.
Iadis en Court uous eſtiez a uoſtre aiſe,
Et maintenant uous la trouuez mauuaiſe:
Mais le bien d'ell', en quelque lieu qu'aillez,
Ne uous faut point, c'eſt uous qui luy faillez:
Et puis uoulez ce bien du mondɇ oſter,
Alors que plus ne le pouez gouſter:
95
Car la liqueur qui auoit de couſtume
Vous estre douſſɇ, or uous est amertume.
Lors que deuriez a effet applicquer
Ce qu'auez deu a la Court pratticquer,
Vous uous laſſez, ſans propos, a la ſuite,
Et le remedɇ eſt de prendre la fuite,
Et appellez uoſtre fuite retraitte,
En uous reng'ant a la uie diſtraitte
De noz doux champs, diſans que tout le bien
Qu'on peut auoir, c'eſt de ne faire rien.
Or quant a moy, ie ſuis tres bien d'auis
Que demeuriez en ce grand bien rauiz,
Que uous ſoyez auec uos paiſans,
De uos moutons & uaches deuiſans:
Que uous paßiez tout le reſte de l'age
Au beau milieu des garſons de uillage:
Ce ſont les lieux qui uous ſont les meilleurs,
Puis que de uous on n'a que fairɇ ailleurs:
Et uous quittez l'honneur que nous ſauons
Qui le moyen d'en bien uſer auons:
Prenez grand'peinɇ en uoſtre grand loiſir,
Et nous prendrons en noſtrɇ ennuy plaiſir:
Plaiſir & mieux eſt bien digne qu'on nomme
L'utilite que prend l'homme de l'homme,
Que l'un ne peut de l'autre receuoir,
Sans bien ſouuent s'entrehanter & uoir.
Quel temps ſeroit mieux employé & mis,
Que cil qu'on met a faire des amis?
Ou en a lon plus grand' commodité,
Qu'auecques gens de toute qualite?
Il eſt bien uray qu'il y a de la peine:
Mais qu'eſt cɇ au prix du plaiſir qu'ell' ameine?
Celuy pour ſoy uni ſeulement naquit,
Qui de peiner ne fait bien ſon acquit.
Qu'eſt il plus beau que d'estre deſſeruant
Le bon uouloir des Princes en ſeruant,
Et meriter la faueur ſouueraine
Que lon congnoiſt a leur face ſereine?
Vn autre point qui tous les biens ſurmonte,
Bien que dernier ie l'aye mis en conte,
Et qui pourroit faire ceſſer tout court
Les deſplaiſirs, s'il y en a en Court:
C'eſt l'accointancɇ amiable & benigne
De la beaute & grace feminine,
Parlaquellɇ eſt la rudeße polie,
Le tors dreße, la durté amollie:
Ou tous eſpritz font leur apprentiſſage,
Ou le Ruſticquɇ encor' deulendroit ſage.
La peut on uoir uiſages angelieques,
Parler diuin, & eſperitz celicques:
Brief, quand a uoir les Dames ie m'amuſe,
Me ſemble uoir, pour chacunɇ, une Muſe,
96
Tant qu'y ayant aireſté mon plaiſir,
Ie ne ſauroyɇ a grand' peine choiſir,
Fors quand ie uoy entr' elles toutes l'une,
Commɇ au milieu des estoilles, la Lune:
C'eſt cellela a qui tout ie me uoue,
Et qui pour ſien, de ſa grace, m'auoue:
A qui ie doy tout ce que ie ueux & puis,
Et qui me fait eſtre ce que ie ſuis:
C'eſt cellela que par tout ie ſuiuray,
En la ſeruant tandis que ie uiuray:
Meſme & des champs, Deeſſe deuſt ell' eſtre,
La Court lairroy' pour deuenir Champestre.
L'HOMME DE REPOS.
QVI VEVT d'autruy la cauſe faire moindre,
N'acquiert honneur pour le picquer & poindre:
Car quand il n'eſt ny bon ny neceſſaire
De ruiner du tout ſon auerſaire,
C'eſt bien aſſez d'alleguer ſes raiſons,
Et ſe monſtrer ſobrɇ en comparaiſons,
Modeſtement les fautes imputer,
Et ſagement les charges refuter:
Affin que tout debatu & purgé,
Nostre bon droit iuſtement ſoit iugé.
Et pour monstrer qu'entamer n'ay deſir
Propos aucun qui cauſe deſplaiſir,
A ma partie, en premier lieu i'accorde
Qu'au monde n'eſt uie plus uilɇ & orde
Qu'est cellela de ceux qui ſont oiſeux:
Et tant s'en faut que ſoy dauecques eux,
Que preſque croy n'estre né nullement
Cil qui est né pour uiure ſeulement:
Mais celuy la qui m'a ſi aſprɇ esté
N'a au uray ſens Repos interpreté:
Car le Repos que i'aimɇ & que ie nomme,
S'entend celuy de l'eſperit de l'homme,
Lequel il peut auec ſoy retenir,
Sans le laiſſer pour aller ou uenir:
I'entens Repos tel que point ne nous faille,
Soit que le ſens ou que le corps trauaille:
Et metz celuy entre les miſerables,
Qui n'a Repos en lieux innumerables:
On a Repos en pais estranger,
On a Repos ſans le pais changer,
On a Repos en public, en ſecret,
Pourueu qu'on ait l'eſprit iuſtɇ & diſcret.
Mais ie dy bien que pour l'heur de Repos
On est en Court moins qu'en tous lieux, diſpos:
Car de contens la Court n'a preſque nulz
Et les contens ſeulz pour telz ſont tenuz.
On ſait que ceux qui ſont en Court uiuans
Sont les honneurs & les biens pourſuiuans:
97
En quoy il faut s'obliger a chacun,
Et bien ſouuent n'auoir credit aucun:
Ou ſi on trouuɇ a faire crediteurs,
On y acquien mille competiteurs.
Et de la uient le mécontentement:
Car il ne peut en noſtrɇ entendentent
Plus grand malaiſɇ & ennuy penetrer,
Qu'en demendant, rien ou peu impetrer,
Et que l'attentɇ & proye par enuie
D'aguet nous ſoit preuenuɇ & rauie:
Meſmes par ceux qu'amis nous penſerons,
A qui pour lelz deſcouuers nous ſerons:
Auoir ſouuent parolles de refus,
Entrer ioyeux, & ſortir tout confus:
A ſes amis auoir ſouuent diuorce,
Et faire cherɇ aux ennemis par force:
Et quand ce uient que l'appetit ſtimule
De ſe uenger, il faut qu'on dißimule:
Perdre en ſuyuant ſes peines & ſes pas,
Et bien ſouuent le repos & repas:
Encor' faut il qu'en ceste longue attente
Le pourſuyuant d'un demain ſe contente,
O quantesfois la penſee ſecrette
Tout a part ſoy le uray repos regrette!
Et la couleur qui la douleur domine,
En mauuais ieu fait faire bonne mine!
En quoy celuy ſait mieux iouer ſon rolle
A qui le cueur dément mieux la parolle.
Pour obuier aux ditz des meſdiſans,
Ie n'entens point picquer les Courtiſans,
A celle fin que uers moy ne s'irritent
Ceux qui le nom de Courtiſans meritent:
Ainçois les tien en l'honneur, comme ceux
Q;ii ſont trouuez en ſi grand nombre ſeulz,
Auſquelz n'a uient choſɇ aucune, qui bleſſe
La dignitté de leur titrɇ & nobleſſe,
Qui les Vertuz, choiſiſſent pous obgetz,
A leur ſeul Princɇ & a honneur ſugetz:
Auſquelz ne faut forcɇ, eloquence, grace,
Douſſeur, constancɇ, amour, biens, beauté, race:
Brief, deſquelz eſt ſi heureuſe la uie,
Quilz peuuent bien uiurɇ en Court ſans enuie:
Ou ſi contr' eux Enuie met la dent,
Elle ne fait leur cueur que plus ardent
A la uertu: ſans ſouci de destruire
Ce qui leur peut plus profiter que nuire:
De quoy dolent plus qu'ebahy ie ſuis
Qu'une raiſon ſeule rendre ie puis:
C'eſt que leur nombrɇ & ualeur eſt ſi rare,
Qu'auecques eux homme ne ſe compare:
Pource qu'Enuiɇ habite malagré
La ou n'y a gens de meſme degré:
98
Et qu'entre gens de ſi haute euidence
Elle ne doit tenir ſa reſidence.
Il eſt bien uray quand ceux qui telz ſe tienent
L'un contre l'autrɇ enuieux en deuienent,
C'est grand' merueillɇ alors s'ilz s'entrelaiſſent,
Iuſques a tant que tous ne s'entr'abbaiſſent:
Et bien ſouuent leur credit abbatu,
S'abbat ausi leur constancɇ & uertu,
Lors que de placɇ honorablɇ & treshaute
Sont tout a coup deprimez ſans leur faute:
Ou ſoit que fautɇ ilz aint commis ou non,
C'eſt un remors & playɇ a leur renom,
De uoir aux lieux qu'il ſouloyent poſſeder
Soudainement les autres ſucceder.
Ie ſens icy l'aſſaut que l'on m'appreste,
De ce que trop au parfait ie m'arreſte,
Et qu'au deſſouz des Courtiſans ſuſditz
Il y en a qui ne ſont interditz
De ce clair nom. Mais affin qu'alencontre
Trop rigoreux a leur gré ne me monstre,
Ie ſuis conient, pour accroitre leurs droiz,
D'en mettre icy deux degrez, uoire trois:
Encor' faut il, que ceux la mis par rengs,
(Qui ſeront clairs & bien peu apparens)
A ce trauail ennuyeux & moleſte
Qui eſt en Court, ſoit ſuget tout le reſte.
Penſez en uous commɇ & combien a l'heure
La plus grand' part paſſera la meilleure,
Et qui ſont ceux de la Court ſuyuans l'ombre,
Qui n'aint credit d'estre du plus grand nombre.
Vaut il pas mieux donc point ne s'y tenir,
On y eſtant d'heure s'en reuenir,
Que de ſe mettrɇ au danger hazardeux
Entre les grans, d'estre rien aupres d'eux?
Quand on peut bien uiurɇ heureux autre part,
Ou le bon heur iuſtement ſe depart,
Ou l'on ſe tient a ſa condition,
Sans en l'eſprit bruller d'ambition,
Laquellɇ estant de l'homme ſequeſtree
Ne fait iamais dedens le cueur entree
Impatiencɇ, & toute la ſequelle
Des grans tormens qu'ellɇ ameinɇ auec elle:
Car celuyla qui d'eſtre grand ſ'attend,
Y a il rien, ſoit apert ou latent,
Que hardiment n'enirepregnɇ & ne tente,
Pour paruenir a fin de ſon attente?
Ambition fait ceſſer amitié,
Religion, foy, honneur & pitié:
L'ambitieux auec ce grand courage
De paruenir, perd tout ſon meilleur age:
Et ce pendant contrɇ autruy il coniure,
Et ſans auis fait a ſoymeſmɇ iniure:
99
Mais n'eſtce pas une folliɇ extreſme
Qu'en uoulant perdrɇ autruy, perdre ſoymeſme?
Or estce peu d'alleguer la raiſon
De quelque mal, ſans donner gueriſon:
Si uous uoyez qu'a uoſtre maladie
Le mien conſeil pouruoyɇ & remediɇ,
Vous le prendrez: & celuy cas ceſſant,
Vous en ſerez quittes en le laiſſant.
Ie ne uoudroyɇ auoir homme interdit
D'aller en Court, euſſe ie le credit:
Tout au rebours, ie dy qu'il faut la uoir,
Qui le moyen de uiure ueut ſauoir:
Mais le moyen pour ſa uiɇ amortir,
C'eſt n'en uouloir ou n'en pouoir ſortir,
En temps & lieu entrer il y faudroit,
Qui en ſortir en temps & lieu uoudroit:
Si pour ſeruir quelquɇ homme s'en approche,
N'en peut ſortir a coup ſans ſa reproche:
Car on y ſert pour auoir recompenſe,
Et ne l'a on ſi toſt comme l'on penſe:
Ou quand on l'a, partir auant ſaiſon,
C'est emporter le chat de la maiſon:
Mais tu es fol ſi trop u y attens,
Tu n'auras rien ſi tu ne l'as a temps,
Quant a ceux la qui pour plaiſir s'y gettent,
Deſquelz les pas & peines ne s'acheitent,
Ilz ſont heureux de ieunes en ſaillir,
Commɇ ilz ſeroyent malheureux d'y uieillir.
Vous de la Court les anciens ſuppoſtz,
A uoſtre auis, dy ie rien hors propos?
Vaut il pas mieux eſtrɇ a ſoy de ſeiour,
Que trauailler pour autruy nuit & iour?
Si de repos nous prend doncq' quelquɇ enuie,
Iugez combien en eſt douſſe la uie.
Ie uous ay dit qu'on trouue uolontiers
Repos d'eſprit en infiniz cartiers:
Et n'entens pas qu'ailleurs qu'aux champs ne ſoit,
(En quoy partiɇ aduerſe ſe deçoit.)
Mais en diſant qu'il n'eſt en autres lieux
Si grand que la, ie ne puis dire mieux.
Premierement quand aux Champs uous uiurez
Des maux ſuſditz uous ſerez deliurez,
Qui eſt un don du Ciel bien plantureux:
Car c'eſt grand heur n'eſtre point malheureux.
Mais ſans cela que de maux n'aurez point,
Vous y aurez biens infiniz appoint,
Si de ſauoir uostre eſprit ſe recree,
Pour ceſte fin n'eſt lien qui tant aggree:
Vous congnoiſſez le iournel tour des Cieux,
Vous aſſignez les estoilles des yeux:
Vous obſeruez, comme les Tables touchent,
Leurs corps luiſans qui ſe leuent ou couchent,
100
Et retenez en les uoyant ſouuent,
Celles qui font chaud, froid, ou pluyɇ, ou uent:
Vous y uoyez d'herbes uarieté,
Et uous ſouuient de leur proprieté:
Vous contemplez les ouurages parfaitz,
Que tant diuers par tout Naturɇ a faitz.
Et s'il uous prend quelque uouloir d'écrire,
Ceſt Vniuers qu'autour uous uoyez rire,
Ie ne ſay quoy d'allaigrɇ en uous allume,
Pour rendrɇ agilɇ & feconde la plume:
Et de matierɇ ayant fertilité
En uoſtrɇ eſprit, ceſte tranquillité
Vous fait auoir iugement & loiſir,
Pour le meilleur du pire mieux choiſir.
Ceux qui n'ont cueur a la litterature,
Qui ont pourtant l'eſprit bon de nature,
Et ſont ſugetz a recreation,
En leur eſprit ont ſatiſfaction:
On eſt chez ſoy: les iours ouuriers & feſtes
On eſt ueſtu des laines de ſes beſtes:
Tout ce qui fait a la maiſon beſoing,
Point ne le fault aller chercher plus loing:
On a la chaſſɇ & de chiens & d'oiſeauz:
Vn air ſalubrɇ, & ſauoureuſes eaus:
Brief, de tous biens on n'y a iamais faute,
Pourueu qu'on n'ait la penſee trop haute:
Car qui d'aſſez content ne ſe tiendroit,
Ne ſeroit bon la ny en autrɇ endroit.
Ie n'ay icy de tout dirɇ entrepris:
Mais qui le bien des champs met a meſprix,
Sache premier que c'eſt lui qui deſplaiſt,
Et il uerra combien impoßible est
De le congnaiſtrɇ & blámer tout enſemble,
Et pourautant qu'a l'eſprit meilleur ſemble
Le changement des choſes mutuel,
Et que moins plaiſt l'estre perpetuel,
Qui defendra qu'une part de l'année
Soit a la uillɇ & au peuple donnee?
Voirɇ & qu'en Court l'homme ſe repreſente,
Quand en ſera l'occaſion preſente?
Mais que ce ſoit par les foix, un petit,
Affin des champs augmenter l'appetit.
Voyla comment i'ay uoulu diſpoſer
Certains moyens pour l'eſprit repoſer:
Mais i'ay au cueur un ennuyeux martire,
Que tant nous couſtɇ a faire, & peu a dire.
A Monſieur de ſaint Gelais.
IE N'AY de, qui moins ie me doyue craindre,W W) Mellin de Saint-Gelais, ca 1491-1558, fransk skald och hovpoet.
Et n'ay ce qui mieux ie me puiſſe plaindre,
Qu'a toy, Merlin: n'a qui auoir refuge,
Pour de ma cauſɇ auoir un meilleur iuge,
Ne qui de moy pour moy mieux la reçoiue:
Non qu'autrement ton eſprit prendre doyue
Tant de plaiſir, & loiſir d'eſcouter
Tout le diſcours que le pourroy' conter:
Mais l'exercicɇ auquel nous nous plaiſons,
Et dont tous deux profeßion faiſons,
Et la ſciencɇ ou addonnez nous ſommes,
Tant bien ſeantɇ aux gentilz cueurs des hommes:
Brief les certains accors ſpirituelz
De ce que ſuis, & de ce que tu es,
Sans regarder a autre qualité,
Prenent cela de leur autorité,
Ie ne ueux point parler aux malueillans,
Le tort & droit a rebours recueillans:
Mais bien mes uers la s'addreſſent & tendent,
De fairɇ apprendrɇ a ceux qui rien n'entendent,
Ou font ſemblant de n'y entendre rien,
Commɇ ie parlɇ a un qui l'entend bien:
Tant que l'ayant appris ſe diuertiſſent,
Ou leur ſotiſɇ en haine conuertiſſent:
Et ſi ſus moy ont le cueur deſormais,
A tout le moins, que ie n'en puiſſe mais.
Les enuieux ont mes labeurs repris,
Et uont diſant qu'ay aſſez entrepris:
Mais ſans auoir le mien deu acheué,
I'ay laiße choir par uoyɇ un fais leué:
Et de quitter un commencé affaire,
C'eſt ſigne clair de plus n'en pouuoir faire.
Premierement de mon plus ou mon moins,
I'en offrɇ icy mes œuures pour teſmoings:
On peut iuger quelle ſera l'iſſue,
En regardant la beſongne tiſſue,
Mais ie pourroyɇ alleguer pour deffaitte,
Qu'en ne rendant une charge parfaitte
Que de moymeſmɇ entrepriſe i'auoye,
Ie n'ay fait tort qu'a moy par ceſte uoye:
Ie leur pourroy' dire, qu'en tranſlatant
Y a grand' peinɇ, & de l'honneur pas tant:
(Car du profit, ie ſuis ſans en mentir,
Iuſques icy encor' a m'en ſentir)
Le plus ſouuent la regle & loy du metre
Nous rend contreintz d'aiouter ou d'omettre:
Ou en uoulant ſuyure fidelement
L'original, il nous prend tellement,
Qu'il faut uſer d'une grand' periphraſe,
Qui ueut ſauuer du uulgaire la phraſe:
102
Et ceux qui n'ont qu'a l'un des deux reſpect,
Ilz nous tiendront d'ignorance ſuſpect.
Voila des pointz aſſez auantageux,
Pour refroidir un homme courageux,
Et le tirer de cellɇ intention,
Pour s'addonner a ſon inuention,
Mais ce n'est la, que ie ueux recourir,
Ie ne ueux point deſhonneur encourir
D'unɇ inconſtancɇ, ou que i'aille fuyant
Difficulte ou labeur ennuyant:
Et ſi ne ueux tant donner de ſoulas
Aux enuieux, que de m'auoir ueu las.
Bien ueux iɇ auoir d'acheuer le loiſir
Cela que i'ay entrepris pour plaiſir:
Et en laiſſant mon propos repoſer,
Autre repos ie me ueux propoſer:
Car Poeſiɇ en moy n'est, Dieu mercy,
Le meilleur don, & n'eſt le pirɇ außi,
Que par faueur m'aint departi les Cieux:
Ilz m'ont donné choſɇ encor' qui uaut mieux,
En quoy ie puis maintz eſpritz de mon temps
Et du futur, faire de moy contens:
Et quand aux uers, i'en donnɇ au temps preſent
L'eſchantillon, erres d'entier preſent:
Bien qu'il n'y ait que la poſterité
Qui le preſent entier ait merité:
Car d'elle ſeulɇ auoir i'eſpere & penſe
De mes labeurs la digne recompenſe:
C'eſt celle la qui un bienfait auoue,
Et ſans enuiɇ, en l'auouant le loue.
Ie ne dy pas que ce temps ordinaire
N'ait maintz eſpritz de uouloir debonnaire,
Qui font les leurs d'honneur preſent iouir,
Quand on les uoit des bienfaitz reſiouir:
Sont ceux a qui ma Muſe ſe dédie,
Qui ont pouoir de la faire hardie,
Plus que n'ont ceux qui ueulent l'outrager,
De nompouoir de la decourager:
Il y en a qui ne peuuent ny ueulent
Louer un ſeul, & qui de tous ſe deulent:
I'entens ceux la qui d'arrogance folle
Cuident uoler plus hault qu'Aigle ne uole:
Leſquelz ayans tel uol comme les Pies,
La ou ilz ſont ne ſeruent que d'eſpies,
Pour les labeurs des autres agguetter,
Et par derrierɇ apres en cacquetter:
Ilz ne ſauroient faire d'eux œuurɇ aucun:
Et uont blamant les œuures de chacun:
Et la deſſus tout leur renom ilz fondent:
Mais commɇ on uoit qu'au chaud les neiges fondent,
Vn iour uiendra que ceste renommee
Auecques eux s'en ira en fumee.
Pour l'Orthographɇ ilz entrent en cholere,
Comme pour choſɇ indigne qu'on tolere,
En alleguant l'uſage pour l'abus:
Mais tout cela n'en uaut pas les tabutz:
Ie ne ueux pas, commɇ eax, rompre la teſte:
La lettre laiſſɇ, & a l'eſprit m'arreste,
Mais ie dy bien qu'alors la langue ment
Qu'elle n'accordɇ auec l'entendement:
Außi l'eſcrit dément la uoix abſente,
Si cas auient qu'a elle ne conſente:
Si au François les lettres s'obſeruoyent
A proferer comme s'elles ſeruoyent,
Vne grand' part des motz en les ſonnant
Reſſembleroient au Breton bretonnant.
Et pour prouuer ceſt uſage plus uain,
On trouuera a peinɇ un eſcriuain,
Et les deuſt on amaſſer tous enſemble,
Dont l'Orthographɇ a unɇ autre reſſemble.
Mais c'eſt aſſez: i'ay la mon reconfort,
Qu'un iour ſera le bon droit le plus fort.
Moins & meilleur.
I. Dubellay, A la uille du Mans.
CESSE, le Mans, ceſſe de prendre gloire
En les Grebans ces deux diuins eſpritz:
Trop plus ſera durable la memoire
De ton renom, ſi tu donnes le prix
A Peletier ſus tous le mieux appris
A tranſlater, & qui d'inuention
N'a pas acquis moindre perfection.
Mais ſi doutieuſɇ en eſt la uerité
Au temps preſent, laiſſons l'affection,
Ie m'en rapporte a la poſterite.X X) Joachim Du Bellay, 1522-1600, fransk renässanspoet. Läs om hans liv och verk här intill.
LE PRIVILEGE.
IL EST permis a Michel de Vaſcoſan, Galioi du Pré & Gilles Corrozet libraires de Paris, de imprimer & uendre un liure iniitulé les Oeuures Poëtiques de Iaques Peletier du Mans, Et defenſes ſont faittes a tous Imprimeurs & Libraires de ce Royaume d'icelluy imprimer & uendre iuſques a ſix ans, a cōpter du iour & date de leur priuilege, ſur peine de confiſcation des liures autrement imprimez, & d'amende arbitraire, ainſi que plus aplein eſt contenu es lettres patentes du Roy noſtre ſire donnees a Paris le premier iour de Septembre L'an mil cinq cens XLVII.
Par le conſeil, Signe Buyer, Et ſeellé de cire Iaune.[21]