Les Epistres de l'Amant verd

IEAN LE MAIRE DE BELGES

Treshumble disciple et loingtain imitateur des meilleurs Indiciaires et historiographes,

AV SIEN TRESSINGVULIER PATRON ET PROTECTEUR, MAISTRE IEAN

Perreal de Paris, Peintre et Valet de chambre ordinaire du Roy treschrestien

SALVT

Pair les tiennes dernieres lettres (trescher et honnorable amy) adressees au noble et magnifique Seigneur, Cheualier, Messire Claude Thomassin, Capitaine de ceste tresnoble cité Lyonnoise, et conseruateur des foires dicelle, iay veu et entendu, comment nostre première epistre de l'Amant verd, ha despieça trouué grâce douant les yeux de la Royne, 2 voire tant qu'elle la ramentoit encores quelque fois, à la tresgrand felicité et bonne auenture, de celuy mien si petit (mais tresioyeux) labeur. Dont comme ie fusse prochain de mettre fin à limpression du premier liure des Illustrations et Singularitez, ie me suis aduisé, que ce ne seroit point chose malseant, ne desagreable aux Lecteurs, d'aussi faire imprimer ladite epistre, attendu quelle est fauorisee par lapprobation de ladite tressouueraine Princesse. Et encores y adiouster la seconde, pour estre ensemble publiees, souz la treshevreuse guide, et decoration du nom de sa hautesse et maiesté tresclere. Â laquelle (sil te plait) pourras faire vn petit et humble present, de la lecture du tout, tel quil est comme de ta chose propre, mieux que mienne. Car tout ce peu, et tant que iay de bien, procede de ton amitié, beniuolence et auancement. Le toutpuissant te conserue longuement heureux et prospere. A Lyon, le premier de Mars, 1510.


3

LA PREMERE EPISTRE

DE L'AMANT VERD, A MADAME MARQVERITE AVGVSTE.

S'il est ainsi, fille au haut Empereur,
Fille à Cesar ce puissant conquereur :
S'il est ainsi, qu'autresfois par semblant
Ayes aymé ce poure corps tremblant,
Qui de tes mains ne prendra plus substance :
Las seuffre vn peu ta hautesse et prestance
Ses beaux yeuic clers (pour vn haut benefice)
Prester lecture à ce derrain office.
Derrain dis-ie, quant à moy, qui t'escris :
Car mettant fin à mes chants, et mes cris,
Je delibere, et sans feinte propose,
A mes briefz iours mettre certaine pose.
Car : Et comment pourroit vn cœur si gros,
En corps si foible, et si petit enclos,
Passer le iour que de moy te depars,
Sans se creuer, et pourfendre en deux pars ?
O Demydieux, ô Satyres agrestes,
Nymphes des bois, et fontaines proprettes,
4 Escoutez moy ma plainte demener.
Et tu Echo, qui fais lair resonner
Et les rochers, de voix repercussiues,
Vueilles doubler mes douleurs excessiues.
Vous sauez bien, que les Dieux qui tout voyent,
Tel bien mondain, tel heur, donné m^anoient,
Que de plus grand ne iouit onques ame.
Vous congnoissez, que pour maistresse et dame
Iavoie acquis (par dessus mes merites)
La fleur des fleurs, lo chois des Marguerites.
Las, double helas, pourquoy donques la pars ie ?
Pourquoy peult tant infortune, et sa verge,
Qui maintesfois, celle dame greua ?
Elle s'en va, helas elle s'en va,
Et ie demeure icy sans compaignie.
Elle va voir la noble Germanie,
Elle va voir le Roy Romain son pere,
Et lautre Roy son seul frere prospere,
Et tout sans moy. Helas qu'ay ie meffait ?
T'ay ie desplu, ô chef d'œuure parfait ?
Ay-ie noncé chose qui face à taire :
Ha rien meffait ton humble secretaire,
Qui plus ha sceu de ton priué secret,
Qu'autre viuant, tant soit sage ou discret ?
Helas nenny : mais Fortune ennemie,
Me grieue ainsi ma Maistresse et mamie :
Et faux espoir (que iauoye d'vser
Mes iours o toy) m'ha voulu abuser.
5 Or doy-ie bien bair ma triste vie :
Veo que tant t'ay par terre et mer suiuie,
Par bois, par champs, par montaigne et valee,
Et que ie t'ay maintesfois consolee
En tes dangers, naufrages et perilz,
Esqaels sans moy n'auois ioye ne riz,
Et maintenant tu laisses ton amant.
O cœur plus dur qu'acier ou dyamant :
Iusques à or ie ne t'ay fait, offense,
Mais plus ne puis mettre obstacle ou deffense
Que de rigueur ie n'vse en mon epistre,
Là ou ma langue onques mal ne sceut tistre.
Certes, tu es (diraj-ie ce dur mot)
(Mais pourquoy non ? quand nul que toy ne m'ot)
Tu es cruelle, ou aumoins trop seuere,
Veu que ton œil, qui en deuil perseuere
N'ayme couleur sinon noire et obscure,
Et n'ha de verd, ne de gayeté cure.
Or pleust aux Dieux que mon corps assez beau,
Pust transformé, pour ceste heure, en corbeau :
Et mon colier vermeil et purpurin,
Fust aussi brun, qu'vn More ou Barbarin :
Lors te plairois ie, et ma triste laideur,
Me vaudroit mieux que ma belle verdeur.
Lors me seroit mon dommage et ma perte,
Tournee en gain, et recouurance aperte.
Vienne quelqu'un, qui de noir atrament
Tainde mon corps, et mon accoustrement.
Mais s'impossible estoit, que ma vesture,
Peust receuoir nulle noire teinture :
6 Las vienne aucun, aumoins, qui à ton œil
Fasse apparoir de verd que ce soit dueil.
Mon cœur se deult, combien que d'vn verd gay
Soit mon habit, comme d'vn papegay.
Et faut il donc, si ne mest deliuree
De par Nature vne noire liuree,
Que haï soye ? et que frustré me voye
De ton regard, qui prend or autre voye ?
O dur regret, qui me vient courir sus.
Seray ie donc vn autre Narcissus ?
Ou Hippolyte ? ausquels leur beauté propre
Par grand mechef causa mort et opprobre ?
Ie voy qu'ouy : et que mon propre chant
M'est vn couteau mortellement trenchant.
Las, si ie parle, et ciffle, et me degoise,
Et qu'en chantant ie maine douce noise,
Ce n'est pour moy, mais pour toy resiouir.
Ie me tairay s'on ne me veult ouir,
Ains qu'on me laisse en ce lieu solitaire,
A moy moleste, et à nul salutaire.
Las, ie voy bien que trop me nuit mon plaid :
Veu que plaisir et ioye te desplait.
Si seray dit (quand trop ie m'esuertue)
Le Pelican, qui de son bec se tue.
Bien peu s'en faut que celuy ne maudie,
Qui me donna tel'grace et melodie,
Par trop m'apprendre et dittiers et chansons,
Dont autresfois tu aymois les doux sons :
Et me baisois, et disois : Mon amy.
Si cuidoye estre vn Dieu plus qu'à demy,
7 Et bien souuent de ta bouche gentile,
M'estoit donné repas noble et fertile.
Que diray ie d'autres grands priuautez,
Parqooy i'ay veu tes parfaites beautez :
Et ton gent corps, plus poli que fin ambre,
Trop plus que nul autre varlet de chambre !
Nud, demy nud, sans atour et sans guimple,
Demy vestu, en belle cotte simple.
Tresser ton chef, tant cler et tant doré :
Par tout le monde aymé et honnaré.
Quel autre amant, quel autre seruiteur,
Surpassa onq ce haut bien et cest heur ?
Quel autre aussi eut onq en fantasie,
Plus grand' raison d'entrer en ialousie ?
Quand maintesfois pour mon cœur affoller,
Tes deux maris ie t'ay veu accoller.
(Car tu scais bien qu'vn amant gracieux,
De sa dame est ialoux et soucieux)
Et nonobstant aucun mot n'eu sonnoie :
Mais aparmoy grand ioye demenoie,
En deuisant et faisant noise et bruit,
Pour n'empescher do ton plaisir le fruit.
Bien me plaisoit te voir tant estre aymee
De deux seigneurs, de haute renommee.
Lun fut d'Espaigne, et lautre de Sauoie,
Que plus bel homme au monde ue sauoie.
Bien me plaisoit te voir chanter et rire,
Dancer, iouer, tant bien lire et escrire,
Peindre et pourtraire, accorder monocordes,
8 Dont bien ta scais faire bruire les cordes :
Mais maintenant, tout cela ta reboates :
Et ne fais fors espandre pleurs et gouttes
De tes beauz yeux, qui iamais n'en sont las,
Sans plus querir ne plaisir ne soulas,
Parquoy ie suis de toy mis en oubli.
O mon las cœur d'amour trop ennobli,
Pourras tu bien endurer en toy mesmes
De perdre ainsi la Princesse des femmes ?
D'estre priué desormais de la veüe
De celle qui d'honneur est tant pourueüe ?
Viuras tu bien tout seul en ceste tour,
En attendant son desiré retour ?
Non pas tout seul : car aussi du païs
Duquel ie suis, demeurent esbahis
Auecques moy, le Quin et la Marmotte,
Dont la tristeur desia leur mort denote.
Prisonniers sont, leur liesse est perdue,
Et sont liez par grand' rigueur non deüe.
Ia ne viuront, absents de leur maistresse,
Ainçois mourront, de langueur et tristesse,
Aussi fera Broutique leur compaigne
Fille à Brutus, dont parle encor Espaigne.
Elle de dueil, ses enfans nooueauz nez,
Apres sa mort seront tantost finez.
9 O poures nous ! O trestous miserables !
Iugez à mort, non iamais secourables.
Mourons acoup, pais que nostre Princesse
De nous s'eslongne, et de nous aymer cesse.
Bien vont, o elle, vn tas d'oiseaux rapteurs,
Et chiens mordans, peruers et latrateurs.
Et nous, helas, innocens, et qui sommes
Fort approchans la nature des hommes,
Elle nous laisse en païs estranger,
Qui de sa main soulions prendre à menger :
De sa main propre, et blanche et delicate.
Ha Marguerite (à peu diray ie ingrate)
Ie te puis bien faire ores mes reproches,
Puis que de mort ie sens ia les approches.
Long temps ton serf, long temps ton amy cher,
A ton leuer, à ton noble coucher
Depuis Zelande, en Grenade, et par tout,
Suis ie venu de mon seruice à bout,
En ce lieu cy mortifere et funeste,
Ou va volant vn ange deshonneste,
De punaisie et de vermine immonde,
Ou i'ay perdu la fleur de tout le monde,
Le Duc mon maistre, et la Duchesse apres,
Dont le remors me touche de trop pres.
Est ce desserte ? ay ie cecy mery ?
Ha le pont d'Ains, que fusses tu pery,
Lieu execrable, anathematisé,
Mal feu puist estre en tes tours attisé.
Aumoins Princesse (en extreme guerdon)
10 Ie te requiers, et te eopplie vn don :
C'est que mon corps n'y soit' ensenely.
Ains ie me mets en quelque lieu ioly,
Bien tapissé de diuerses flourettes,
Ou pastoureaux deuisent d'amourettes :
Ou les oiseaux iargonnent et flageollent.
Et papillons bien coulourez y vollent.
Pres d'vn ruisseau, ayant l'onde argentine,
Autour duquel les arbres font courtine
De fueille yerd, de iolis englentiers,
Et d'aubespins flairans par les sentiers.
Bien me peux faire honneur de sepulture,
Veu qu'yn corbeau de moins noble nature
Fut honnoré, et eut obseque humain
Au temps iadis par le peuple Romain.
Mon tumbel donc, ainsi mis en grand' pompe,
Pourueu qu'espoir ne me deçoive et trompe,
S'il aduient lors que Pelerins passans,
Cherchans vmbrage, et les lieux verdissans,
Pres de ma tumbe, en esté se reposent,
Et que dessus la pierre marcher n'osent,
(Veu que sacree à Venus sera elle)
Vers eux viendra quelque gente pucelle,
Gardant brebis, par les preaux herbus,
Qui pour fuyr l'ardeur du cier Phebus,
Parauenture aupres de la fontaine
Se voudra seoir : Et pour chose certaine
Apres auoir estanché sa soif seiche,
En deuisant dessus lherbette fresche,
Leur contera tout le cours de ma vie,
Et de ma mort (dont ie prens or enuie)
Et leur dira :

LA PVCELLE DIT AVX PASSANS.

11

Seigneurs, se Dieu tous gard,
Sur ce noir marbre, ou vous iettez regard,
Git l'Amant Verd, de pensee loyalle.
Lequel seruit vne dame Royalle,
Sans que iamais illuy feist quelque faute.
Natif esloit d'Ethiope la haute,
Passa la mer tant fiere et tant diuerse,
Ou il souffrit mainte grand' controuerse :
Abandonnant son païs et ses gens,
Pour venir cy par exploits diligens.
Laissa Egypte, et le fleuue du Nil,
Espris d'amours en vn cœur iuuenil,
Quant le renom de sa tresclere dame,
Luy eut esmu tout le courage et l'ame,
Si vint chercher ceste region froide,
Ou court la Bise impetueuse et roide,
Pour uoir la face illustre, clere et belle,
Qu'il perdit, puis, par Fortune rebelle :
Et pour auoir l'accointance amoureuse
De son desir. Sa langue malheureuse
Laboura tant à son futur dommage,
Qu'elle oublia son langage ramage
Pour sauoir faire, ou sermon ou harangue,
Tant en François, comme en langue Flamengue,
En Castillan, et en Latin aussi,
Dont à l'aprendre, il souffirit maint soucy.
Or estoit il vn parfait Truchemant,
12 Et ne restoit fors sauoir l'Allemant,
En quoy gisoit son esperance seure
Si grief rebout ne luy eust couru seure.
Mais laissé fut en vn trop dur seiour :
Dont il mourut de deuil ce propre iour
Et lay fut fait ce monuemeat et tumbe,
Dessus lequel pluye et rousee tombe.
Si aura il (par faveur supernelle)
Louenge et bruit en memoire eternelle.

L'AMANT VERD.

Ainsi dira la bergere au corps gent,
Aux pelerins, et à maint autre gent,
Qui voulentiers la mienne histoire orront,
Et de pitié, peult estre, pleureront,
Et semeront des branches verdelettes
Sur mon tumbel, et fleurs et violettes :
Puis s'en iront contans par mainte terre,
Comment Amours m'ont fait cruelle guerre :
Parquoy sera mon bruit trop plus ouuert,
Que du Verd Conte, ou du Cheualier Verd.
Et sera dit, l'Amant Verd, noble et preux,
Quant il mourut vray martyr amoureux.
Et oultreplus, à ma tumbe, de nuict,
Quant tout repose, et que la Lune luit,
Viendront Syluan, Pan et les Demydieux
Des bois prochains, et circonuoisins lieux,
Et auec eux, les Fees et Nymphettes
Tout alentour faisans ioyeuses festes :
13 Menans deduit, en danses et caroles,
Et en chansons damoureuses paroles.
Ce seul soulas auray ie apres ma mort,
Dont le desir desia me poingt et mord,
N'as tu point veu (ô dame specieuse)
Que quand ta bouohe amie et gracieuse,
Ha, dit adieu, à moy poure esperdu,
Vn tout seul mot ie ne t'ay respondu ?
(Aussi, comment eust il esté possible
Que ie parlasse en ce dueil indicible ?)
Mais seulement tout morne, triste et sombre,
Comme desia sentant mortel encombre,
Ta noble main doucement ay baisee
Congé prenant de ta hauteur prisee,
Et maintenant à la mort me prepare,
Puis que ie voy l'heure qui nous separe.
Helas comment me pourray ie donner
La mort acoup, sans gueres seiourner ?
Je n'ay poison, ie n'ay dague, n'espee
Dont estre puist ma poitrine frappee.
Mais quoy ? cela ne m'en doit retarder,
Qui mourir veult, nul ne l'en peult garder.
Quand Portia, pleine de grands vertus,
Voulut mourir pour son mary Brutus,
Nonobstant ce que ses gens eussent soing
Qu'auoir ne peust venin, ne fer au poing.
Elle neantmoins pour fournir son deuis,
Se fait mourir mengeant des charbons vifz.
Par ainsi donq à vn cœur haut et fier,
On ne sauroit son propos empescher :
Car moins grieue est la mort tost finissant,
Que n'est la vie amere et languissant.
14 Ha Dieux hautains, de bon cœur vous mercie,
Car de mourir bien brief ne me soucie.
I'ay ia trouué, sans aller loing dix pas,
Le seul moyen de mon hastif trespas.
Ie voy vn chien, ie voy vn vieil mastin,
Qui ne mengea depuis hier au matin,
A qui on peult nombrér toutes les costes,
Tant est haï des bouchers et des hostes.
Il ha grand' faim, et ia ses dents aguise
Pour m'engloutir, et menger à sa guise.
Il me souhaitte, et desire pour proye :
Parquoy à luy ie me donne et ottroye.
Si seray dit vn Acteon naïf,
Qui par ses chiens fut estranglé tout vif.
Attens vn peu vilaine créature,
Tu iouyras d'vne noble pasture.
Attens vn peu, que ceste epistre seule
I'aye acheuee, ains me mettre en ta gueulle,
Si saouleray ton gosier maisgre et glout,
Et tu donras à mon dueil pause et bout.
Mais si tu mets triste fin à mes plaints.
D'autres assez en feras de dueil pleins,
Et en la fin seras triste et dolent,
D'auoir commis vn cas si violent :
Car point n'auras si tost ma mort forgee,
Qu'encor plustost elle ne soit vengee.
Dont ie te prie, ô ma Princesse et dame,
Que quand mon corps verras n'auoir plus d'ame,
Et qu'à tes yeux, pour nouvelle dolente,
On monstrera toute sanguinolente
De ton amy la despouille piteuse,
Et que ma mort si laide et si honteuse,
Te causera dueil et compassion,
N'en prens pourtant ire ne passion :
15 N'en vueille point ta personne empirer,
Par larmoyer et par trop souspirer :
Car assez as d'autres maux plus patents,
Dont maintes gens se trouuent malcontens.
Mais suffira, sans plus, que ta maudie
La vile beste, outrageuse et hardie,
Qui mon gent corps (du tien enamouré)
Aura ainsi deffait et dessiré.
Lequel neantmoins, sans autre desespoir,
Veult de son gré telle mort receuoir,
Pour le pas clorre à tous tes infortunes,
De tant de morts, cruelles, importunes.
Quant à l'esprit, saches que sans mensonge,
Il t'apperra assez de fois en songe,
Et te suiura parhbayes et buissons,
Sollicitant que les tant ioyeuz sons
Des oyselets, en tous lieux te conuoyent,
Et par les bois doucement te resioyent,
Ainsi que celle, à qui doivent hommage
Tous beaux oyseaux de quelconque plumage.
Aussi diray ie, au gracieux Zephyre,
Que desormais luy seul vente et souspire
Bien souefment, à tout sa douce haleine :
Et que Flora qui de tous biens est pleine,
Voist tapissant de fleurettes meslees,
Les champs, les prez, les monts et les valees,
Tant que sembler il paisse que tout rie,
Par ou ira ta noble Seigneurie.
16 Or adieu donc, Royne de toutes femmes,
La fleur des fleurs, le parangon des gemmes.
Adieu Madame, et ma maistresse chere,
Pour qui la Mort me vient monstrer sa chere.
Mais ne men chaut, mais que sauue tu soye,
Et que iamais n'ayes rien, fors que ioye.
Fay moy grauer sur ma lame marbrine,
Ces quatre vers, aumoins si l'en suis digne.

L'épitaphe de l'Amant Verd.

Souz ce tumbel, qui est vn dur conclaue,
Git l'Amant Verd, et le tresnoble Esclaue.
Dont le haut cœur de vraye amour pure, yure,
Ne peut souffrir perdre sa dame, et viure.

FIN.

Madame à l'Acteur.

Ton escritoire ha si bonne pratique,
Que si m'en crois sera bien estimee.
Parquoy concluds : Ensuis sa Rhetorique :
Car tu scais bien que par moy est aymee.

LA SECONDE EPISTRE

DE L'AMANT VERD, A MADAME MARQVERITE AVGVSTE.

L'AMANT VERD.

17

Puis que tu es de retour, sauue et saine,
Apres auoir veu le Rin, Meuse, et Seine,
Princesse illustre, et de haute value,
Treshumblement orendroit te salue
Ton seruiteur (iadis de mort couuert,
Et maintenant immortel) l'Amant Verd.
Si fais sauoir à ta clere noblesse,
Que plus ne crains rien qui me nuise ou blesse
Ains m'entretiens en soulas et en ioye,
Mais que de toy bien souuent parler i'oye.
Car quand i'entens le nom de ta personne,
Dont le record si doux cymbale et sonne,
Ie tressaux tout de l'amoureux desir,
Qui mon gent corps feit en terre gesir.
Lequel neantmoins tu as fait honnorer
De sepulture, et grauer et dorer
Mon epitaphe, en marbre de porphyre,
Tant qu'il me doit bien hautement suffire.
Car tant l'ont leu de Roys, Princes et Ducz,
Que mes beaux faits iamais ne sont perdus.
Et tant l'ha veu mainte Princesse noble,
18 Que mon bruit va iusques Constantinoble,
Si m'est ma mort plus belle et specieuse,
Que ne fut onc la vie gracieuse.
Veu que mon nom, mes armes, et mon tiltre,
Sont ennoblis par celle triste epistre
Que i'escriuis quand la mort me pressoit,
Et le plaisir de viure descroissoit.
Dont maintenant maintes dames la lisent,
Et entredeux les piteux mots eslisent,
Pour en auoir quelque compassion.
Cela leur est noble occupation,
Dont de bon cœur te loue et remercie,
Et à toute heure aparmoy me soucie,
Par quel moyen (si loing de toy absent)
Te pourray faire aucun soulas decent,
Pour me monstrer auoir plus grand' enuie
De te seruir, qu'onques ie n'euz envie.
Si ne te puis autre seruice faire,
Que t'aduertir de tout le mien affaire
Depuis ma mort, et mon separement,
Que d'auec toy ie feis amerement.
Mais ie te pry, que s'en mon autre lettre
Dueil m'ha contraint des mots rigoureux mettre.
Ta grand' clemence vn peu vueille excuser
Force d'amours, qui me feit abuser.
Suppliant oultre (autant que tu m'as cher)
Que cest escrit ne te vueille facher
S'il est prolixe, et si ie te raconte
Des regions dont peu de gens font conte.
19 C'est des Enfers, desquelz premier dirons,
Et puis apres en meilleurs lieux irons.

Or est il vray, Princesse Marguerite,
Fille à Cesar, de celeste merite,
Que quand mon ame eust (en tristes records,
Et grand' douleur), prins yssue du corps,
Tantost fut prest le noble Dieu Mercure,
Qui les esprits des deffuncts prend en cure.
Lequel tenant son Caducee ou verge,
Print mon esprit, tout innocent et vierge :
Puis, en volant plus leger que le vent,
Me mena voir le tenebreux conuent
Des infernaux, ou sied Rhadamanthus,
Retributeur des vices et vertus.
Vn Rocher brun se treuue en la Moree,
Dont sault vapeur horrible et sulphuree.
Ce roc, se dit en Latin, Tenarus,
Dont Hercules entrainna Cerberus.
Droit là voit on, vn grand trou Tartarique,
Si treshideux, que nulle Rhetorique
Ne sauroit bien sa laydeur exprimer :
Au fons duquel allasmes abymer
Mercure et moy. Si trouuons l'huys de fer,
Par ou on entre, au grand pourpris d'Enfer.
Lors Cerberus le portier laid et noir,
En abbayant nous ouurit son manoir.
Sa voix tonnant si fort retombissoit,
Que la valee obscure en gemissoit.
Si ne faut pas demander, si i'euz peur,
Quand i'apperceuz vn si fier agrippeur.
20 Nous tirons oultre, et allons iusques au fleuue
Le plus despit, que nulle part on treuue.
Styz il ha nom : Cestadire Tristesse :
Tout plein d'horreur, d'angoisse et de destresse.
Or nous passa le vieillard nautonnier
Qu'on dit Charon, tres vilain pautonnier.
Sa barque estoit desbiffee et vieillette :
Si n'eut de moy, ne denier ne maillette.
Quand on est oultre, alors la clarte faut,
Et ne voit on goute ne bas ne haut ;
Mais bien ot on, de cris espouuentables,
Fiers vrlemens de bestes redoutables.
Lors i'euz frayeur de tels mugissemens,
Bruit de marteaux, chaines et ferremens,
Grans tombemens de montaigne en ruyne,
Et grand soufflis de vents auec bruyne.
l'ouoie aussi bien pres de mes oreilles
Oiseaux bruyans, de strideurs nompareilles
Batans de lesle, et faisans grans murmures,
Claquans du bec, comme vn droit son d'armures,
Si me tapis au plus pres de ma guide :
Car de chaleur ma poitrine estoit vuide,
Tant peur auoie. Et lors il me va dire :

MERCVRE.

Ce lieu vmbreux, tout plein de dueil et d'ire,
Est le Royaume et seiour Plutonique,
Et le repaire à tout esprit inique.
Tu dois sauoir, que les fiers animaux,
21 Qui en leur vie on fait cas anormaux,
Et perpetré outraiges criminelz.
Apres leur mort sont icy oondamnez,
En griefz tourmens, en ordure et pueur.

L'AMANT VERD.

En ce disant, ie veis vne lueur
Estrange et bleüe auec noire fumee
Noyant la flambe et rouge et allumee.
Plus approchons, plus oyons de tumulte,
Qui du parfond d'un grand gouffre resulte.
Et quand ce vint que fusmes assez pres,
Mon conducteur s'arresta tout expres,
Et dit ainsi :

MERCVRE.

Cy demeure Pluton. Voicy le fleuue horrible Phlegeton,
Ardant et chaud, voy ce, que ie te monstre,
Sur son riuage, et dedens ha maint monstre,
Maint gros serpent, et maintes laides bestes.
Regarde Hydra le serpent à sept testes,
Qui fut iadis occis par Hercules.
Ces grans taureaux, qui tant sont noirs et laids,
Ce sont ceux là que le noble Iason
Deffeit iadis, conquerant la toison.
Voyla aussi ie taureau de Pasiphe.
Et ce dragon qui mord sa lourde griffe,
Est celuy propre, auquel iousta saint George,
22 Lautre qui bee, et euure ainsi la gorge,
C'est mesme cil, qui Marguerite sainte
Voult ongloutir, toute vestue et ceinte.
Ce noir oiseau de tous desauoué,
Est le Corbeau de l'arche de Noë :
Encor sied il sur sa carongne vile.
Ce monstre là, de façon peu ciuile,
Demy Taureau, et demy homme infame,
Mengea iadis maint homme et mainte femme.
Et ce serpent venimeux et rebelle,
Mordit iadis Eurydice la belle,
Dont son amy Orpheus bien chantant,
Vint en ce lieu pleurant et lamentent
A tout sa harpe, et dit chansons piteuses
Si endormit les ombres despiteuses,
Mais tout cela luy seruit de bien peu.
De lautre part, tu vois dedens ce feu
Plusieurs cheuaux cruelz, et mal domptez,
Dont les vns sont, ceux qui de deux costez
Le saint martyr Hippolyte tirerent.
Les autres sont ceux là qui dessirerent
Hippolytus filz de Theseus Roy.
Mais lautre apart, plein d'extreme desroy,
Tua iadis par vn sault inegal
Son maistre haut Prince de Portingal.
Ces autres là apprindrent de se paistre
De chair humaine, et mengerent leur maistre.
Et ce hobin malheureux et maudit,
Est le dolent, par lequel on perdit
Iadis (helas) trop tost ta noble mere
23 Dame Marie, amie non amere.
Ceste grand' Mulle, horrible, abominable,
Serait iadis au venin tresdamnable,
Duquel mourut le fort Roy Alexandre.
Car la poison qui feit vn tel esclandre, '
Ne se pouuoit garder en façon nulle,
Fors seulement en l'ongle d'une Mulle.
Or maintenant voyons lautre riuage.
Ce Senglier rude, estrange et fort sauuage,
Est celuy là qui meurtrit Adonis,
Pour qui Venus ietta pleurs infinis.
Et ce porc vil, qui trop s'esuertua
Pres de Paris, le fils du Roy tua.
Là sont les Chiens qui tant se desriglerent,
Que leur seigneur Acteon estranglerent.
Et d'empres eux tu vois l'infame chien,
Maisgre et rongneux, qui onques ne feit bien :
Lequel osa ton noble corps toucher,
Par gref forfait, qui trop luy cousta cher.
Il porte encor les playes de sa mort,
Dont tous les iours la douleur le remord.
Mais, au fin fons de ce grand fleuue ardant,
Qui les rochers va bruslant et fendant,
Et iette vn flair puant et sulphurin,
Tu vois nager vn grand monstre marin,
Qui iadis voult menger Andromeda,
Dont Perseus tresvaillant la garda,
Volant en lair o ses esles prosperes.
Là sont aussi Couleuures et Viperes,
Aspicz mortelz, Serpens tors et obliques,
24 Escorpions, Lezards et Basiliques
Tres venimeux, et mainte aatro vermine,
Esquelz poison mortifere domine :
Et qui ont fait (viuans lassus en terre)
A maintes gens grieue et mortelle guerre,
Parqaoy ilz sont en peine et en tourment.
Vne autre espece encor de damnement
Treuue on ceans : c'est de glace et froideur,
En lieu que cy, n'ha que flambe et ardeur.
Vn fleuue y court, qui se nomme Acheron,
Dedens lequel, et tout alenuiron
Tremblent de froid, et cliquettent leurs dents
(Pour leurs forfaits et crimes euidens)
Maints animaux estranges et diuers :
Comme Lyons orguilleuz et peruers,
Ours trescruelz, Tigres, Loups rauissans,
Chiens enuieux par rage finissans,
Boucz trespuans, Chieures luxurieuses,
Corbeaux vilains, Pies iniurieuses,
Cailles, Perdris peruertissans nature,
Rats et Souris, mengeans nostre pasture,
Mouches, Tahons, Malots, Guespes piquans,
Gens et Cheuaux à courroux prouoquans,
Gros Lymaçons, Yraignes treshorribles,
Puces et Poux, et Punaises terribles :
Renards trop fins, Chouettes larronnesses,
Pourceaux gourmans, et Griues grands yuresses,
Voultours tresords, et Huppes sepulcrales,
Laids Chatshuans portans nouuelles males,
Oiseaux rapteurs, qui aux bons sont espies :
Synges, Luitons, Cocordriles, Harpyes,
25 Griffons hideux, qui mengent gens barbares,
Fiers Loupe garoux, et vieillee Cauqaemares.
Bref, tant y ha de bestail qui viule,
Qui mort l'vn l'autre, et regimbe et recule,
Et frappe l'vn, et puis escorne l'autre :
Puis tel suruient qui le froisse et espautre,
Happe la queüe, ou la patte, ou la hure.
Tout y est plein de si mortelle iniure,
Que tu aurois frayeur trop merueilleuse,
De voir tel' tourbe, horrible et batailleuse,
Qui n'ha iamais n'amour, ne paix ensemble.
Or passons oultre, et verrons si bon semble
Au Roy Minos le grand Iuge infernal,
Que ie te meine en ton repos final.
lI le voylà, qui se sied en son throne,
Et Megera furieuse matrone,
(0 ses cheueux colubrins, qui luy pendent,
Et grand venin luy distillent et rendent)
Luy fait lumiere à tout vne grand torche,
Dont bien souuent les ombres bat et torche.
Clotho y est, et sa sœur Atropos,
Et Lachesis qui file sane repos.

L'AMANT VERD.

Ainsi disoit Mercure le bon Dieu.
Alors Minos se leua de son lieu,
Pour bienveigner Mercure en grand honneur :
Lequel Iny dit,

MERCVRE.

26

Roy Iuste guerdonneur, Voicy lesprit d'vn gracieux amant,
Plui net, plut fin, que perle ou dyamant :
Lequel iay prins tout fret et nouuelet,
Lassus laissant son ioli corselet,
Prenant la mort pour l'amour d'vne dame,
Que de plus noble au monde ne se clame.
Voy tous ses faits, et sa vie calcule.
Il n'ha sur luy ne tasche ne macule.
Sur lay n'y ha vn seul brin de laideur,
Mais entier est en sa propre verdeur.

L'AMANT VERD.

Alors Minos de tous lez me regarde,
Et en fin dit, que i'ay fait bonne garde
De netteté, et de pure innocence.
(Car vierge suis) Puis il donna licence,
Que mené fusse aux beaux champs Elisees,
Ou nul ne va, que les ames prisees.
Lors mon guideur me mena par les ombres,
Ou n'eusmes plus gueres de grands encombres
Iusques au Lac, qui Lethes est nommé.
Illec fus ie, par Mercure sommé
De boire vn trait de l'eaue obliuieuse,
Qui perdre fait toute amour enuieuse,
De vouloir r' estre au monde temporel,
Pour le plaisir et deduit corporel.
Si en bus tant, que presque ie fus yure :
Et desadonc n'euz vouloir de reuiure.
Cela fut fait : si marchames auant,
Et tousiours fus mon Mercure suiuant,
27 Qui me mena par vne voye estroite,
Forte à monter, tresdifficile et droite,
Mais peu à peu, l'air s'y esclarcissoit,
Dont mon esprit beaucoup s'esiouyssoit,
Veu que laissons ces bas lieux souzterrains,
Pour aller voir les hauts lieux souuerains,
Qu'assez à temps iamais voir ne cuidoye.
Si me sembloit que le bruit entendoye
De grande ondee, et de flots murmurans
Comme de mer, ou de fleuues courans.
Finablement, suruint belle lumiere,
Sans encombrier de nieble ou de fumiere,
Et peu apres nous trouuames l'issue,
Pleine de mousse et dherbette houssue.
La porte estoit de corne transparente,
Qui fut ouuerte, et lentree apparente.
Tout regardé, nous estions en vne isle
Belle, plaisant, amoureuse et fertile,
Pleine d'oiseaux tresdoucement chantans,
Et d'animaux parmy l'herbe trottans,
Sans grief tumulte, et sans noise ou discorde.
Cecy voyant des enfers me recorde :
Si fus bien aise, et point ne me dolus
D'auoir laissé ces infernaux palus.
Lors dit Mercure :

MERCVRE.

Amy, tes destinees T'ont fait venir es Isles fortunees,
Que les humains disent et cuident estre,
Presques ainsi qu'vn Paradis terrestre.
28 Ou autrement, les champs Elisiens.
Icy ne croist que fruits Ambrosiens.
Et n'y boit on que liqueurs Nectarees.
C'est le seiour des ames bienheurees.
Des animaux qui onques ne meffeirent,
Aias de tout bien leurs œuures assouffirent.
Or y demeure en repos etemel :
Car bien le veult le grand Roy supernel.

L'AMANT VERD.

Ainsi dit il. Et ie loy rendis graces.
Puis il s'en vole, et n'apparent ses tresses
Par le chemin de l'air qu'il trenche et fend,
Dont nulle rien ne l'empesche ou deffend.
Le temps estoit tout cler et saphirin,
Le Soleil haut, et le vent Zephyrin
Occidental, doucement souspiroit,
Voire si doux, que plus il ne pourroit.
Alors, content de ma riche Fortune,
Ie vois choisir vne place opportune
Pour speculer tout le noble pourpris,
Ou vont volant tant de ioyeux esprits.
Si me branchay sur vu Oranger verd,
De fleurs, de fruits, de fueilles bien couuert :
Et regarday la grand mer spacieuse,
Qui circuit l'isle delicieuse.
Tranquille estoit, et calme la marine,
Clere et luisant comme belle verrine.
L'isle esleuee, au mylieu grande et lee :
Ayant maint tertre et ombreuse valee.
29 Mais, le Soleil combien qu'il y fut haut,
Ny estoit point excessif ne trop chaut,
Ains y fut tout riant en fleuriture,
Souef flairant, de diuerse peinture.
Et comme ainsi ie oontemplasse tout,
Asseoir se vint pres de moy a vn bout
Vn cler esprit, portant plume naïue
De cramoisi, tresuermeille et tresuiue.
Et apres luy sur ce grand Oranger,
Vindrent aussi mille oiseaux se ranger,
Si beaux, si ioints, et de tant de couleurs,
Quon ne sauroit exprimer leurs valeors.
Croy moy Princesse, et preste ton entente.
Cest arbre beau, de fueilleure patente,
Fut enrichi presques en vn moment
De tous oiseaux de diuers parement,
Qui entour moy voletans se iouerent,
Et de leurs chants courtois me saluerent.
Mais dessus tous, ie notay la faconde
Du cler esprit, pourprin et rubiconde,
Duquel la plume (ainsi affermer l'ose)
Certes passoit la beauté de la rose.
Si dit ainsi : (les autres se taisans)

L'ESPRIT VERMEIL.

Mon frere cher, en ces beaux lieux plaisans
Tu soyes bien, et mieux que bien venu.
Long temps y ha qu'il ne m'est aduenu
Plaisir plus grand, que de voir arriuer
30 Ton noble esprit, que mort n'ha peu greuer :
Ains vit ton nom en memoire et en bruit.
Mais encor plus cueille ie cy de fruit,
Quand ie te scay venant du lieu floury,
Ou i'ay long temps en ioye esté nourry :
C'est du palais illustre, cler et riche,
Qui tient Bourgongne vnie auec Austriche.
Si te diray (puis qu'amour m'y semond)
Comment iadis l'Archiduc Sigismond,
Oncle à Cesar Maximilianus,
Me tint bien cher en ses plaisirs menus :
Et tant priea ma mignotise gaye,
Que pour don riche, esmu d'amitié vraye,
Il m'enuoya à treshaute Princesse
Pour lors viuant de Bourgongne Duchesse,
Ta dame et mere amiable Marie,
Dont le trespas feit mainte ame marrie :
Laquelle ayma d'amour tressinguliere
Mon caquet doux, ma couleur nouueliere.
Puis en la fin ploura la mort dolente
Que ie receus, par l'œuure violente
Des cruelz dents d'vne fiere Iennette,
Comme tu as d'vn leurier deshonneste.
Si sommes nous (quand bien i'y ay pensé)
Tous deux egaux, et mesmement en ce
Que i'ay serui la mere noble et iuste,
Et tu la fille illustre, clere, Auguste.
Parquoy viurons ensemble en ioye eterne,
Sans plus passer l'infernalle cisterne.
Si aymerons ces chastes tourterelles,
Et tournoirons bien souuent entour elles :
31 Et nous iourons sur fleurs et sur herbettes.
Doucettement auec les Colombettes.
Ne voicy pas bien belle compaignie,
Pour s'esiouyr en plaisance infinie ?
Premierement tu voix le Fenix noble
Vestu d'asur, d'or, de pourpre, et cynoble :
Faisants bien peints, Pelllcans solitaires,
Simples Coloms, Arondes salutaires :
Rossignolets doux et melodieux,
Et Chardonnets d'apprendre estudieux :
Coqs liberaux, hardis et diligens.
Serins, Tarins, qui sont plaisans et gents,
Merles faitis, Gellnettes vtiles,
Cygnes tous blancs, Aloëttes gentiles,
Grues veillans à leurs tours ordinaires ;
Aigles royaux, Cicongnes debonnaires :
Et autres cent espèces d'oiselets,
Tous vertueux, iolis et gentelets,
Qui sont ioyeux de la venue tienne.

L'AMANT VERD.

Lors ie luy dis : Seigneur, Dieu te maintienne,
Et eux aussi, en ioye et en liesse.
Si les requiers, au nom de ma Deesse,
De ma Princesse, et dame redoutee,
Qu'vne chanson noblement soit chantee.
A peine eus ie ce mot hors de mes leures,
Que les marteaux de vingt ou trente feures
N'eust on ouy, batans sur leurs enclumes :
32 Car les oyseaux de tant diuerses plumes,
Diueseement vn motet entonnerent,
Et si tresdoux flageolans iargonnerent,
Qu'impossible est noter leurs chansonnettes,
Et leurs motets tant beaux et tant honnestes.
Lune partie au bas barytonna,
Et l'autre apres vn haut contre entonna :
Les cleres voix fort bien diminuerent,
Et les teneurs leur train continuerent.
Brief, tant y eut de grace et melodie,
Qu'à peine est nul qui bien l'exprime ou die,
Tant que les vaulx fleuris en resonnoient,
Et les rochers le doux son redonnoient.
Puis quand cessa le tant amoureux bruit,
On banqueta de maint precieux fruit,
Dont tu n'as point de pareil en ce monde
Auquel tu es Princesse pure et munde.
Et si but on en la clers fontaine,
Dont la liqueur excellente et hautaine
Se rend icy, par argentines buses,
Du vray sourgeon de celles des neuf Muses.
Tout cecy fait, le noble Papegay
Vestu de pourpre, illustre, gent et gay,
Me feit congnoistre, et me monstra de veüe
De tous costez la champaigne pourveüe
De mille oyseaux, et d'animaux gentils,
Par leurs vertuz paissans en ces pastiz.
Entre lesquels, leans trotte et ambulle
Le Passeron de l'amie Catulle,
33 Lequel (quand mort s'en fut à tort saisie)
Fut deploré par noble poësie.
Aussi y est l'Oye du Capitole
Et le Corbeau, que Pline tant extolle :
Car parler sceut, comme font les humains.
Le Gerfault blanc du haut Roy des Rommains,
Tant estimé qu'à peine est qui le croye :
Voire et trop plus que nul oyseau de proye,
Qui onc entra en ce noble repaire.
Aussi y est de tourtres vne paire,
Qu'on presenta par iuste occasion,
Quant Iesus print sa circoncision.
Et le bon Coq, qui saint Pierre aduisa
De son mespris, dont grand los et prys ha.
Et le Coulon de prudence naïue,
Qui rapporta la branchette d'0liue.
De Charlemaigne vu Aigle fort insigne,
Bien haut volant. Et de Cleues le Cygne.
Le Porcespic de gloire Orleanique,
Et la tresriche Ermine Britannique.
Et oultreplus dessus les fleurs doucettes,
Vont voletant les Eps et les mouchettes,
Qui à Platon en son berseau dormant
Allerent miel en la bouche formant.
Aussi y est l'autre Mouche honnoree,
Tant noblement par Virgile plouree.
Si vont sautant et faisant vireuoustes,
34 Parmy ces pres, les treidignes Langoustes,
Dont le bon saint, qui Iesus baptisa
Seul au desert, toute sa vie vsa.
Et oultreplus, est cy viuant en gloire
Le bon Camel, digne de grand' memoire,
Duquel la peau oe mesme saint vestoit.
L'asnesse aussi qui la vierge portoit,
Auec le Bœuf, qui son celeste enfant
Fut en la cresche à mynuict reschauffant.
L'aigneau pascal, le Mouton dont Iason,
Conquerre alla la tresriche Toison.
Lours de saint Vaast, le pourceau saint Antoine,
Le sage Chien, propice et fort ydoine,
Qui apportoit à menger à saint Roc.
Et l'Ourse aussi, qui mourrit en vn roc
Le preux Ourson. Et la Louue benigne,
Qui excusa nourrisse feminine
An fondateur de la cite de Romme.
Encore y est le Lyon saint Hierome.
Et de saint George aussi le bon Cheual :
Le fort Montaigne, et le fier Bucifal.
Sauoie aussi le Coursier du Roy Charles,
Que meilleur n'eust, de Romme iusqu'en Arles.
Aussi, pource qu'il estoit noble et bon,
Honnoré l'ha madame de Bourbon.
Et roux Bayart, qui n'est plus en Ardenne,
Princesse illustre. Et si ie ne te tenne
35 En denombrant les autres bestelettes
Qui sont ceans, viuans des herbelettes
Souef flairans, douces, aromatiques,
Sauoir te fais par raisons autentiques,
Que droit cy sont par leur bien et merite
Les Aignelets de sainte Marguerite,
Et las brebis, qu'elle gardoit aux champs.
Aussi y sont sur fleurettes couchans
Les deux beaux Cerfz, chassez comme il appert,
Par saint Eustace et monsieur saint Hubert.
La noble Biche aussi les accompaigne,
Laquelle estoit à Sertore en Espaigne.
Et un Leurier plein de toute vertus,
Bien congnu l'as, il s'appelloit Brutus.
Encore y est (sans qu'elle s'en repente)
De Lusignen la tresnoble Serpente,
Mere iadis de Princes et de Roys.
Si n'ot on point, ne noises ne desrois,
Bruit tempestis, ne tumultes difformes,
Entre animaux de tant diuerses formes.
Que dis ie tant ? voire encor plus sans nombre
Que ie ne conte, et que ie ne denombre,
Ains vinent tous en paix comme ie dis.
Or ay ie esté dedens ce paradis
Assez long temps, Princesse de haut prys,
Sans que Mercure amenast nulz esprits
Parqoy de toy quelque nouuelle sceusse.
Et comme donc de ce plaisir ie n'eusse,
Vn iour aduint, qu'en estant sur la riue
Que la mer bat, tranquille, clere et viue,
Et regardant le Dauphin tant priué,
36 Par qui iadis Arion fut sauué,
Ie vois venir (ainsi Dieu me conserue)
Tout le beau pas, vn Cerf et vne Cerue,
Ieunes, ioyeuz, plaisans et esueillez,
Portans aux cols beaux coliers esmaillez
De ton blason (dame de haut parage).
Lors tout esmu de cœur et de courage,
Du souuenir que de toy me venoit,
Ie saluay celuy qui les menoit.
C'estoit Mercure, amoureux et prospere,
Lequel me dit : Que Dieu, qui tont tempere
Dieu qui tout voit, qui t'ayme, et te cherlt,
Ha inspiré ton tresnoble esperit,
Et donné grace à ton cler et vif sens,
De mettre accord (par moyens bien decents)
Entre tous Roys Chrestiens, Ducz et Princes.
Parquoy tu es en toutes leurs prouinces
Dite à bon droit, la Princesse de paix,
Aymant les bons, et chassant les mauuais.
Fleur de consaulde, odeur aromatique,
Gemme de pryrs, Perle Margaritique,
Tresor d'amour, Precieux vnion,
Mettant par tous concorde et vnion.
Et pour tout dire, il n'y ha nui au monde,
Qui n'ayme, ouyr ta renommee munde.
Tesmoing en est (à fin qu'autres ie passe)
La noble Ermine, en richesse oultrepasse,
La dame illustre, et portans sceptre en France,
Laquelle eut dueil de ma grieue souffrance.
Anne est son nom, des Bretons grand' Duchesse :
37 Anne aux François bienheureuse Princesse.
Certes mon cœur à son honneur se tire
Veu qu'elle eut dueil de mon dolent martire.
Et scait encor (ne s'en faut vn parraffe,
Comme, par cœur) mon dolent epitaphe.
Non, que pour moy, ne que pour ma value,
(Ce scay ie bien) la mienne Epistre ayt leüe :
Mais en faueur de toy, en ton amour
Pitié l'ha meu d'estimer ma clamour.
Or vous doint Dieu, toutes deux longs seiours
En heur prospere, et en fin de vos iours
Monter lassus au paradis celeste,
Comme au terrestre, icy suis, sans moleste,
Icy prend fin le mien ioyeux esorire,
Dont on verra plusieurs gens assez rire.[1]

Fin de la seconde epistre.

De peu assez. Le Maire de Belges.